Éduquer ? Quelles sources ? Quelles ressources ?
Philosophes, religieux, écrivains, ils se sont interrogés sur l’éducation, la transmission, la transcendance. Citations.
Éduquer : Recevoir et donner
« Depuis que les philosophes grecs et les prophètes juifs ont demandé ce qu’était la justice et non pas ce qui découlait des usages de leur temps, notre tradition n’a plus jamais été capable de dire avec bonne conscience : "ceci est bon parce que c’est notre manière à nous." Elle a toujours dit et ne cessera pas de dire : "Où est le Bien, que nous puissions le servir ? " […] Notre tradition est la tradition qui met sans cesse en question sa propre validité, qui à chaque moment de son destin historique a eu à décider et continuera d’avoir à décider, ce que nous devons faire pour nous rapprocher de la vérité, de la justice, de la sagesse… C’est la tradition qui ne se satisfait pas de la tradition. »
Eric Weil
« … Et lui cheminant dans la nuit des années sur la terre de l’oubli où chacun était le premier homme, où lui-même avait dû s’élever seul, sans
père, n’ayant jamais connu ces moments où le père appelle le fils dont il a attendu qu’il ait l’âge d’écouter, pour lui dire le secret de la famille, ou une ancienne peine, ou l’expérience de sa vie […], et lui avait eu seize ans puis vingt ans et personne ne lui avait parlé et il lui avait fallu apprendre seul, grandir seul, en force, en puissance, trouver seul sa morale et sa vérité… »
Camus, Le Premier Homme, Gallimard
« Le bien de l’esprit est par définition communicable, sa possession n’a rien d’égoïste, elle est par nature transmissible. […]. Cela tient à la nature même de ces biens : les posséder c’est les partager. De même que le parfum précieux ne se répand pas seulement quand on le verse, mais est tellement parfum qu’il imprègne le vase et, même caché, répand encore sa bonne odeur, les biens de l’esprit sont tellement communicables que les posséder c’est les partager, et que les acquérir soi-même, c’est enrichir les autres. Il s’ensuit que tout le temps que tu consacres à l’acquisition de ces biens, que tout moment où tu te réjouis de leur présence.. tu es en communication immédiate avec autrui. »
Kierkegaard, Dans la lutte des souffrances, Cerf, p. 43 sq.
Donner la parole, donner sa parole…
« Un être humain apprend à s’exprimer à travers l’expression des autres, et d’abord à travers une langue très bien dite « maternelle », qu’il reçoit toute faite, avec ses possibilités infinies. Si on refuse de la lui enseigner, s’il refuse de l’apprendre, sous prétexte de s’en inventer une bien à lui, il ne s’exprimera jamais, car nul ne le comprendra. Bien plus : il n’aura sans doute rien à exprimer.[…] A force d’inciter les enfants et les jeunes à toujours parler et à ne jamais écouter, on a atrophié en eux le don naturel de communiquer. […] Écouter qui ? Les adultes, d’abord. Mais s ’il n’y en a pas ? (…) ils pourraient au moins être à l’écoute des adultes du temps passé, ceux de l’histoire réelle et ceux qui ont été créés par les légendes et les poètes, ces adultes qui naguère peuplaient la pensée et l’imagination des enfants et des adolescents, et à travers lesquels, bien avant de l’affronter aux-mêmes, ils exploraient la condition humaine dans toutes ses dimensions. »
Jeanne Hersch, Antithèses
Quand nous apprenons aux enfants à dire quelque chose du monde, à nommer les parties d’une plante, à découvrir la physique, la chimie, ou d’autres cultures, nous les initions à leur vocation divine qui et d’appeler les choses par leur vrai nom, d’être les amis du Créateur. Tout enseignement véritable est donc une vocation religieuse que nous réalisons comme enfants d’Adam, l’ami de Dieu…. En nommant, il aidait Dieu à mettre au jour un monde d’ordre et de sens, à triompher du chaos.
Timothy Radcliffe
« Seigneur,
Vous ne m’avez pas donné de pauvre à nourrir, ni de malade à panser,
Ni de pain à rompre mais la parole qui est reçue plus complètement que le pain et l’eau, et l’âme soluble dans l’âme. Faites que je la produise de la meilleure substance de mon cœur comme une moisson qui va de toutes parts où il y a de la terre, (des épis jusqu’au milieu de la route). Et comme l’arbre dans une sainte ignorance qui lui-même n’attend pas gloire ou gain de ses fruits, mais qui donne ce qu’il peut.
Et que ce soient les hommes qui le dépouillent ou les oiseaux du ciel, cela est bien.
Et chacun donne ce qu’il peut : l’un le pain, et l’autre la semence du pain.
Faites que je sois entre les hommes comme une personne sans visage et ma
Parole sur eux sans aucun son comme un semeur de silence, comme un semeur de ténèbres, comme un semeur d’églises, comme un semeur de la mesure de Dieu... »
Claudel, Cinq grandes odes, "La maison fermée"
L’éducation : l’alliance d’un rôle et d’une vocation
« L’être humain, en tant que personne, se définit comme vocation. Nous pouvons donc formuler la problématique essentielle de la formation en disant qu’elle a pour tâche d’assurer l’articulation la plus adéquate entre un rôle et une vocation. (..). Nous retrouvons ici le pôle de la vie personnelle et celui de la vie sociale. La construction de soi qu’évoque le terme de vocation passe par l’action participante, par la collaboration à la grande œuvre commune en laquelle se reconstruit sans cesse, en ses assises matérielles comme en ses formes culturelles, la vie de la collectivité. Et cette action n’est réelle, effective et efficace, qu’à la condition de s’inscrire dans un réseau d’interactions qui la coordonne à toutes les autres. Ainsi la vocation appelle le rôle. Mais réciproquement le rôle ne devient signifiant pour celui qui l’assume que s’il est vécu comme contribution effective à la construction de sa propre vie, que s’il peut l’inscrire dans le mouvement profond qui le porte vers sa destinée. Le rôle demande à être recueilli dans une vocation (…) La formation s’inscrit toujours dans un contexte de généralité. Pourtant sa signification véritable, c’est de rejoindre, en chacun la singularité qu’il est, de l’aider à faire advenir, dans son action, l’être de lumière et d’éternité qu’il porte en lui. »
Jean Ladrière, Semaine Sociale, Paris, 1989.
« L’apôtre est toujours aux aguets, il accepte que certaines choses finissent, il voit monter les jeunes générations. (…) Il vit penché sur la face mobile du monde, il ne peut ignorer les courants de pensée qui le traversent, les idées qui le mènent, les modes qui l’entraînent, les mythes qui le soulèvent. Il doit insérer son action au lus vif de son temps. »
Madeleine Daniélou, Action et Inspiration.
« Un être humain, si humble soit-il, a des résonances infinies, des profondeurs insondables, une parole à dire qui n’est qu’à lui quoiqu’elle s’insère dans un chœur immense, une vocation qui n’est rien moins qu’une pensée divine. Soyons attentifs à cela. »
Madeleine Daniélou, L’Éducation selon l’Esprit
« Ne peut-on espérer d’aider les êtres à trouver cette voie qui est la leur et dans laquelle ils donneront toute leur mesure ? Ce qui importe dans l’influence qu’on exerce, c’est d’aider chacun à discerner la direction que prend en lui l’élan vital et la volonté de Dieu sur sa vie. Ces deux forces dont l’une est toute immanente et l’autre transcendante à notre âme se manifestent l’une et l’autre au plus intime de la conscience ; les dégager, montrer leur mystérieuse harmonie, c’est vraiment traiter un être humain avec un maximum de respect et d’amour. Tout cela déborde infiniment une influence personnelle, c’est l’œuvre du Dieu créateur et sanctificateur que nous servons dans les enfants. »
Madeleine Daniélou, Action et Inspiration.
« Pourquoi les saints ont-ils des imitateurs et pourquoi les grands hommes de bien ont-ils entraîné derrière eux des foules ? Ils ne demandent rien, et pourtant ils obtiennent. Ils n’ont pas besoin d’exhorter ; ils n’ont qu’à exister ; leur existence est un appel. (…) Chacun de nous, à des heures où ses maximes habituelles de conduite lui paraissaient insuffisantes, s’est demandé ce que tel ou tel eût attendu de lui en pareille occasion. Ce pouvait être un parent, un ami, (…) ce pouvait être, tirée du fond de l’âme à la lumière de la conscience, une personnalité qui naissait en nous, que nous sentions capable de nous envahir tout entier plus tard, et à laquelle nous voulions nous attacher pour le moment comme fait le disciple au maître. A vrai dire cette personnalité se dessine du jour où on a adopté un modèle. Le désir de ressembler (…) est déjà ressemblance ; la parole qu’on fera sienne est celle dont on a entendu en soi un écho. »
Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion
Aimer
« L’amour et la confiance sont le fondement nécessaire de toute influence éducative profonde. Cet amour et cette confiance doivent être gagnés, du côté de qui enseigne, par une disposition naturelle d’affection constante. Et pour porter à tous, de manière permanente, un tel amour maternel, y compris aux enfants qui en sont indignes, qui sont difficiles, insupportables - et précisément à ceux-là, parce que ce sont eux qui en ont le plus besoin - , il faut vraiment des forces surnaturelles. »
Édith Stein
« As-tu parmi tes livres d’enfant les Contes d’Andersen ? Relis donc l’histoire du vilain petit canard. Je crois en ton avenir de cygne. »
Édith Stein, Lettre à une de ses élèves
« Aimer le Christ, c’est recevoir de lui une part plus ou moins grande de don pastoral. A chacun Dieu confie une ou plusieurs personnes. Le don pastoral, si petit soit-il, est une source où puiser les inspirations pour transmettre l’amour du Christ et lui permettre d’accomplir son pèlerinage dans toute la famille humaine. »
Frère Roger.