Interview du cardinal André Vingt-Trois sur Radio Notre Dame à propos du drame de la fillette du diocèse de Recife
Radio Notre Dame – 13 mars 2009
« Les évêques brésiliens expriment leur entière désapprobation de l’avortement pratiqué sur une petite fille et se montrent solidaires avec tous les enfants victimes d’abus ».
Interview du Cardinal Vingt-Trois
Cet enregistrement a été réalisé avant la mise au point des évêques brésiliens.
Ces derniers jours, il y a eu une vive polémique qui a touché l’Église, à propos de cette histoire d’une petite fille au Brésil enceinte à la suite d’un viol, que sa mère a fait avorter. L’évêque du lieu a pris la décision de rendre public l’excommunication qui touche les personnes qui sont complices d’un avortement. D’après ce qui nous a été transmis, il l’a rappelé d’une manière assez légaliste, voire inhumaine. Les catholiques les plus convaincus ont été heurtés par un tel manque de compassion apparent. Comment réagissez-vous à cette affaire ?
Je réagis d’abord douloureusement, parce qu’il s’agit d’une situation de détresse tout à fait exceptionnelle. Par ailleurs nous ne savons pas exactement ce qui s’est passé, ni quelle est exactement la situation de cette famille. Nous n’avons eu que des échos très médiatisés, qui résultent aussi d’un débat interne au Brésil sur la dépénalisation de l’avortement. Il est donc très difficile d’avoir un avis fondé sur cette situation précise.
Elle nous invite cependant à une réflexion pour laquelle nous pouvons donner les éléments suivants. Le premier est que l’excommunication qui est liée à l’avortement - comme toute excommunication d’ailleurs - est effective dans la mesure où les auteurs des actes sont à la fois pleinement conscients et pleinement libres. Nous n’avons aucun élément d’appréciation pour savoir si, dans ce cas précis, la mère et les médecins étaient conscients et libres de ce qu’ils faisaient. Je ne parle pas de la fillette évidemment, qui n’était pas visée par l’excommunication contrairement à ce qui a été dit.
Un deuxième point est que l’on peut se demander si dans une situation de détresse de ce type, la chose la plus importante à faire soit de déclarer publiquement l’excommunication. Si celle-ci existe, est-il nécessaire de la déclarer publiquement, au risque d’accabler davantage des gens qui sont déjà dans une situation évidente de détresse profonde ?
Le premier geste de l’Église à l’égard de ces personnes n’est pas d’ajouter à leur détresse mais d’essayer de leur venir en aide. C’est ce que nous essayons de faire en France où un certain nombre de groupes et d’associations se dépensent pour accueillir des femmes qui ont subi un avortement et les aider à surmonter la détresse qui en découle. Cela ne veut pas dire que l’on approuve l’avortement, au contraire, cela veut dire que l’on est conscient de ce qu’il y a de profondément inhumain et de traumatisant dans l’avortement.
Comment passe-t-on d’une affaire dans un contexte local bien précis – en l’occurrence le Brésil - à une polémique quasiment mondiale ?
Par la voie des journaux. Je ne vois pas très bien comment cela se passerait autrement. Il y a une médiatisation sur place qui fait partie d’un débat politique interne au Brésil. Cette médiatisation s’est étendue à l’échelon universel pour des raisons de sensibilité -car beaucoup de gens trouvaient que c’était une mesure inhumaine - et aussi pour des raisons tactiques qu’il ne faut pas oublier.
Ce genre d’affaire fait un mal considérable à l’Église, ou en tout cas à l’image de l’Église. Beaucoup de catholiques ont été heurtés par cette affaire et disent qu’ils vont avoir à témoigner de leur foi en s’entendant opposer ce genre de situations qui sont un peu incompréhensibles à vue humaine. Comment peut-on continuer à évangéliser malgré tout ?
Cela fait 2000 ans que l’on évangélise en supportant le péché. Ce n’est pas parce qu’il y a des choses qui sont mauvaises ou qui peuvent être scandaleuses que l’Évangile n’est pas l’Évangile. Nous ne sommes pas les porte-paroles d’un groupe de parfaits qui vendraient de la marchandise en disant : « nous sommes les meilleurs ! » Nous sommes les porte-paroles d’une bonne nouvelle qui nous vient de Dieu, que nous n’avons pas fabriquée, dont nous sommes héritiers par grâce et que nous essayons de partager du mieux que nous pouvons ou du moins mal que nous pouvons. Un certain nombre de circonstances rendent ce partage plus difficile mais ce n’est pas nouveau.
Cela s’ajoute un peu à la polémique qui avait précédé sur l’affaire Williamson même si cela n’a rien à voir. Mais cela fait plusieurs polémiques qui se succèdent et dont l’Église est la cible. Comment expliquez-vous cela ?
D’abord par la concordance de ces affaires dans le temps. Je pense aussi parce qu’un certain nombre de gens ont intérêt à utiliser toutes les circonstances possibles pour fragiliser l’image de l’Église dans la société. Cela ne me surprend pas. C’est ainsi. Il faut essayer de ne pas se laisser entraîner dans une sorte de surenchère médiatique.
Article de l’Agence Fides du 11 mars 2009
Les évêques brésiliens expriment leur entière désapprobation de l’avortement pratiqué sur une petite fille et se montrent solidaires avec tous les enfants victimes d’abus (11 mars 2009)
Rome (Agence Fides) - La Présidence de la Conférence des évêques catholiques du Brésil (CNBB), réunie à Rome ces jours-ci, a diffusé une note pour la presse dans laquelle elle exprime son indignation suite à la nouvelle qu’une petite fille brésilienne de 9 ans a été contrainte à l’avortement des jumeaux qu’elle portait comme fruit de la violence sexuelle subie par son beau-père, un fait qui a ému la société brésilienne toute entière.
Les évêques repoussent vivement cet acte, se plaignant en même temps du fait qu’il ne s’agit malheureusement pas d’un cas isolé, vu l’augmentation du nombre d’attentats contre la vie des enfants, victimes d’abus sexuels. « L’Église -continue le texte- exprime sa solidarité envers cette enfant et toutes les victimes de ces actes brutaux, et envers leurs familles ». Le texte rappelle que l’Église est toujours en faveur de la vie.
De même les évêques de la région Nord-est 2 de la CNBB ont diffusé un communiqué suite à ce fait, rappelant que l’« Église est toujours en faveur de la vie, de sa conception jusqu’à sa mort naturelle ». Un principe qu’elle a toujours maintenu, même à l’époque du Régime militaire instauré en 1964, pendant lequel elle a défendu les droits de l’homme des persécutés, des torturés et des réfugiés politiques.
« Nous vivons dans une société pluraliste - lit-on dans le texte - dans laquelle les États se structurent et se donnent une législation qui reflète la culture dominante, qui ne respecte pas les principes éthiques naturels ». C’est pourquoi « ce qui est protégé par la loi ne peut pas toujours être identifié avec les principes éthiques et les valeurs morales ».
Pour les catholiques, rappellent les évêques, « le commandement du Seigneur “tu ne tueras pas” a toujours la priorité ».
Quant au cas concret de cette enfant, les évêques expriment leur totale désapprobation, se plaignant qu’on n’ai pas procédé avec la tranquillité nécessaire, avec sérénité, et qu’on n’ait pas respecté le temps demandé par la situation. (RG)
Source : Agence Fides.
Article de L’Osservatore Romano du 15 mars 2009
Message de Mgr Rino Fisichella, président de l’Académie pontificale pour la vie, paru dans l’édition en italien de L’Osservatore Romano le 15 mars 2009.
Du côté de la petite fille brésilienne
Le débat sur certaines questions s’enflamme souvent et les différents points de vue ne permettent pas toujours de comprendre combien l’enjeu est important. C’est là qu’il faut aller à l’essentiel et laisser un instant de côté ce qui ne concerne pas directement le problème en question. Le cas, dans son caractère dramatique, est simple. Il s’agit d’une jeune fille innocente que l’on doit regarder droit dans les yeux, sans détourner un instant le regard, pour lui faire comprendre à quel point nous l’aimons.
Nous l’appellerons Carmen ; ces derniers mois à Recife, au Brésil, elle a été violée à plusieurs reprises par son jeune beau-père à l’âge tendre de neuf ans, elle est tombée enceinte de jumeaux et sa vie ne sera plus facile. La blessure est profonde car la violence entièrement gratuite l’a détruite intérieurement et elle lui permettra difficilement, à l’avenir, de regarder les autres avec amour.
Carmen représente une histoire de violence quotidienne ; elle n’est apparue sur les pages des journaux que parce que l’archevêque de Recife s’est empressé d’infliger l’excommunication aux médecins qui l’ont aidée à interrompre la grossesse. Une histoire de violence qui, malheureusement, serait passée inaperçue tellement nous sommes habitués à entendre chaque jour des faits d’une gravité sans égale, si cela n’avait été pour le bruit et l es réactions suscitées par l’intervention de l’évêque.
La violence sur une femme, déjà grave en soi, prend une valeur encore plus condamnable lorsque celle qui la subit est une petite fille sans défense, avec la condition aggravante de la pauvreté et de la misère sociale dans lesquelles elle vit. Il n’existe pas de langage approprié pour condamner ces faits et les sentiments qui en dérivent sont souvent un mélange de colère et de rancœur qui ne s’assoupissent que lorsque la justice est réellement rendue et que l’on a la certitude que la peine infligée au criminel en question sera purgée.
Carmen devait tout d’abord être défendue, embrassée, caressée avec douceur pour lui faire sentir que nous étions tous avec elle ; tous, sans aucune distinction. Avant de penser à l’excommunication, il était nécessaire et urgent de sauvegarder sa vie innocente et de la ramener à un niveau d’humanité dont nous, les hommes d’Eglise, devrions être des annonciateurs experts et des maîtres. Il n’en a pas été ainsi et, malheureusement, la crédibilité de notre enseignement s’en ressent, apparaissant aux yeux de tant de personnes comme insensible, incompréhensible et privé de miséricorde.
Il est vrai, Carmen portait en elle une autre vie innocente comme la sienne, bien qu’elle soit le fruit de la violence, et elle a été supprimée ; toutefois, cela ne suffit pas pour rendre un jugement qui pèse comme un couperet. Dans son cas, la vie et la mort se sont affrontées. A cause de son très jeune âge et des conditions de santé précaire, sa vie était sérieusement en danger à cause de la grossesse en cours. Comment agir dans ces cas ? Une décision difficile pour le médecin et pour la loi morale elle-même. Des choix comme celui-ci, même si les cas sont différents, se répètent quotidiennement dans les salles de réanimation et la conscience du médecin se retrouve seule en face d’elle-même dans l’acte de devoir décider ce qu’il y a de mieux à faire.
Cependant, personne n’arrive à une décision de ce genre avec désinvolture ; le seul fait de le penser est injuste et blessant. Le respect dû au professionnalisme du médecin est une règle qui doit concerner chacun et qui ne peut pas permettre de parvenir à un jugement négatif sans avoir auparavant considéré le conflit qui s’est créé en lui.
Le médecin porte avec lui son histoire et son expérience ; un choix comme celui de devoir sauver une vie, sachant qu’il met sérieusement en danger une deuxième vie, n’est jamais vécu avec facilité. Bien sûr, certains s’habituent aux situations au point de ne plus éprouver la moindre émotion ; dans ces cas, cependant, le choix d’être médecin se réduit à n’être qu’un métier vécu sans enthousiasme et subi passivement. Toutefois, faire d’un cas une généralité serait non seulement incorrect mais injuste.
Carmen a reproposé un cas moral parmi les plus délicats ; le traiter de manière hâtive ne rendrait justice ni à sa personne fragile ni à ceux qui sont concernés à divers titres dans l’affaire. Comme chaque cas particulier et concret, il mérite cependant d’être analysé dans sa particularité sans généralisations.
La morale catholique a des principes qu’elle ne peut pas ignorer même si elle le voulait. La défense de la vie humaine dès sa conception en fait partie. Il se justifie par le caractère sacré de l’existence ; en effet, chaque être humain, dès le premier instant, porte imprimé en lui l’image du Créateur et c’est pourquoi nous sommes convaincus que doivent lui être reconnus la dignité et les droits de chaque personne, le premier d’entre eux étant son intangibilité et son inviolabilité. L’avortement a toujours été condamné par la loi morale comme un acte intrinsèquement mauvais et cet enseignement demeure inchangé à notre époque, depuis l’aube de l’Église.
Le Concile Vatican II, dans Gaudium et spes, comme on le sait un document d’une grande ouverture et attention dans ses contenus en référence au monde contemporain, utilise de manière inattendue des paroles sans équivoque et très dures contre l’avortement direct. La collaboration formelle elle-même constitue une faute grave qui, lorsqu’elle est accomplie, conduit directement en dehors de la communauté chrétienne. Techniquement, le Code de droit canonique utilise l’expression latae sententiae pour indiquer que l’excommunication a lieu au moment même ou le fait se produit.
Nous considérons qu’il n’était pas nécessaire de rendre si vite public et avec autant de publicité un fait qui se produit de manière automatique. Ce dont nous ressentons le plus le besoin en ce moment est le signe d’un témoignage de proximité avec celui qui souffre, un acte de miséricorde qui, tout en conservant fermement le principe, est capable de regarder au-delà du domaine juridique pour parvenir à ce que le droit lui-même prévoit comme objectif de son existence : le bien et le salut de ceux qui croient dans l’amour du Père et de ceux qui accueillent l’Évangile du Christ comme les enfants, ceux que Jésus appelait à ses côtés et serrait dans ses bras en disant que c’est à ceux qui sont comme eux qu’appartient le royaume des cieux.
Carmen, nous sommes avec toi. Nous partageons avec toi la souffrance que tu as éprouvée, nous voudrions tout faire pour te rendre la dignité dont tu as été privée et l’amour dont tu auras encore plus besoin ; ce sont d’autres personnes qui méritent l’excommunication et notre pardon, non pas ceux qui t’ont permis de vivre et qui t’aideront à retrouver l’espérance et la confiance malgré la présence du mal et la méchanceté de nombreuses personnes.
Source : ZENIT.org