Intervention du cardinal André Vingt-Trois sur la formation des candidats au sacerdoce

Dublin (Irlande) – Mercredi 13 juin 2012

À l’occasion du Congrès eucharistique de Dublin.

La formation des candidats au sacerdoce

Introduction

Les prêtres que Dieu nous donne

Depuis plusieurs dizaines d’années, des livres, des articles, ou des colloques posent cette question : « Quels prêtres voulons-nous pour l’Église de demain ? ». Je ne sais pas si ceux qui parlent ainsi ont la naïveté de croire que nous aurions la capacité de définir à l’avance un profil de prêtre, et qui plus est de mettre en œuvre une formation pour l’obtenir tel qu’il a été planifié ! Mais à force de poser cette question, on finit peut-être par se donner l’idée que l’on aurait la capacité de définir ce que devra être le prêtre de demain. Pour ma génération, le recul dont nous disposons nous permet de constater d’abord que nous avons vécu un ministère sacerdotal qui n’a pas correspondu du tout à ce que l’on attendait, et que nous avons même assisté à un changement profond de la forme du ministère sacerdotal sans aucun anticipation de ce qui allait se passer.

Ceci signifie que si l’on considère que la formation au séminaire est vraiment une période d’investissement pour préparer l’avenir, il ne faut pas se tromper d’objectif. On ne prépare pas les ministres de demain en aidant les candidats au Sacerdoce à entrer dans une forme définie d’exercice du ministère sacerdotal. Mais, alors, me direz-vous, à quoi les prépare-t-on ?

Le séminaire comme temps de préparation au sacrement de l’ordre

Pour répondre à cette première question sur l’objectif de la formation sacerdotale, je voudrais paradoxalement souligner une autre difficulté de cet itinéraire : l’inconfort des années de préparation au ministère sacerdotal est qu’elles préparent à quelque chose qui ne sera donné qu’au terme de cet itinéraire. Dans n’importe quel schéma de formation, il y a une relative continuité des études à l’exercice d’un métier, même si celui qui est encore élève n’est par définition pas encore diplômé. L’étudiant peut faire des stages, vivre des expériences professionnelles pour lesquelles il accomplit réellement des tâches du même ordre que celles qu’il accomplira dans sa vie professionnelle. Si nous ne voulons pas faire du sacerdoce une simple institution fonctionnelle, il nous faut reconnaître que c’est tout autre chose ! Le séminariste n’est pas un apprenti prêtre ou un apprenti diacre, et la formation ne consiste pas à lui apprendre à faire ce qu’il fera lorsque qu’il sera ordonné. Plus qu’un lieu d’apprentissage, le séminaire est donc un lieu qui prépare à recevoir une configuration particulière au Christ Pasteur et unique Grand Prêtre. C’est à l’intérieur de cette configuration, et non parallèlement, que le prêtre (ou le diacre) reçoit une part de la charge de gouvernement, d’enseignement et de sanctification confiée par le Christ aux apôtres. L’enjeu de la formation n’est donc pas d’apprendre des tâches mais de préparer, de creuser, d’harmoniser chez le candidat au sacerdoce les dispositions qui préparent à la configuration au Christ tête.

Ce constat a deux conséquences. La première a une certaine importance même si je la laisserai hors de mon propos aujourd’hui : la formation initiale du prêtre ne s’arrête pas avec l’ordination, sans encore parler de la formation continue. Elle doit être soigneusement accompagnée durant les premières années du ministère, quand la personnalité sacerdotale se met en place dans l’exercice du ministère et la grâce de l’ordination. À Paris et dans d’autres diocèses de France, nous sommes très attentifs aux trois premières années, et parlons parfois des dix ans de formation : une année de fondation spirituelle, six années de séminaire et trois premières années de sacerdoce.

À quoi appelons-nous ?

La deuxième conséquence est l’exigence pour nous, de définir clairement ce qui fait le propre, l’essence, le cœur du sacerdoce ministériel. Si nous reconnaissons que la formation n’est pas l’apprentissage de pratiques ou l’accumulation d’expériences, mais la construction d’une personnalité chrétienne et sacerdotale, nous saurons mieux définir les dynamismes sur lesquels nous voulons agir et les questions auxquelles nous voulons répondre au cours de la formation. Ceci me semble d’autant plus important que devant la rareté des vocations, beaucoup sont tentés de considérer que la vocation de prêtre diocésain est celle que choisit celui qui se sait appelé, lorsqu’il a éliminé toutes les formes de consécration plus modernes, exotiques ou prestigieuses ! Si nous voulons continuer d’appeler, et être crédible, nous devons donc être capables de dire ce qui fait l’essence de cette vocation.

Mon propos s’articulera donc autour de quatre grandes caractéristiques du sacerdoce diocésain. D’autres éléments pourraient certainement être ajoutés. Mais je voudrais expliciter au moins ces quatre-là et expliquer comment nous essayons de les intégrer dans le projet du Séminaire de Paris. Vous me pardonnerez de me référer principalement à l’exemple de cette institution, qui est tout de même celle que je connais le mieux, puisque le cardinal Lustiger m’avait associé il y a plus de trente ans aux réflexions qui ont conduit à sa fondation et que, comme archevêque de Paris, je suis en charge directe de cette institution depuis plus de sept ans.

I. Les prêtres coopérateurs de l’évêque

Le Concile Vatican II a affirmé à plusieurs reprises que l’évêque est le premier responsable de la formation des prêtres (OT 4 et 5, PO 19), ne serait-ce que parce qu’il doit s’associer des collaborateurs dans l’exercice de son ministère apostolique. Ceci sera repris et développé dans Pastores Dabo Vobis et inscrit aussi bien dans le Directoire pastoral des Évêques que dans le Code de Droit Canonique. Or en France, comme dans d’autres pays, jusque dans les années 1970-80, l’organisme de formation des séminaristes ne dépendait pas directement des évêques même s’il était au service de l’évêque. Les séminaires étaient animés par des corps de formateurs de qualité mais n’appartenant pas toujours directement au presbyterium diocésain : prêtres sulpiciens, eudistes, lazaristes ou spiritains par exemple. Ces institutions accomplissaient leur mission en gardant un lien attentif aux directives des évêques, mais pratiquement, on pourrait dire que la formation se trouvait déléguée voire subdéléguée.

Pour que l’évêque exerce concrètement sa responsabilité vis-à-vis de la formation, il ne suffisait donc pas qu’il le veuille. Encore fallait-il qu’il se forme lui-même à cette question, qu’il suscite une certaine mobilisation du presbyterium diocésain autour de cette réalité, qu’il réfléchisse et affine un projet précis, qu’il suscite un noyau unifié de formateurs parmi les prêtres du diocèse, et surtout qu’il aide à tenir les options choisies de manière claire et cohérente sur un temps long, d’au moins 15 ou 20 ans ! À Paris, comme dans les expériences de fondations récentes de séminaires, ce travail ne s’est donc pas fait en un jour et je vous fais grâce des détails de l’histoire.

Mais, pour rejoindre le thème de cette journée du Congrès eucharistique, je crois que le fait que le diocèse de Paris ait pris à sa charge la formation des prêtres, a entraîné une prise de conscience du presbyterium de sa responsabilité par rapport à son propre avenir. Si l’évêque prend directement à sa charge la formation des séminaristes, si les formateurs sont des prêtres diocésains, alors l’ensemble des prêtres ne peut pas se situer comme dans un système où des gens, d’une manière ou d’une autre, se chargent de trouver les candidats et de les former, le presbyterium n’ayant plus qu’à les recevoir. Progressivement s’impose la conviction d’un enjeu commun dans la participation à la formation des prêtres.

Pour aller plus loin, je crois que ceci peut avoir des conséquences sur la manière du presbyterium d’exercer son ministère. Aujourd’hui, tout le monde est convaincu que le ministère sacerdotal doit être exercé d’une manière qui comporte une dimension communautaire. Mais une fois que l’on a dit cela, il n’est pas aisé d’avancer. Nous devons faire la part entre les effets de mode ou le discours courant de ceux qui commencent leur formation, et ce qui tient à l’essence de la vocation sacerdotale. Or, l’exégèse des situations évangéliques dans lesquelles le Christ constitue le ministère apostolique peut nous donner une ligne de référence. Les douze sont toujours appelés ensemble et sont, dès le début, constitués comme un groupe autour du Christ. Même si chacun est appelé personnellement, ces appels individuels sont simultanés.

Comment pouvons-nous donc mettre en œuvre cette dimension communautaire dans notre exercice du sacerdoce ministériel aujourd’hui ? Est-ce simplement de l’ordre de la conscience d’appartenir à un presbyterium qui est la couronne des collaborateurs de l’Evêque, mais sans que cette participation n’ait d’effets pratiques quotidiens ? Entre cette conviction fondamentale que nous participons d’une communion sacramentelle et l’organisation de la vie du prêtre et de son ministère, il y a beaucoup de modalités possibles.

Reste que cette dimension communautaire du ministère, quelles qu’en soient les modalités, doit pouvoir s’enraciner profondément durant le cheminement vers le Sacerdoce, qui est lui aussi un cheminement communautaire. Durant les années de formation, chaque séminariste apprend à gérer deux registres ne s’excluant et ne s’identifiant pas non plus l’un l’autre.

1. En premier, il y a le registre du discernement personnel dans lequel il va éprouver la vocation au sens du discernement des esprits : Qu’est-ce qui me motive ? Qu’est-ce qui me fait cheminer vers le Sacerdoce ? Quels sont les signes que je perçois que cette motivation et ce cheminement répondent à un appel de Dieu ? Ou au contraire sont-ils un fruit de mon propre intérêt, ne correspondant pas à un appel de Dieu ? Ce premier registre est fondé dans la prière et les rencontres avec le père spirituel. Il est lié à un acte de liberté personnelle.

2. Et en même temps, c’est le second registre, chaque séminariste fait la découverte que le cheminement dans lequel il est engagé ne peut avoir sa plénitude de sens que s’il est vécu de manière communautaire. Même si tous les indicateurs de discernement personnel sont positifs, ils ne trouveront leur fécondité plénière que s’ils sont vécus dans une démarche d’Église, dans une communion de l’Église.

Ces deux registres, ces deux manières d’aborder la réponse à l’appel de Dieu, doivent se refléter dans l’organisation de la vie au Séminaire, sur le temps que l’on préserve pour la prière, la réflexion personnelle, sur le temps que l’on consacre à un effort communautaire et de vie fraternelle. C’est pour cela que nous avons opté à Paris pour un seul séminaire en plusieurs communautés composées de 8 à 12 séminaristes avec un ou deux prêtres formateurs. Vous voyez bien qu’il ne s’agit pas seulement de favoriser l’implication individuelle de chacun dans la vie commune, plus facile à esquiver dans une grande communauté, mais plus profondément de se donner les meilleures chances, à travers un partage communautaire et une vie fraternelle intenses, d’intégrer les contraintes, les découvertes, les richesses et les appels à la conversion que représente une communion de quelques individus dans la structuration d’une humanité en vue de l’ordination. Cette médiation de la communion ecclésiale à travers ce petit noyau permet de progresser dans ce sens de la communion ecclésiale et aussi presbytérale.

Cette expérience de la vie fraternelle communautaire s’appuie au premier cycle sur une paroisse dans laquelle la maison des séminaristes est implantée, le responsable de la maison étant généralement le curé de la paroisse. Ceci aide les jeunes à découvrir ce qu’est la vie paroissiale autrement qu’à travers la messe du dimanche, et leur donne une familiarité quotidienne des gens qu’on rencontre dans la paroisse. En second cycle, cette expérience s’appuie sur des activités apostoliques qui permettent aux séminaristes de parcourir différentes situations dans le diocèse (aumônerie d’hôpitaux, aumôneries de jeunes, autres paroisses). Mais au premier comme au second cycle, dans le cadre d’une paroisse ou au travers d’autres activités apostoliques, il est évident que cette insertion dans le tissu ecclésial est toujours un élément au service de la formation.

II. L’actualité sacramentelle de la mission de l’Église

Vous me permettrez ici un petit détour théologique : les sacrements de l’Église ne sont pas simplement des dons que Dieu fait aux hommes pour satisfaire leurs besoins et leurs désirs personnels. Ce sont des actes qui donnent forme à l’élection et simultanément à la mission par lesquelles Dieu construit son Peuple. Si l’on ne garde que la dimension d’élection des sacrements (Dieu me choisit et me donne sa grâce), et que l’on oublie la mission qui est attachée à cette élection, les sacrements risquent toujours d’apparaître comme des moyens d’expression d’une spiritualité personnelle, ou même d’une simple appartenance familiale ou culturelle, qui peuvent être vertueuses et généreuses, mais ne sont pas l’exercice de la mission de l’Église. Une telle vision prive de l’efficacité du sacrement, puisqu’elle ignore la mission dans laquelle la grâce sacramentelle s’épanouit jour après jour.

Pour le sacrement de l’ordre, ceci signifie que fondamentalement, on ne devient pas prêtre ou diacre pour accomplir un projet personnel, ou par attrait pour telle ou telle forme d’exercice du sacerdoce. Un tel désir n’est pas forcément mauvais, mais il aura besoin d’être repris, ré-assumé dans la mission sacramentelle de l’Église accomplie par le ministère du Christ confié aux évêques et à leurs collaborateurs, les prêtres et les diacres. Le temps de la formation au séminaire devra donc développer cette capacité à répondre à cette actualité de la mission de l’Église dans le moment, le lieu et la communauté où l’on se trouve. Il devra permettre de comprendre intérieurement comment l’imprévu de toute vie chrétienne et de la vie de toute communauté ne peut être assumé avec fécondité que dans l’actualité du Christ livrée dans les sacrements. Il devra faire grandir cette aptitude spirituelle à interpréter les situations au présent, à discerner et à définir les objectifs et à les mettre en relation avec l’appel de l’Église.

En France comme en beaucoup d’autres lieux, nous recevons des jeunes qui ont une expérience de l’Église très variable, très inégale. Alors qu’il y a cinquante ans ou plus, la vie d’Église c’était la vie paroissiale, aujourd’hui, un certain nombre de ceux qui entrent au Séminaire ont vécu les moments marquants de leur vie chrétienne soit à travers des expériences ponctuelles (Journées Mondiales de la Jeunesse, pèlerinages…), soit à travers des mouvements de jeunes, des établissements scolaires ou des communautés nouvelles ayant leurs caractéristiques propres. Il nous faut donc les aider à se représenter l’échelle diocésaine ou l’échelle institutionnelle de l’Église, à partir de ces expériences très particulières, sans les disqualifier bien-sûr, mais en sachant les intégrer et les articuler avec une vision unifiée de l’Église, qui est beaucoup plus large que chaque expérience particulière. La formation est un moment idéal pour faire découvrir à ces jeunes, à travers l’expérience quotidienne, que la vie de l’Église, la vie en Église, n’est pas simplement d’appartenir à un groupe, à une communauté, à une expérience, mais d’accepter d’entrer dans une communion où ces différentes expériences particulières vont se trouver confrontées à travers la rencontre des participants.

Cette confrontation, cette rencontre, ce partage de l’expérience ecclésiale, peut évidemment se réaliser de toutes sortes de façons. À Paris, il nous a semblé que les Maisons du Séminaire, dont j’ai déjà parlé, favorisaient la découverte concrète et fine des expériences particulières, qu’elle donnait la capacité de les accueillir, de les mettre en dialogue les unes avec les autres et de construire, laborieusement et quotidiennement, une vie fraternelle qui respecte les particularités de chacun, et engendre et nourrisse peu à peu une certaine conscience de corps.

III. La consécration au Christ et le célibat sacerdotal

Laïcs ou prêtres, l’existence chrétienne nous fait tous entrer dans l’oblation du Christ. La vie sacramentelle nous conforme réellement à la personne du Christ, même si la transcription existentielle de cette réalité est toujours fragile et sans cesse à reconstruire. Sauf à en faire un fonctionnaire du sacré, le baptisé devenu prêtre vivra toujours cette consécration, mais il la vivra d’une manière nouvelle dans ce qui le constitue dans son être de prêtre. Nous savons que le Concile a expliqué qu’il existait entre ces deux formes de consécrations, celle du prêtre et celle du baptisé, une « différence de nature et pas seulement de degré » (LG8). Pour s’y préparer, comme nous l’avons déjà dit, nous ne pouvons demander aux séminaristes de « jouer aux prêtres » pour vivre déjà de ce qu’ils recevront dans l’ordination. Reste que, sans pouvoir anticiper la nouveauté qui sera alors donnée, celle-ci se prépare par la conversion de vie, et la remise entière de soi au Christ. C’est pourquoi un itinéraire de préparation au sacerdoce nous semble devoir offrir ce que j’appelle un lieu de décrochage de la volonté propre. Nous savons tous qu’un séminariste peut avoir une vie moralement admirable et dévouée, sans que ce soit encore le Christ qui mène la barque. Il faut donc que le mécanisme institutionnel mette en place les conditions qui favorisent ce décrochage, qui le rendent possible et enviable.

C’est l’objet de l’année de fondation spirituelle que le cardinal Lustiger a fondé en 1984. A travers l’apprentissage de l’oraison, de la vie liturgique, de la Lectio divina, à travers une grande retraite selon les Exercices de Saint-Ignace et un mois d’Experiment, la fonction principale de cette année est de permettre de vraiment couper les amarres. Ceci ne signifie pas que la conversion soit achevée en quelques mois. Mais cette année permet de commencer réellement ce travail, de poser un acte qui signifie : « J’accepte que ma vie soit remise au Christ et que ce soit vraiment lui qui la conduise ». D’ailleurs, tout ceci n’implique pas que celui qui vit cette année deviendra prêtre. Mais s’il a appris à abandonner la conduite de sa vie à Dieu, cela fera de lui un bon prêtre, un bon époux ou un bon religieux.

Ceci me semble d’autant plus utile que nous avons affaire à une génération de jeunes qui, d’une part, n’a que peu ou pas connu l’expérience des difficultés matérielles de la vie, et qui vit d’autre part le retard ou même la disparition des engagements définitifs. Certes, je sais bien qu’un certain nombre de nos séminaristes ont connu des difficultés matérielles, dans leur famille ou lorsqu’ils ont vécu seuls. Mais il demeure que l’ambiance collective entretient plutôt un certain irréalisme. Nous sommes aussi dans un système qui esquive les engagements, l’acceptation réaliste des contraintes et des limites de la vie. Il faut donc des lieux pour apprendre qu’on ne peut pas tout faire, qu’on ne peut pas être à la fois prêtre engagé dans le célibat et copain avec tout le monde, marié et célibataire, hétérosexuel et homosexuel, scientifique et littéraire, avec un emploi stable et une vie professionnelle aventureuse. Tout cela ne peut pas être mené de front. On ne peut donc pas reprocher aux séminaristes de ne pas avoir vécu ce qu’ils n’ont pas vécu, ou l’inverse, ou d’être marqué par la pensée dominante. Mais on sait, quand on les reçoit, qu’ils ont ce handicap d’un certain irréalisme tout à fait réel. Pour se structurer dans la liberté, chacun doit apprendre à poser un choix du Christ de plus en plus libre et entier. Quand on s’engage sur le chemin de la réponse à l’appel du Christ dans le Sacerdoce, on s’engage sur un chemin qui élimine beaucoup de choses. C’est une des fonctions de l’année de fondation spirituelle.

Enfin, ce point de la consécration touche aussi à la manière dont nous rendons compte du célibat sacerdotal lors de la formation. Nous ne devons pas en rester à une justification fonctionnaliste du célibat en termes de temps disponible ou de moyens financiers nécessaires pour élever une famille. Ces arguments ne résistent pas à une analyse un peu exigeante. Le sens profond du célibat se trouve dans la relation personnelle du prêtre avec le Christ et avec l’Église. Elle peut être caractérisée par cette phrase de Saint Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi. » (Ga 2, 20). Cette réalité qui appartient à la vie de tout baptisé s’exprime d’une manière particulière dans le ministère sacerdotal. C’est dans cette direction que grandira la détermination d’un séminariste à se donner au Christ.

IV. Le prêtre homme unifié par la Parole de Dieu

Pour un certain nombre de candidats au sacerdoce, leur histoire personnelle, familiale, le chemin par lequel ils sont arrivés, n’a pas été un chemin d’intégration mais plutôt de capitalisation d’expériences successives plus ou moins intenses, voire de conversion et de ruptures. Même si la conversion de la liberté est initiée, celle-ci n’est pas engagée dans une mission ou pas encore cristallisée pour une mission ecclésiale dans la communion au Christ. Il faut que notre organisation pallie cette difficulté ou cette lacune et aide les séminaristes à unifier les étapes qui n’ont pas été bien vécues préalablement.

Or, il est très exigeant pour une institution de formation de ne pas faire reposer la cohérence entre la formation spirituelle, la formation humaine et la formation théologique seulement sur la capacité individuelle de chacun, mais également sur sa propre cohérence. Nous voyons bien que l’organisation de la formation peut favoriser une sorte d’éclatement de ces fonctions entre des pôles différents. Et en même temps, nous savons bien qu’une sorte de schizophrénie inconsciente peut s’établir entre une vie spirituelle riche et psychologiquement très fournie, mais qui n’intègre pas la personne, les études, la vie communautaire, la liturgie... Nous connaissons tous les dégâts que ces décalages entrainent dans la vie de certains prêtres.

Nous voulons donc permettre aux séminaristes de découvrir qu’il y a des communications entre les différents domaines de la formation. Pour cela, il faut que nous soyons nous-mêmes porteurs d’une cohérence dont on ne va pas faire la théorie tous les jours mais qui va transparaître à travers l’organisation globale de la formation et la vie personnelle de tous ceux qui y participent. Ainsi, il me semble que la manière de vivre dans une communauté de taille modeste peut avoir un rapport avec la manière de faire de la théologie, la manière d’organiser les études, le sens et la place donnés à la vie spirituelle. Cette unité a besoin d’être réfléchie, proposée et sans cesse redécouverte.

C’est dans cet esprit que nous avons essayé de mettre en pratique une approche théologique qui intègre les orientations du Concile sur l’articulation de l’Écriture et de la Tradition et sur l’importance et la place de la réflexion philosophique par rapport à la société et à la culture dans lesquelles nous sommes. Pratiquement à Paris, ce fut le projet initié par la fondation de l’École Cathédrale, puis du Studium, puis de la Faculté de Théologie aujourd’hui intégrée dans le Collège des Bernardins. Au cœur de ce dispositif se trouve la mise en œuvre concrète d’une approche pédagogique qui ne consiste pas simplement à juxtaposer des traités, mais davantage à mettre en œuvre une pédagogie de l’interaction entre l’approche rationnelle, l’approche théologique et l’approche culturelle. En plus des cours dispensés aux séminaristes, une large part de l’étude philosophique, scripturaire ou théologique se pratique à travers ce que nous appelons les séminaires. Ceux-ci proposent à chaque étudiant d’approfondir sa réflexion à travers des travaux de groupes, des exposés et des débats, conduits par une équipe de plusieurs professeurs. L’accompagnement personnalisé des étudiants par un tuteur les aide à trouver leur régime et leur meilleur registre de fécondité selon leurs capacités, et à choisir les propositions pédagogiques qui les aident à entrer dans tel ou tel type de travail, surtout s’ils n’y sont pas préparés. Ces moyens favorisent la participation active des séminaristes à leur formation intellectuelle et leur évitent de se transformer en étudiants qui bachotent.

Conclusion

La préparation au sacerdoce est certainement une des missions les plus riches de la vie de l’Église : c’est un moment où l’on vit une sorte de rencontre incandescente de l’appel de Dieu, de la générosité même de la réponse à cet appel, de la disponibilité pour donner sa vie et d’une espèce d’immersion, de brassage, de toute la richesse de la Révélation chrétienne. Tout notre travail doit donc favoriser au maximum une communion dans la réponse à l’appel, pour aider les séminaristes à prendre conscience du sens du don total de soi, de l’engagement de la liberté, de l’importance du travail de la raison, de la grandeur de l’œuvre et de Dieu et de la grâce d’y être associé. Ce temps doit donc être marqué d’abord par la joie et par l’action de grâce.

+André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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