Discours du cardinal André Vingt-Trois pour l’ouverture de l’Assemblée plénière des évêques de France.

Lourdes – Mardi 31 mars 2009

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Tout au long de ces dernières semaines mouvementées, j’ai souvent pensé à la barque entraînée dans la tempête et aux apôtres qui voyaient dormir Jésus. Le sommeil du Christ leur apparaissait comme une absence et un abandon au moment du danger.

Les apôtres lui disent : « Maître, cela ne te fait rien que nous périssions ! » Très souvent, ce cri est monté à mes lèvres. J’avais sans doute besoin de m’entendre dire : « Pourquoi avez-vous si peur ? N’avez-vous pas encore de foi ? ». En vous partageant cette prière, je ne veux ni dramatiser ni spiritualiser à l’excès ce que nous avons vécu, mais simplement nous inviter à nous situer au niveau de la réalité profonde de l’Église.

Si, au cours des siècles, les coups de vent ne lui ont jamais manqué, ils ont été particulièrement violents ces temps derniers. La préparation insuffisante de la levée des excommunications qui confrontait subitement le Pape au négationnisme de Mgr Williamson, l’annonce du décret avant que les évêques en fussent informés, étaient des dysfonctionnements évidents des services concernés. En votre nom, j’ai écrit au Pape et je l’ai rencontré pour lui dire notre soutien et combien de tels procédés étaient néfastes et ruineux pour son projet de réconciliation. Nous avons réagi selon nos moyens et nos tempéraments. Tous nous avons exprimé notre attachement fidèle au Pape et notre rejet de l’antisémitisme dont Mgr Williamson était l’expression la plus affreuse.

Comme le Pape, nous avons tous manifesté notre attachement à nos relations cordiales avec la communauté juive. Lors de notre récente rencontre avec des personnalités juives à New-York et à Washington, nous avons pu mesurer combien les pas franchis depuis plusieurs décennies et la confiance mutuelle pouvaient nous aider à surmonter des crises comme celle que nous venons de vivre. Le négationnisme a évidemment tenu une certaine place dans nos entretiens, mais sans que le soupçon pèse sur nous ni sur le Pape. Ce fut plutôt l’expression d’une conviction commune à l’égard de toutes les manifestations d’antisémitisme.

J’ai dit aussi au Pape que l’émotion soulevée dans notre Église, en France, n’exprimait pas seulement la hargne des spécialistes de l’opposition à l’institution ni le désir de nuire à l’Église, même s’ils étaient réels et sont bien apparus depuis ! Parmi les chrétiens et d’autres, la tristesse et la déception manifestaient aussi un réel attachement à l’Église ou, au moins, une certaine attente à son égard. La note de la Secrétairerie d’État puis la lettre personnelle du Pape aux évêques ont rassuré sur les conditions d’octroi d’un statut canonique à la Fraternité Saint Pie X.

La méfiance qui s’était installée se dissipera avec la rapide mise en œuvre des décisions annoncées par le Pape quant à la Commission Ecclesia Dei. Les changements nécessaires confirmeront la fermeté exprimée par le Pape pour l’organisation des procédures à venir. Mais déjà nous pouvons adresser au Saint Père l’expression de notre reconnaissance pour sa lettre personnelle adressée aux évêques, pour la confiance qu’elle exprime et pour l’exemple qu’elle nous donne.

Dans ce moment où l’on assiste à un déchaînement de haine contre la personne de Benoît XVI, nous voulons lui dire collégialement notre affection et notre communion profonde. Au moment de l’épreuve, les évêques de France ne font pas défaut au Pape. Tous l’ont dit à plusieurs reprises au cours de ces semaines et nous le répétons volontiers aujourd’hui.

Nous y sommes d’autant plus résolus que les déclarations des responsables de la Fraternité Saint Pie X et leur médiatisation calculée font clairement apparaître leur opinion radicale sur une Église dans laquelle ils veulent « rétablir la foi ». Je précise qu’il s’agit de l’Église catholique romaine dont Benoît XVI est le Pape, et nous les évêques.

La tendance des médias, et donc de l’opinion publique, à nourrir leurs réactions de polémiques plus que d’informations rendait inévitable le déclenchement d’une campagne de presse dans laquelle les inexactitudes n’ont guère troublé les experts en déontologie.
Si nos réactions ont été sereines et argumentées, nous ne pouvons pas ignorer que pour beaucoup des membres de notre Église, les médias sont leur principale source d’informations, y compris sur la vie de notre communauté et qu’ils accordent facilement crédit à ce qui est dit ou écrit, sans aller chercher beaucoup plus loin.

Pour autant, il ne me semble pas que nous devions nous laisser entraîner dans la surenchère médiatique qui est plus souvent la mise en scène d’une « affaire » que l’organisation d’un véritable débat.

Nous en avons un autre exemple avec la question douloureuse de l’excommunication de Recife. Toute l’affaire fut médiatisée sans apporter aucune information critique sur ce qui s’est réellement passé, aucun éclairage ni sur les circonstances particulières, ni sur l’enjeu politique au Brésil et les groupes partisans qui s’en sont emparés.

Il va sans dire, mais il va encore mieux en le disant, que nous avons tous pris part à la souffrance de cette petite fille et de sa mère, souffrance malheureusement partagée par beaucoup d’enfants et de familles au Brésil. Nous pouvons avoir un jugement pastoral différent de celui de l’archevêque de Recife et le dire. Mais nous le faisons en respectant et cet évêque et la Conférence épiscopale brésilienne et sa prise de position courageuse.

Nous avons encore eu un ouragan médiatique avec l’affaire montée à partir des propos du Pape dans l’avion qui le menait au Cameroun. La polarisation exclusive sur la question du préservatif a occulté tout le reste des propos du Pape sur la responsabilité humaine dans les relations sexuelles, sur le sida, ses paroles de compassion, sa demande de la gratuité des thérapies pour l’Afrique etc. Les discours importants prononcés par le Pape quand il a fait appel à des changements réels et profonds dans la vie publique et quand il a dénoncé une violence endémique ont été effacés. Les premiers intéressés, les Africains, évêques, hommes d’état et simples citoyens, ne se sont pas privés de dire ce qu’ils pensaient de cette campagne médiatique venue d’ailleurs. L’accueil réservé au Pape par les Africains suffisait à en témoigner.

Les soubresauts de notre vie ecclésiale ne doivent pas nous faire oublier que notre société est traversée par une crise d’une autre ampleur. Mais peut-être certains ne sont-ils pas fâchés que nous leur fournissions des dérivatifs… La crise économique qui a débuté il y a quelques mois est encore loin d’avoir fait sentir tous ses effets et elle entraînera nécessairement un appauvrissement général qui touchera plus durement les personnes les plus fragiles de notre société : les chômeurs, les jeunes en précarité, les immigrés, etc. Nous aurons l’occasion d’y réfléchir au cours de notre assemblée.

Comme nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises, ce qui est en cause, c’est la logique même de notre fonctionnement économique dont le dynamisme repose sur l’expansion indéfinie des revenus et de la consommation. Imaginer que cette consommation puisse être assurée par la seule répartition des fonds publics est un leurre et une tromperie.

Jusqu’à présent, notre pays n’a pas encore été touché aussi fortement que d’autres, mais nous sommes encore loin de la sortie de la crise. Déjà en 1982, notre conférence appelait des « Nouveaux modes de vie. » C’est à de nouveaux modèles que nous devons travailler, nouveau modèle de production agricole, nouveau modèle de développement économique, nouveau modèle d’échanges avec les pays pauvres, nouveau modèle de gestion des ressources naturelles.

Dans l’immédiat, tous sont confrontés à des contraintes qui nous obligent à revoir nos modèles de consommation. Nous-mêmes, comme tous nos concitoyens, nous savons que notre Église verra probablement ses ressources diminuer et devra se préoccuper elle aussi du volume de ses charges et faire les arbitrages nécessaires.

A l’occasion de cette crise, les situations d’injustice dans les départements d’Outre-mer ont été rendus plus visibles et moins supportables. Avec les évêques des Antilles et de la Réunion qui se sont rencontrés à Paris au mois de février, nous avons eu une information circonstanciée sur les enjeux des conflits qui se sont déclarés, des injustices qui en sont la cause, des manœuvres politiques qu’ils ont permises.

Nous voulons dire à nos frères évêques et à nos compatriotes d’Outre-mer que nous suivons avec attention ce qui se passe chez eux et nous voulons aussi être attentifs aux antillais et réunionnais vivant en Métropole et qui sont inquiets pour les leurs.

L’extension de la crise économique suscite des réflexes protectionnistes prévisibles. Ce protectionnisme se développe aussi dans la communauté européenne. La chute du mur de Berlin, il y a maintenant vingt ans, avait ouvert les chemins difficiles d’un élargissement vers l’Est. Vaille que vaille, cet élargissement s’opère et avec lui s’imposent de manière inéluctable les obligations d’une véritable solidarité entre les États.

Depuis plus d’un demi-siècle, l’Union européenne a apporté la paix et les conditions d’un réel développement économique dans une certaine solidarité. Certes, notre Europe n’est pas parfaite, mais elle ne pourra pas progresser sans une véritable mobilisation des citoyens. Les prochaines élections au Parlement européen doivent exprimer notre attachement à l’Europe et nous ne manquerons pas d’inviter les catholiques à prendre leurs responsabilités. Nous aurons à nous prononcer sur le modèle d’Europe que nous voulons soutenir et développer.

L’Europe est aussi l’arrière-fond sur lequel s’inscrivent les législations nationales concernant la dignité humaine. En France, la révision prochaine des lois dites de « bioéthique » pour laquelle nous avons engagé un travail de plusieurs années ne saurait laisser personne indifférent. Nous ferons le point sur les démarches entreprises en vue des États généraux à venir.

Sans prétention déplacée, il semble que les décisions qui seront prises chez nous auront un certain retentissement en Europe. Nous ne devons pas céder à la surenchère des lobbies qui cherchent à provoquer le basculement des décisions transgressives d’un pays à l’autre. Le bonheur des hommes n’est pas la somme des plus petites exigences ramenées à un commun dénominateur. Légiférer en ce domaine ne saurait consister à s’aligner sur les pays les plus permissifs.

Le récent projet de loi sur des délégations de l’autorité parentale souligne bien un travers de notre société : le recours constant à de nouvelles lois pour trouver des solutions à des difficultés réelles mais très partielles. Chaque épisode fonctionne comme s’il n’existait encore aucune solution légale ou comme si une nouvelle loi avait pour principal objectif de promouvoir des requêtes particulières à la dignité de cause universelle. La pauvreté du dialogue social et des médiations rejette sur la loi et ses applications judiciaires toute la gestion des conflits particuliers. Remplacer le débat social par l’action judiciaire n’est pas au bénéfice de la démocratie.

En faisant le point sur nos groupes de travail « Études et projets », nous poursuivrons notre recherche sur les différents dossiers qui ont été choisis : nouvelles pauvretés, enseignement supérieur catholique, bioéthique, indifférence religieuse, etc. Comme vous le voyez, le programme de cette assemblée sera assez chargé.

Nous avons voulu cependant respecter l’engagement pris de réserver un temps pour les rencontres des commissions et des conseils qui se situera mardi soir. Sans plus tarder, nous pouvons passer à notre débat sur l’actualité.

+ André cardinal Vingt-Trois,
Archevêque de Paris,
Président de la Conférence des évêques de France

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