La Croix : “Les catholiques des métropoles européennes se mobilisent pour le Carême”

De la Pologne, où le Carême reste encore très visible, à l’Irlande, où l’Église, confie un évêque, « ne peut même plus ouvrir la bouche » , les catholiques d’Europe entrent en carême d’une manière différente.

Au-delà de la diversité des situations, l’entrée en Carême dans les différents pays européens témoigne d’un même défi à relever : celui de la sécularisation, avec une perte progressive de la « grammaire » de l’existence chrétienne qui marquait les temps forts religieux de la collectivité.

En ce sens, la « nouvelle évangélisation », dont Benoît XVI a fait le thème de l’année, avec le synode en octobre prochain, s’adresse prioritairement à cette Europe sécularisée. Rien d’étonnant donc à ce que Mgr Rino Fisichella, Président du Conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation, ait choisi le Carême pour lancer cette année « Mission Metropolis 2012 », dans 11 métropoles européennes dont Paris [1].

Rome souhaite ainsi profiter de ce temps fort « pour donner un signe de la nécessité de témoigner de sa foi de manière plus visible, dans une société où le christianisme ne va plus de soi ». Avec des propositions qui prévoient, dans ces villes, des temps d’enseignement (conférences de Carême), de lectures de la Bible (distribution de l’Évangile de Marc), ouverture prolongée des églises, concerts, témoignages visibles dans les rues.

En France, ces propositions sont déjà largement mises en œuvre, car dès la fin des années 1980, dans le sillage du rapport « proposer la foi dans la société actuelle », les catholiques ont compris l’urgence de réinscrire de manière plus visible les temps forts de la vie religieuse. C’est moins le cas dans les autres pays européens, où les Églises commencent tout juste à prendre la mesure de la sécularisation.

En Irlande, une Eglise en repentance

La crise des abus sexuels continue à marquer les catholiques irlandais, qui font de ce temps de Carême un temps de pénitence et de demande de pardon.

En Irlande, trois ans après la publication des rapports sur les abus sexuels dans le diocèse de Dublin (mai et novembre 2009), le Carême est encore lourd de la crise qui secoue l’Église. Plusieurs diocèses se sont saisis de ce temps dédié traditionnellement à la pénitence pour inviter les fidèles à des journées de repentance.

Le diocèse d’Elphin (nord-ouest), qui a connu plusieurs cas de pédophilie, organise, le 24 février, une journée diocésaine de la réconciliation. Cette initiative a été demandée par les laïcs, qui ont participé il y a plusieurs mois à des sessions d’écoute autour de la crise de la pédophilie et de la Lettre pastorale de Benoît XVI.

« Nous les avions consultés pour savoir comment répondre à la crise, explique le P. Tom Hever, curé de la cathédrale de Sligo dans laquelle se tiendra le rassemblement. Ce sont eux qui ont suggéré que l’Église tout entière se rassemble au cours d’un événement particulier pour prier avec et pour les victimes et leurs familles, ainsi que pour la guérison des agresseurs. »

Pendant 24 heures, plusieurs ordres religieux et groupes de laïcs se relaieront pour animer la prière et l’adoration du Saint Sacrement dans la cathédrale. Toutes les paroisses ont été invitées. « Le cœur de cet événement sera la demande de pardon de notre Église pour les crimes commis par une minorité d’entre nous, souligne le P. Hever. Le Carême est un temps propice pour nous repentir de nos terribles manquements. »

Des annonces ont été diffusées dans les médias. « Il est essentiel que, par ce geste public de prière et de repentance, les gens puissent voir le remords de l’Église qui reconnaît ses erreurs, car ce qui les a le plus blessés, c’est le manque de réponse de la hiérarchie », précise le P. Hever. « Depuis cette crise, nous sentons plus d’humilité dans notre Église, et un grand besoin de Dieu… J’espère vraiment qu’au cours de cette journée tous les fidèles qui se sentent perdus vont regagner force et confiance. »

En Pologne, un « moment à part »

Dans ce pays où 90 % de la population est catholique, le Carême, et notamment les chemins de croix et reconstitutions de la Passion, reste très suivi.

Elle a longtemps essayé, comme sa mère, de faire un « petit sacrifice » pendant le Carême. En vain. « Aujourd’hui, avec les obligations professionnelles qui jalonnent mes journées, c’est plus difficile », explique Joanna.

Aujourd’hui, cette Polonaise de 28 ans, installée avec son mari Radek dans la ville de Poznan, dans l’Ouest du pays, tente tout de même de faire des quarante jours qui précèdent Pâques « un moment à part ». L’an dernier, la jeune femme a été touchée par la démarche promue par l’aumônerie dominicaine de Cracovie, qui proposait de jeûner, le temps d’une journée, tout en liant cette privation à la prière pour un proche. « J’ai jeûné pour mon mari. C’était plus facile, plus satisfaisant que d’avoir quelque chose de triste qui durait tout le Carême. »

« Il faut savoir proposer aux jeunes des initiatives adaptées », confirme le P. Artur Kasprzak, enseignant au grand séminaire de Kalisz, à 300 km à l’Ouest de Varsovie. Car comme Joanna, les Polonais accordent au Carême une place importante, dans un pays où 90 % de la population est catholique, et où 40 % des fidèles se rendent à la messe chaque dimanche.

Dans les 10 500 paroisses du pays, la célébration des 40 jours qui précèdent Pâques est marquée par un chemin de croix, organisé tous les vendredis, ainsi qu’un temps de retraite, qui dure entre trois et cinq jours, alternant conférences et prière. Dans les écoles, privées ou publiques, un temps de formation religieux est également prévu.
Autre tradition : la bénédiction du repas de Pâques (« Swieconka »).

Le samedi saint, les fidèles sont invités à faire bénir un panier contenant les ingrédients qui composeront le repas du lendemain. « Des milliers de gens viennent à cette célébration. C’est un peu comparable à ce que l’on observe en France le dimanche des Rameaux », compare le P. Artur Kasprzak. Dans certaines villes, les mystères de la Passion du Christ donnent lieu à d’immenses représentations théâtrales. L’an dernier à Poznan, 100 000 personnes sont ainsi venues assister à la reconstitution des scènes de la Passion, jouées par près de 200 acteurs.

En Allemagne, 16 % de la population jeûne

Des propositions plus nouvelles autour du jeûne se développent, même si le Carême reste dans l’Église catholique allemande d’abord l’occasion de solliciter la solidarité pour les pays du Sud.

Selon une enquête publiée le 5 février dernier par le Bild am Sonntag , 16 % des Allemands jeûnent pendant le Carême. Des statistiques à prendre avec précaution car « dans certains milieux déchristianisés, on parle du jeûne comme une thérapeutique naturelle », modère Klaus Nientiedt, rédacteur en chef de Konradsblatt , l’hebdomadaire diocésain de Fribourg-en-Brisgau. De fait, dans ce même numéro du Bild am Sonntag, des médecins et diététiciens vantent les bienfaits du jeûne pour l’organisme…

Cette proportion non négligeable d’Allemands qui respecte le jeûne du Carême, y compris parmi les jeunes générations, s’accompagne d’encouragements depuis quelques années de l’Église catholique pour se priver de voiture (« Autofasten ») ou de téléphone portable (« Handyfasten »), et plus généralement pour réduire sa consommation pendant quarante jours afin de revenir à l’essentiel.

Certaines paroisses catholiques proposent des Laudes suivies d’un petit-déjeuner avant de partir au travail. D’autres des « Exerzitien im Alltag », les exercices spirituels. Le diocèse de Fribourg-en-Brisgau vient justement de publier un manuel en ce sens. Autant de propositions nouvelles, dont s’inspire l’Église protestante (luthérienne), comme le prouve le lancement, par l’éditeur protestant Andere Zeiten à Hambourg, d’un site Internet « Vivre différemment sept semaines », « 7 Wochen anders leben ».

Reste que la manière la plus suivie de marquer le Carême est encore celle de « Misereor » (l’équivalent du Comité catholique contre la faim et pour le développement,) qui depuis une trentaine d’années vend un calendrier de Carême et organise une grande collecte nationale le dimanche précédent les Rameaux. Misereor invite également des artistes de pays pauvres à venir peindre des « voiles de chœur », selon la tradition des « Hungertücher » (voile de la faim), bien établie en Westphalie et ailleurs, de tendre un voile autour du chœur pendant le Carême.

Hongrie : les traditions populaires en chute

Les jeunes catholiques ressentent le besoin de marquer ce temps par une attitude spirituelle de privation et de jeûne.

En Hongrie, le Carême passe inaperçu, ou presque. Gergely Szilvay, rédacteur à Magyar Kurir, journal catholique en ligne, souligne que les traditions populaires folkloriques autrefois florissantes ont « tendance à se perdre », à l’exception de certaines processions.

Dans la région de Somogy (sud-ouest du pays), les femmes continuent de porter un costume de plus en plus sombre à mesure que l’on avance dans le Carême (de couleur bordeaux, il passe au noir le dernier dimanche). « Si le jeûne lui-même a presque disparu, les catholiques hongrois continuent de s’abstenir de consommer de la viande le mercredi des cendres et le vendredi saint », ajoute Gergely Szilvay.

Martin, étudiant à l’université de Debrecen, se souvient par exemple de sa scolarité au lycée où les élèves catholiques faisaient tous davantage d’efforts : « certains s’interdisaient de fumer, d’autre de consommer de l’alcool et le vendredi saint nous partions en retraite pour trois jours », ajoute-t-il. Certains, notamment parmi les jeunes catholiques, aimeraient revenir à ces pratiques, comme Peter Orosz, 24 ans, étudiant en médecine et catholique pratiquant : « de nos jours, respecter le Carême et toutes sortes de privations semble une attitude totalement inutile, dépassée, presque insensée. »

Lui ressent le besoin, aujourd’hui, « dans notre monde survolté », de s’arrêter un instant, de « rester en silence, de sacrifier du temps à Dieu, de réfléchir sur nos vies pour découvrir le message de Jésus ». Cette année, pour le Carême, Peter passera moins de temps sur Internet, ne sortira pas le soir, et aidera plus que d’habitude.

Autant de privations, assure-t-il, qui le « rapprocheront du grand mystère de notre foi : la vie, la mort et la résurrection de Jésus ». Et l’étudiant a aussi prévu une retraite, avec la communauté de l’Emmanuel, à laquelle il appartient.

Lisbonne joue la carte de la nouvelle évangélisation

La capitale portugaise veut cette année réinvestir le temps de Carême.

« Notre société capitaliste et matérialiste va dans le mur. Il nous faut revenir à la foi, alimenter la foi car il faut repenser la société. Nous les catholiques nous devons revenir aux valeurs d’abnégation pour servir de témoins, et apporter une autre vision à la société. » De sa voix calme et posée Luis Bento, qui se définit lui-même comme un « catholique libéral » explique combien toutes les initiatives lancées par le diocèse de Lisbonne pour mieux marquer le Carême lui paraissent fondées.

À 47 ans cet administrateur d’entreprise a décidé de se consacrer à des projets d’action sociale en collaboration avec des ONG caritatives. « Faire une démarche de Carême permet de nous libérer et de témoigner », dit cet adepte de la « nouvelle évangélisation ». Luis Bento qui au travers de sa communauté paroissiale est coutumier de la lecture des Evangiles insiste sur le caractère spirituel du Carême. « Plus que la pénitence physique, c’est l’art d’apprendre à tendre l’autre joue. Et ça, c’est difficile », reconnaît-il.

Le Patriarcat de Lisbonne a totalement investi cette année les propositions de Metropolis 2012 : à partir d’aujourd’hui mercredi des Cendres, et jusqu’au 15 avril, (deuxième dimanche de Pâques) des catéchèses sont organisées, ainsi que la lecture des Évangiles. Le premier avril, dimanche des Rameaux, une journée diocésaine de la jeunesse (JDJ) invitera les jeunes à se rassembler dans le centre de la capitale portugaise, la journée sera placée sous le signe de la joie.

« L’Église peut faire beaucoup pour l’Évangélisation, mais elle doit s’ouvrir, ne pas être aussi dogmatique. En fait je crois que nous avons la possibilité de regrouper les gens autour de la parole de Dieu », estime cependant Dulce Varela, une retraitée catholique.

 Source : la-croix.com.

[1Barcelone (Espagne), Budapest (Hongrie), Bruxelles (Belgique), Dublin (Irlande), Cologne (Allemagne), Lisbonne (Portugal), Liverpool (Royaume-Uni), Paris (France), Turin (Italie), Varsovie (Pologne) et Vienne (Autriche).

Rameaux 2012 : Mission métropoles

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