Prélèvement d’organes : à quelles conditions ?
Paris Notre-Dame du 19 mars 2009
Le prélèvement d’organes est possible si la personne décédée ne l’avait pas explicitement refusé. Les organes sont prélevés sur un patient en mort cérébrale et, depuis peu, à cœur arrêté. Cette dernière procédure pose question.
Le remplacement d’organes défaillants par un organe sain est désormais une technique médicale devenue courante depuis environ cinquante ans. Elle permet une amélioration des conditions de vie et parfois même d’empêcher la mort du patient. Sur le plan éthique, la greffe entraîne une atteinte à l’intégrité du corps humain. Chez les vivants, il s’agit d’une mutilation et doit donc comporter la condition inaliénable du consentement libre et éclairé du donneur.Dans ce cas seulement,ce don généreux est un acte de solidarité humaine. Le consentement préalable est très encadré : il doit être exprimé devant un juge et autorisé par un « comité d’experts ». Cela permet d’éviter les pressions (au moins morales) qui peuvent s’exercer sur le parent compatible.
Chez les défunts, les questions éthiques se posent de manière plus délicate. Pour éviter que le corps humain devienne une marchandise en contradiction avec le respect qui lui est dû et la dignité de la personne, le consentement pour un prélèvement doit être signifié avant le décès. Depuis 1976, toute personne est considérée comme potentiellement donneuse quand elle n’a pas manifesté explicitement son refus d’un prélèvement de son vivant. Cette règle s’est par la suite assouplie pour permettre à la famille d’exprimer, elle aussi, son consentement.
L’autre difficulté vient des critères utilisés pour définir la mort qui autorise le prélèvement. La mort encéphalique peut être complexe, car l’électro-encéphalogramme plat avec cœur fonctionnel est difficilement acceptable par l’entourage comme critère définitif de la mort. Dans le cas d’un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, pour être utilisable, l’organe prélevé doit l’être juste après l’arrêt du cœur. Se pose alors la question du moment et des critères de la suspension des soins donnés aux victimes d’un arrêt cardiaque. Il faudra certainement repréciser les critères de la mort à cœur arrêté (Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Techniques). • La Rédaction, en collaboration avec Mgr Michel Aupetit, vicaire général
L’avis d’un expert
Jean-Michel Boles, chef du Service de réanimation médicale et urgences médicales de l’hôpital de la Cavale-Blanche du CHU de Brest et codirecteur de l’Espace éthique de Bretagne occidentale.
« Jusqu’à une date récente, le prélèvement d’organes se faisait uniquement sur le patient en état de mort cérébrale, définition légale de la mort. Quand le constat de la mort est fait, le prélèvement est possible dès lors qu’on acquiert la certitude que la personne n’y était pas opposée. Pendant le laps de temps où l’on s’enquiert sur la volonté du patient, on maintient simplement l’activité du cœur. En 2005, un décret a également autorisé le prélèvement d’organes sur des personnes reconnues mortes à la suite d’un arrêt cardiaque. Ce mode de constat de la mort avant prélèvement d’organes a été introduit en France il y a plus de deux ans. Pourquoi ? Le nombre de patients dont le cœur s’est arrêté, sans récupération possible, est très important (entre 40 000 et 50 000 par an), tandis que le nombre de personnes en état de mort cérébrale avec cœur fonctionnel diminue (3 147 en 2007). En prélevant à cœur arrêté, on peut satisfaire davantage de patients en attente de greffe.
Le prélèvement à cœur arrêté pose de graves questions éthiques. Comment se déroule-t-il ? Quand une personne fait un arrêt cardiaque, les médecins essaient de la réanimer pendant trente minutes au moins. En cas d’échec, on interrompt les soins et la mort est confirmée au terme d’une période d’observation de cinq minutes. Puis vient la phase préparatoire au prélèvement d’organes, avant même que l’on sache si la personne y était défavorable ou non : ventilation mécanique, massage cardiaque... Tout doit aller vite : le délai entre l’arrêt cardiaque et le prélèvement d’organes doit être inférieur à 300 minutes. Puis le cadavre est transporté dans un lieu prévu pour la conservation des organes. Là, d’autres techniques sont mises en œuvre pour préparer le prélèvement. Si on apprend que la personne aurait refusé le prélèvement, alors les manœuvres sont arrêtées. Le travail préparatoire aura néanmoins été fait. La personne est considérée comme un objet pour un « service » après sa mort. La greffe d’organes est-elle un don ou un dû ? Si les gens ont droit à la greffe d’organes, cela implique que les médecins ont le devoir de la proposer et donc d’aller chercher les organes. Cela veut dire aussi qu’il est du devoir de chaque personne de les donner. Tout cela, il faudrait en décider collectivement. Or, la communication sur le sujet a été volontairement réduite.
Le système de santé veut gouverner la totalité de la vie de l’individu et de la société. C’est la conséquence de la montée en puissance des techniques, qui ont leur propre autonomie.
Si la fin est bonne, les moyens ne le sont pas. Le prélèvement d’organes doit rester un don. »