Interview du cardinal André Vingt-Trois dans Le Figaro : « Je ne suis pas le représentant d’un mouvement politique »
Le Figaro – samedi 31 mars 2012
Le cardinal archevêque de Paris [1] précise la position de l’Église catholique en cette période de campagne électorale.
Propos recueillis par Jean-Marie Guénois.
Les élections à venir ont-elles un enjeu différent de celles de 2007 ?
C’est une heure de vérité pour la France. Ces élections ont une importance particulière, car les élus vont devoir affronter les conséquences de la crise. Celle-ci ne va pas se réguler par des corrections marginales. Le phénomène préoccupant de l’endettement des États pose la question de l’habitude de vivre à crédit. Quels que soient le président et la Chambre des députés qui seront élus, il faudra aller vers une société moins consommatrice, plus équitable dans la distribution des biens. Le vrai danger serait de se résigner et de croire que rien n’est possible. Or beaucoup créent, entreprennent, investissent. Mais comment engager tous ces efforts dans un élan mobilisateur ? En nous obligeant à renoncer à tout attendre des seules puissances publiques, cette crise peut provoquer un engagement renouvelé des individus, des entreprises, des associations et des mouvements divers.
Pourquoi l’Église s’interdit-elle de donner des consignes de votes ?
Je ne suis pas le représentant d’un mouvement politique ! Et je n’accepte pas que les réflexions que l’on peut partager avec nos concitoyens puissent être assimilées à une action partisane. L’Église catholique a pris soin en octobre dernier de publier des éléments de réflexion et de discernement (Élections : un vote pour quelle société ?), parce que ce n’est pas notre rôle de prendre position dans la campagne électorale proprement dite.
Pouvez-vous dire pour qui ne pas voter ?
Pour des programmes affichés qui vont à l’encontre des orientations fondamentales du respect de la personne humaine et de sa vocation.
Y en a-t-il ?
Les évêques ont donné, par avance, des éléments d’appréciation pour évaluer les programmes. Ce sont donc les candidats qui répondent à ces éléments d’appréciation, et ce n’est pas à moi de répondre aux programmes des candidats !
Mais existe-t-il une façon chrétienne de jauger le panel de candidats ?
Comme on regarde tous les hommes et femmes que nous rencontrons. Ces candidats ont une âme et une conscience. Et l’on peut supposer qu’ils ne sont pas uniquement guidés par leur ego et leur volonté de puissance. Il y a chez eux quelque chose qui correspond à leur volonté de servir.
Vous insistez pourtant dans votre livre « Quelle société voulons-nous ? » (Pocket) sur la moralité du candidat...
Puisqu’il s’agit de confier l’avenir d’un pays à des gens, il est normal que l’on soit attentif à leurs qualités humaines. Ces qualités apparaissent à travers leur manière de vivre : la capacité d’être fidèle à des engagements, d’être capable de faire face à des situations difficiles, d’avoir une certaine dignité de vie...
L’importance de la moralité du candidat est telle qu’elle devrait, à programmes similaires, départager un vote ?
J’ai abordé cette question pour récuser un principe généralement admis selon lequel la responsabilité politique dispenserait d’aborder certains comportements, au nom d’une césure privé-public. Or une personne n’est pas « sécable » dans ses comportements et ses actions. Quelqu’un qui ne serait pas capable de tenir sa maison serait-il plus capable de tenir un pays ?
Vous appelez à chaque élection les catholiques à voter et à surtout
ne pas s’abstenir...
Oui, parce que le vote libre est l’une des conquêtes de notre société, et il exprime notre manière de prendre notre part de responsabilité dans la conduite du pays.
Pour autant, les sondages démontrent que les catholiques sont plutôt à droite ?
Peut-être ! Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Faut-il évaluer la situation avec ces seuls critères de gauche et de droite ? N’est pas toujours aussi à gauche, au centre ou à droite celui qui dit qu’il l’est...
N’y a-t-il pas, dans le monde ecclésiastique, un embarras par rapport
à ce positionnement politique ?
Ce n’est pas un embarras, c’est une réserve ! Nous disposons d’une certaine autorité morale, en tout cas auprès d’un certain nombre de gens, et nous ne devons pas utiliser cette autorité morale pour faire passer des choix particuliers comme des choix ecclésiaux. Nous sommes en position d’éclairage, d’éveil et même, d’aiguillon, en particulier pour défendre l’existence humaine.
Concrètement, quels critères un catholique doit-il avoir à l’esprit en votant ?
Il y en a treize dans la déclaration des évêques ! Elle est disponible sur le site la Conférence des évêques [2].
Avez-vous été gêné par la référence à l’islam dans là campagne électorale ?
Ce qui me gêne, et d’autres responsables religieux avec moi, c’est de voir la dimension religieuse de l’existence devenir un argument de campagne électorale. C’est manquer au pacte de la laïcité. Les problèmes objectifs posés à la République sont des questions d’ordre public gérées par la loi et son autorité. L’islam, ce sont des musulmans qui ne se ressemblent pas tous. Certains peuvent être excessifs, voire fanatiques, comme des catholiques peuvent l’être, ou des juifs, ou des gens sans religion. Il faut toujours préciser de qui on parle si on veut éviter les amalgames.
Un programme souhaite pourtant renforcer la laïcité...
Il y a une dangereuse pratique consistant à croire que la solution d’un problème passe par une loi. Des lois, nous en avons assez. Ce qui nous manque, ce sont des éducateurs à la laïcité. Pour aider les jeunes à comprendre ce que chaque religion peut apporter et pour apprendre à se respecter mutuellement. Le problème est qu’on s’envoie la laïcité d’un bout à l’autre comme au tennis. Je ne crois vraiment pas que la laïcité soit en péril aujourd’hui.
Les questions de bioéthique sont-elles aussi centrales ?
Ce sont des sujets centraux : Nous alertons l’opinion, les responsables et les citoyens, pour qu’ils prennent conscience que ces sujets engagent gravement l’avenir de l’homme et que ce ne sont pas des questions techniques qui seraient l’affaire de quelques spécialistes.
Un candidat propose de légaliser l’euthanasie et le mariage homosexuel. Est-ce acceptable pour vous ?
Il a exprimé ses convictions. L’Église a dit ce qu’elle avait à dire. Cela fait partie des points très sensibles : nous pensons qu’il est meilleur pour un enfant d’être élevé par son père et sa mère. Qu’il est plus humain d’accompagner les gens dans leur fin de vie que d’accélérer ou de décider leur fin de vie.
On accuse souvent l’Église catholique d’être intransigeante...
Si l’intransigeance signifie que tout le monde doit penser comme moi, ce n’est pas là la vision de l’Église. On fait appel à l’intelligence et à la conscience des gens, et non pas à leur adhésion formelle.
Quelle serait l’illusion de cette campagne électorale ?
Laisser croire aux gens que cela va pouvoir continuer comme avant moyennant quelques corrections à la marge.
Vous attendez des lendemains difficiles ?
Je ne suis pas inquiet, mais nous allons au-devant d’une période difficile. D’autres pays européens l’affrontent déjà. Nous ne pourrons pas l’éviter et nous devrons trouver ensemble les moyens de la traverser.
Pâques approche : cette fête a-t-elle cette année une connotation particulière ?
Les événements tragiques de Toulouse et Montauban ont violemment mis en lumière la capacité de l’homme à détruire. Pour les chrétiens, la mort et la résurrection du Christ manifestent que ce ne sont ni la vengeance, ni le mépris, ni le repliement sur soi qui brisent la spirale de la violence, mais l’amour et le don de soi !
Source : www.lefigaro.fr
[1] Également président de la Conférence épiscopale de France