Interview du cardinal André Vingt-Trois dans La Vanguardia à l’occasion des JMJ

La Vanguardia – 16 août 2011

La Vanguardia – 16 août 2011
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Traduction française.

Paris a accueilli les JMJ en 1997. Quelle évolution avez-vous observée dans les JMJ des quatorze années suivantes (Rome 2000, Toronto 2002, Cologne 2005 et Sydney 2008), et quelles attentes avez-vous vis à vis des JMJ de Madrid ?

Il y a évidemment les différences liées aux pays. Le Canada n’est pas l’Australie ni l’Allemagne. Mais je pense aussi que la jeunesse n’est pas la même aujourd’hui qu’il y a quinze ans. Les dimensions mondiales des relations entre les peuples se sont développées. Dans ce sens, les J.M.J ont été prophétiques. Elles ont donné un signe de l’universalité de l’Église. Elles ont aidé à prendre conscience qu’il y a une nouvelle catégorie de “jeunes”. Ce ne sont plus seulement des adolescents, mais surtout des jeunes adultes entre 18 et 25 ans. Ils tiennent une place de plus en plus grande dans notre Église. Peut-être aussi que l’effondrement du marxisme a laissé une place vide pour l’espérance de beaucoup. Il me semble qu’il y a plus d’attentes chez les jeunes de maintenant. Qui peut nous indiquer un chemin de bonheur ?

Un représentation de la jeunesse africaine sera présent aux JMJ de Madrid. Ces jeunes nous parleront de la faim au Corne de l’Afrique. La crise économique dans nos pays nous a rendu nous occidentaux moins sensibles à la pauvreté des autres ?

Le premier message que nous envoie l’Afrique, c’est qu’il y a en 2011, des hommes et des femmes qui meurent de faim, et pas seulement pour des raisons climatiques...Il y a l’exploitation financière des ressources naturelles. Les Africains disent que leur continent est un des plus riches du monde en ressources et l’un des continents où l’on vit la très grande pauvreté. Les pays industrialisés ont profité et profitent des ressources de l’Afrique. Mais la crise économique des pays riches nous fait découvrir que la précarité n’a pas disparu sur la terre. Peut-être avons-nous vécu sur une illusion que nous avons fait payer à d’autres ?

Cette crise est en train de changer nos habitudes de société du bien-être. Quels valeurs de la pensée sociale de l’Église peuvent être présentés à la société occidentale en ce moment ?

Dans son encyclique Caritas in veritate, le Pape Benoît XVI a donné les grandes lignes d’un “développement intégral” de l’homme. En particulier, il a souligné notre responsabilité commune dans la gestion des ressources de la nature. Depuis longtemps, l’Église attire l’attention sur le déséquilibre d’une société tout entière construite sur le développement perpétuel de la consommation au mépris d’une utilisation maitrisée des biens. Nous devons changer le modèle de fonctionnement économique dans lequel le seul ressort de la production, et donc du travail, est la consommation d’un petit nombre. Nous devons déjà aider les jeunes à rencontrer la misère cachée de nos pays et à mesurer leur niveau de vie dans cette rencontre.

En mars dernier, Paris a accueilli aussi la première édition du Parvis des Gentils. Quelle activité du parvis a été la plus importante, et, à votre avis, comment ont répondu la culture et la politique françaises ?

Depuis des années, le diocèse de Paris est engagé dans un programme de travail sur la rencontre entre la sagesse chrétienne et les grandes questions de la vie sociale. Depuis trois ans, ce travail trouve une expression visible au Collège des Bernardins qui a été inauguré par le Pape en 2008. Le “Parvis des Gentils” a été un moment de cette histoire qui continue. Je crois que le plus important a été la rencontre avec des jeunes sur le parvis de la cathédrale. Là, vraiment des incroyants, souvent jeunes, sont venus parler avec les chrétiens. Les rencontres culturelles à l’UNESCO, à la Sorbonne et à l’Insitut consistaient davantage en des conférences entre personnalités universitaires. La plupart des intervenants étaient d’ailleurs des personnalités avec lesquelles nos travaillons habituellement. Le monde politique est resté largement absent.

Ici, nous avons l’impression qu’il y a dans la société française sécularisée une curiosité intellectuelle envers la religion qui n’existe pas en Espagne, et on se demande si le Parvis des Gentils comme structure de dialogue peut fonctionner dans toutes les sociétés européennes. Le risque en Espagne est la totale indifférence.

La question n’est pas de demander au Conseil pontifical pour la culture de faire notre travail. C’est à chaque pays, à chaque Église particulière, d’inventer son “Parvis des Gentils”. Je ne suis pas capable de comparer avec d’autres pays, mais il est vrai que nous trouvons en France un intérêt réel et, peut-être croissant, pour des questions philosophiques et religieuses. Un de nos objectifs est précisément d’appeler nos contemporains à sortir de l’indifférence et de les éveiller à “l’inquiétude” sur l’homme.

À Madrid, maintenant, une partie des indignés du 15-M cherchent de regagner la Puerta del Sol et critiquent la prochaine visite du Pape Benoît XVI. Qu’est-ce que l’Église peut dire à ces jeunes gens ?

Ce n’est pas ma mission de répondre à leurs questions à la place de mes frères évêques espagnols, d’autant moins que je connais peu leurs objectifs réellement politiques. L’indignation peut être compréhensible ; c’est une critique des responsables politiques et économiques. Ce n’est pas un programme d’action. Finalement que souhaitent-ils positivement ? Si j’ai bien compris, les élections législatives espagnoles ont été avancées. Ce sera le moment pour tous de dire démocratiquement quelle société ils veulent promouvoir et, pour tous, d’accepter le jugement des urnes !

Vous étiez avec les cardinaux des grandes diocèses européens réunis à Rome le 11 juillet avec Mgr Rino Fisichella pour parler de Nouvelle Évangélisation. Durant le Carême 2012, Paris, Barcelone et neuf cités animeront la Mission Métropole. Pourquoi commencer par des grandes villes ? En temps de globalisation, est-ce que les petites villes et le monde rurale ne sont pas sécularisés ?

Mgr Fisichella a souhaité choisir des métropoles ayant déjà une expérience commune de mission à l’échelle de leur ville, mais je crois que dans son esprit c’est une opération de lancement qui aura une suite dans d’autres villes et, pourquoi pas dans les campagnes ? Là aussi, nous devons nous inspirer des propositions faites par le conseil pontifical pour les adapter à nos situations particulières. Au moment du Jubilé de l’an 2000, nous avions lancé une mission dans cinq villes européennes sur 5 ans : Vienne, Paris, Lisbonne, Budapest et Bruxelles. Ce fut l’occasion d’un mouvement profond dans les paroisses qui ont participé. Cela demande une longue préparation. Nous continuons d’en récolter les fruits.

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