Synthèse du 1er module de la Formation sur le thème "Être Époux... Être Épouse..."

Le 27 novembre 2010, la première formation de Paroisses en mission a été conclue par le P. de Longeaux. Retrouvez ici l’intégralité du texte.

Thème de cette rencontre : "Être Époux... Être Épouse... fonder la relation et la vivre à tous les âges de la vie".
A Saint-Jean-Baptiste de La Salle, le samedi 27 novembre de 8h45 à 12h.

Déroulement
8h45 – 9h00 : Accueil, puis temps de prière
9h00 – 9h45 : Mot d’accueil par Mgr Jérôme Beau
Table-ronde animée par Victor Macé de l’Epinay
9h45 – 10h00 : Lancement du travail en atelier par le P. Jacques de Longeaux
10h00 – 11h00 : Ateliers
11h00 – 11h15 : Pause café
11h15 – 12h00 : Enseignement par le P. Jacques de Longeaux

Synthèse de la rencontre

« Être époux, être épouse : fonder la relation et la vivre à tous les âges de la vie »
Module diocésain de formation, saint Jean-Baptiste de la Salle, 27 novembre 2011
Père Jacques de Longeaux

Télécharger la synthèse de la formation par le P. de Longeaux

Introduction

Il y a quelques années je me trouvai avec un groupe de jeunes adultes pour un camp d’été, et lors d’une soirée d’échanges et de réflexion, ils m’ont posé la question suivante : comment savoir si tel garçon ou telle fille que j’aime est « le bon » ou « la bonne » ; c’est-à-dire celui ou celle avec lequel (laquelle) je vais pouvoir m’engager pour la vie ? Dans ma réponse, une phrase du Concile Vatican II m’est venue à l’esprit. Au numéro 49 de la constitution pastorale Gaudium et Spes sur « l’Église dans le monde de ce temps », qui traite de l’amour conjugal, on lit ceci : « le véritable amour entre mari et femme (…) éminemment humain puisqu’il va d’une personne vers une autre personne en vertu d’un sentiment volontaire, (…) enveloppe [embrasse] le bien de toute la personne ».
Pour réfléchir avec vous sur ce que c’est qu’être époux et épouse, il m’a semblé bon de méditer à partir de cet enseignement des pères du Concile Vatican II sur « le véritable amour conjugal ». J’aborde ce sujet d’un point de vue qui est le mien, avec la compétence qui est la mienne, celle du prêtre et du théologien. C’est-à-dire que je vous apporte, dans la mesure de mes moyens, l’éclairage de la Parole de Dieu, Ecriture et Tradition, confrontée à l’expérience concrète des époux.

1- L’égale dignité personnelle de l’homme et de la femme

Un premier point retient notre attention : l’homme et la femme sont ici considérés, absolument à égalité, comme des personnes. On nous répète aujourd’hui qu’il n’y aurait pas de différence de nature entre l’homme et l’animal. Une différence de degré sans doute qui se marque dans l’extraordinaire développement de la culture chez l’espèce humaine, mais pas de différence de nature. Ceci n’est pas la pensée de l’Église, telle qu’elle est rappelée dans la première partie de Gaudium et Spes. Bien entendu, l’être humain prend place dans le grand courant de la vie, et dans l’évolution, des espèces. Bien entendu, l’animal de son côté est doué de sensibilité, il possède une forme d’intelligence, et développe des compétences. Il est capable d’apprendre et de transmettre. Mais il y a entre l’homme et l’animal une différence qualitative et pas seulement quantitative. L’homme est absolument hors-série dans le monde animal. C’est cette différence que l’on tente de dire lorsque l’on parle d’esprit, ou « d’âme rationnelle », ou encore de « personne ». Pour la Bible l’être humain est créé à l’image de Dieu, homme et femme (Gn 1, 26-27). Chaque être humain est personnellement voulu, connu par Dieu et aimé de Lui. De son côté, la pensée éthique contemporaine insiste sur la dignité inhérente de tout être humain. Autant de manières de reconnaitre le caractère propre, tout à fait singulier, de l’humanité au sein de la création.

L’homme et la femme sont des personnes. Ce qui veut dire que leur comportement amoureux n’est pas entièrement gouverné par la force des pulsions et par les déterminations culturelles. Loin de nous l’idée de nier les unes ou les autres. Mais il y a en l’être humain autre chose, que nous nommons la liberté : les actes libres dans lesquels le sujet humain s’engage et qui construisent son identité. Les sciences humaines ont toujours la tentation de nier la liberté parce que par méthode elles ne peuvent la saisir. Or, « la vraie liberté - toujours selon Gaudium et Spes – est en l’homme un signe privilégié de l’image divine » (GS 17). Elle est davantage un chemin progressif de libération intérieure personnelle – c’est une banalité de le rappeler – qu’une tranquille possession. Nous risquons toujours de démissionner de notre liberté et de revêtir des personnalités d’emprunt, lorsque nous agissons simplement par conformisme, pour ne prendre que cet exemple.

Mais il ne suffit pas de dire que l’image de Dieu en l’homme, qui fait de nous des personnes, se manifeste dans notre liberté. Il faut aussitôt ajouter une liberté pour autrui. L’être humain, créé à l’image de Dieu, est un être de relation qui s’accomplit dans une existence en communion. (cf le texte de Familiaris Conortio 11). D’une part, ce n’est pas être libre que de vivre exclusivement pour soi, replié sur soi, en utilisant (manipulant) les autres pour les faire servir (les asservir) à ses propres intérêts, de quelque ordre que ce soit. D’autre part, il n’y a de véritable communion qu’entre des personnes qui s’engagent librement l’une envers l’autre, qui se donnent l’une à l’autre librement. Là où il y a contrainte il ne peut y avoir ni communion ni don. C’est ainsi que le don et la communion sont, avec la liberté, l’expression de la nature personnelle de l’être humain.

La société de l’homme et de la femme, l’union conjugale – toujours selon Gaudium et Spes – constitue la forme première, primordiale, de la communion des personnes (GS 12 §4). Le mariage est fondé sur le consentement personnel – libre et réfléchi – d’un homme et d’une femme, consentement réciproque à être époux et épouse, à construire une communion intime de vie et d’amour proprement conjugal (GS 48 §1).

Ce consentement qui fait le mariage, et cette communion qu’est le mariage, sont l’expression de notre être personnel, à la fois spirituel et corporel. Nous ne sommes pas seulement le jouet de nos cycles hormonaux, de nos désirs inconscients ou de nos déterminations sociales. Bien sûr nous sommes profondément influencés par tous ces facteurs. C’est l’un des enjeux de notre existence que d’assumer ce qui en nous nous dépasse, nous échappe, d’accepter de ne pas être pleinement maîtres de nous-mêmes. Mais ces facteurs sociaux, hormonaux, inconscients, n’expliquent pas tout. Nous ne sommes pas des êtres de part en part objectivement scientifiquement explicables. Nous sommes capables de nous décider, de nous engager librement, de donner notre parole et d’y rester fidèle et finalement de nous donner nous-mêmes. Nous sommes des sujets responsables de nos actes, et non pas seulement l’objet de forces obscures qui nous poussent dans un sens, puis dans l’autre. L’amour n’est pas une fatalité. Il y a une profondeur, un mystère de la personne qu’on ne peut saisir. C’est de ce centre que jaillit la liberté et que nait l’amour véritable.

2- L’alliance conjugale

La communion conjugale qui unit deux personnes, un homme et une femme, différents et d’égale dignité, n’est pas une fusion où les personnalités propres de chacun disparaitraient. Elle est une alliance où, grâce à l’amour, chacun peut grandir et affermir sa personnalité. Certes, le mariage comme tout engagement, implique des choix et le renoncement à déployer certaines potentialités. Mais c’est pour mieux se réaliser en vivant avec l’autre et pour l’autre, en construisant ensemble un mariage, une famille.

La révélation biblique manifeste la profondeur de l’alliance personnelle entre les époux. Cette alliance n’est pas une simple association que l’on pourrait dissoudre lorsqu’elle n’apporte plus satisfaction. Pour les baptisés, l’union du Christ et de l’Église est à la fois la source et le modèle de l’union conjugale, de cette communion d’amour de l’homme et de la femme. Par le sacrement, leur union est assumée dans l’alliance nouvelle, dont les époux sont appelés à être les signes, les témoins. Le ‘oui’ qu’ils se disent l’un à l’autre, le jour du mariage et chaque jour de leur vie, est porté par le ‘oui’ sans réserve, irrévocable du Christ à l’Église, son épouse. Et par le ‘oui’ que l’Église en retour dit au Christ, son époux. Ce double ‘amen’ du Christ à l’Église et de l’Église au Christ est le cœur et le sommet de la célébration eucharistique, cet ‘amen’ que l’assemblée proclame à la fin de la prière eucharistique.

C’est en Jésus-Christ que se révèle la qualité de l’amour que les époux chrétiens doivent se porter (cf. Ep 5, 21-32 ; 2 Co 1, 19-20 ; Jn 13, 1-17). Je viens d’employer un mot impressionnant. J’ai dit : l’amour que les époux doivent se porter. Nous comprenons bien que nous ne sommes pas ici d’abord dans le domaine de la morale, du moins d’une morale d’obligation. Les époux reçoivent de Dieu la grâce de s’aimer comme le Christ nous aime. Leur effort quotidien est porté par le don qu’ils ont reçu. Cette affirmation est objet de foi et d’espérance (le propre de notre foi chrétienne est de croire en la grâce, le don de Dieu qui suscite notre effort, le soutient et fait qu’il porte du fruit). Je sais bien qu’elle se heurte bien souvent, trop souvent, aux démentis apparents de l’expérience. Nous savons qu’un idéal élevé de l’amour peut se muer en désillusion et tourner au scepticisme. Nous entendons trop souvent autour de nous : l’amour est un piège, chacun au fond n’agit qu’en vue de son propre intérêt, le don est une illusion romantique, il est impossible de se lier à l’autre pour la vie. N’est-ce pas ce qu’on nous répète sans cesse ? Et pourtant nous aspirons à aimer ! C’est là où paraît combien le message de l’Église sur le mariage, unique, indissoluble, est véritablement une bonne nouvelle et non pas un carcan que l’Église, supposée ennemie de la liberté, chercherait à imposer aux individus pour défendre un ordre social nécessairement aliénant et répressif. Ce que l’Église annonce, ce en quoi elle croit et espère, c’est que l’amour est possible, un amour pour la vie, une alliance qui comble parce que chacun recherche d’abord le bien de l’autre au lieu d’être centré sur soi. Sans nier que ce chemin d’amour est exigeant et qu’il se heurte à des obstacles, il est une bonne nouvelle. Combien de fois ai-je entendu des fiancés me dire dans la préparation au mariage : « Nous aspirons à nous aimer pour la vie, mais nous avons peur que ce ne soit pas possible, il y a tant de divorces autour de nous ». L’Église est dépositaire d’une bonne nouvelle : l’évangile de l’amour véritable, de l’amour possible, manifesté dans la personne du Christ, communiqué par le don de l’Esprit (cf. Rm 5,5).

3- Un amour qui enveloppe le bien de toute la personne

Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est cet amour conjugal. J’en viens à cette expression de Gaudium et Spes (49 §1) que j’ai citée en commençant : L’amour conjugal « enveloppe le bien de toute la personne ». « Toute la personne » : qu’est-ce à dire ? Loin de toute vision dualiste qui oppose le corps et l’âme, ou encore la liberté à la nature, l’Église tire de sa réflexion sur la Parole de Dieu et sur les données de l’expérience, une vision unifiée de la personne : l’homme est un de corps et d’âme (GS 14 § 1). Le bien de la personne toute entière est donc à la fois corporel et spirituel. L’amour conjugal intègre toutes les dimensions de la personne.

  • La dimension physique tout d’abord. L’amour conjugal et lui seul comporte une dimension sexuelle. L’Église, contrairement à ce que l’on lit parfois, n’est pas hostile à la sexualité. Mais elle estime que la sexualité n’atteint sa pleine valeur humaine et éthique qu’intégrée à un véritable engagement d’amour ; dans le cas de l’amour conjugal, au don personnel mutuel d’un homme et d’une femme. J’ai employé un verbe qui nous donne une des clefs de l’enseignement de l’Église : « intégrer ». Là où notre société s’acharne à dissocier les différentes dimensions de l’amour, l’Église propose une vision intégrée. L’Église n’est pas « contre » le plaisir, mais elle met en garde contre le plaisir recherché pour lui-même, en dehors de la relation et en dehors de l’engagement. Nous savons bien qu’un mariage fondé uniquement sur l’attrait physique ne peut pas durer. L’attrait seulement physique n’est pas l’amour conjugal. Mais l’amour conjugal intègre l’attrait physique. Une difficulté sur ce plan – et l’on sait qu’elles sont nombreuses – est un obstacle que les époux doivent sérieusement considérer, dont ils doivent parler, car il met en danger leur relation. La sexualité est appelée à être intégrée, tant bien que mal, à la relation de personne à personne. Une sexualité chaste favorise l’amour. Elle est l’expression, la célébration corporelle de l’amour conjugal.
  • Nous avons une affectivité. C’est le niveau du sentiment amoureux, auquel beaucoup identifient purement et simplement l’amour. L’état amoureux est exalté, chanté, décrit, exploré sans relâche. Il semblerait qu’il n’y ait pas d’autre moyen d’être heureux que d’être amoureux (d’où la difficulté à comprendre et à accepter l’engagement dans la vie consacrée, où l’on renonce à la vie amoureuse, du moins à ce niveau). La passion amoureuse, qui semble saisir les individus malgré eux, qui les aveugle, et qui a partie liée avec la mort, est à la fois admirée et redoutée. Mais le sentiment amoureux, lui, est devenu le vrai dieu de notre époque. Il n’y a de mariage que mariage d’amour. Et lorsqu’il n’y a plus d’amour – entendons ici le sentiment amoureux – il faudrait se séparer – c’est presque devenu une norme sociale – pour ne pas être malheureux, ni hypocrite (je me souviens qu’un jour, dans le train, alors que je lisais dans le Concile Vatican II le passage où le mariage est défini comme une « communion intime de vie et d’amour » (Gaudium et Spes 48), ma voisine, fort intéressée par ma lecture, s’est penchée sur mon épaule et m’a dit : « voyez, s’il n’y a plus d’amour, il n’y a plus de mariage ». Je lui ai alors suggéré de lire ce qui était dit après sur le véritable amour conjugal !) On identifie l’amour avec le sentiment amoureux. Or, si le véritable amour conjugal intègre le sentiment amoureux (la dimension affective, la tendresse), il ne s’y limite pourtant pas. Comprenez-moi bien : il est bon que, désormais, les mariages soient des mariages d’amour. J’ajoute qu’il est essentiel que les époux veillent tout au long de leur vie conjugale à la qualité de leur relation, pour ne pas devenir progressivement des étrangers vivant côte à côte. D’où la nécessité vitale de se garder du temps pour tous les deux, de demeurer époux alors que l’on est devenu parents. Consacrez à votre couple et à vos enfants ce que vous avez de plus précieux parce que c’est ce qu’il y a de plus rare : du temps. Non pas pour régler des comptes, mais pour goûter la joie d’être ensemble. Les rythmes professionnels (et les difficultés de la vie professionnelle), les obligations familiales, rendent la chose difficile. Il faut savoir éteindre la télévision, l’ordinateur et le téléphone pour être tout entier présent à l’autre. Être tout entier présent à l’autre… N’est-ce pas cela aimer ? L’amour a besoin d’être nourri par l’attention à l’autre, la tendresse, les plaisirs partagés. Je pense à la cuisine par exemple ! (je m’empresse de préciser que ce ne sont pas seulement les femmes qui font la cuisine…). Toutes ces petites choses sont importantes et participent à la qualité de la relation conjugale.
    Mais, nous savons que le sentiment change avec le temps. L’amour passionné devient une amitié profonde, moins fusionnelle, plus mûre, plus ouverte. Il y a un risque à identifier l’amour conjugal au transport amoureux des premiers temps. Si c’est le cas, la banalité du quotidien, au lieu d’être le lieu de l’amour, apparaîtra comme son fossoyeur. Et l’on cherchera à revivre avec quelqu’un d’autre l’état amoureux qui nous avait rendu, pour un temps, apparemment heureux en transfigurant la réalité.
  • Nous avons un corps et une affectivité, mais nous avons aussi une raison et une volonté. On ne fait plus aujourd’hui de mariage de raison, dans lequel on tient ensuite par un acte de la volonté, en prenant sur soi, parce que c’est notre devoir. Mais le risque est inverse : au nom de l’amour, exclure la raison et surtout la volonté. Or le véritable amour conjugal inclut, intègre, la raison et la volonté. La raison : il ne faut pas s’engager dans un mariage dont on a toutes les raisons de penser qu’il ne pourra pas tenir. Il faut réfléchir un peu, ne pas se laisser aveugler par le sentiment. On rencontre aujourd’hui le problème inverse : la difficulté de s’engager, parce qu’on voudrait être certain de ne pas courir à l’échec. De là, la pratique aujourd’hui très répandue de vivre ensemble avant le mariage, afin de vérifier si l’on est bien ensemble. On sait d’ailleurs que cela n’empêche pas les divorces, au contraire, car on ne peut pas fonder un mariage seulement sur le constat que « ça marche ». C’est là qu’intervient la volonté. Le mariage est fondé sur une décision commune de construire une union, une famille ; sur la volonté d’affronter ensemble les difficultés qui pourront surgir. Nous disposons aujourd’hui de tous les moyens de conseil conjugal pour aider un couple à traverser une épreuve, à surmonter une crise. Encore faut-il que l’un et l’autre le veuillent, qu’ils en aient la volonté.
    La définition classique, théologique de l’amour est : vouloir le bien de l’autre. Il ne faut pas entendre ici le verbe « vouloir » dans un sens volontariste. La volonté est d’abord un attrait, un élan, vers un bien conforme à la raison, un bien véritable qu’il convient d’aimer. Vouloir le bien de l’autre dans le mariage, c’est lui être attentif, partager ses joies, être à ses côtés dans ses difficultés, l’accueillir comme il est, ne pas l’écraser, ni le diminuer parce que l’on est déçu qu’il/elle ne soit pas conforme à l’idéal que l’on s’était représenté, le soutenir dans ses projets, l’écouter quand il a besoin de parler, se taire quand il préfère rester silencieux, être son aide, son allié(e) en toute circonstance, l’aider à progresser humainement, spirituellement, le corriger éventuellement en faisant passer les messages avec cette intelligence du cœur qui fait que le conjoint ne sera pas blessé, ou avec humour, sans lui faire la leçon. Se marier c’est gagner un allié pour la vie ! Tout cela relève de l’intelligence du cœur et d’une inclination de la volonté, qui surmonte les réactions spontanées de l’affectivité. C’est ici qu’il faudrait parler du pardon et de l’obéissance réciproque dont le modèle est la relation d’amour et de service du Christ et de l’Église (cf. Ep 5,21-32). Mais chacun des ces deux thèmes pourrait occuper à lui seul toute une conférence.
  • Corps, affectivité, raison et volonté, à quoi il faut ajouter le cœur. Ce centre le plus intime de la personne, le lieu de la rencontre avec Dieu selon la tradition spirituelle, cette part de la personne qui échappe toujours et qui fait que l’autre demeure un mystère. Heureusement qu’il en est ainsi ! Si je prétends connaitre parfaitement mon conjoint ou mes enfants, il y a bien des chances que je l’emprisonne dans une idée toute faite et que mon « amour » soit étouffant ! L’amour suppose le respect du mystère de l’autre, créé par Dieu, destiné à la vie éternelle. Il y a en chacun de nous un fond irréductible de solitude qui est le lieu de la présence de Dieu. C’est là aussi, comme je l’ai déjà dit, que la liberté a sa racine et que s’origine l’amour.
  • Il reste deux dimensions essentielles de la personne que le véritable amour conjugal intègre : la dimension temporelle et la dimension sociale. Sous ces deux aspects c’est l’ouverture à l’autre, et plus généralement l’intégration de l’altérité, qui est en jeu.
    Dimension temporelle : chacun est situé dans une histoire. Il est marqué par cette histoire, il en est en partie le fruit. L’amour conjugal assume le passé de l’être aimé, il ne peut pas faire comme s’il n’avait pas existé. Mais surtout, le consentement matrimonial fonde une histoire commune, une histoire pour la vie. Être époux, épouse, c’est avancer ensemble dans la vie, et non pas rester fixés à un moment, à une période de la relation, l’éblouissement initial par exemple, ni chercher à retrouver, à répéter, l’état amoureux du commencement (quel qu’il ait été : il n’y a pas de modèle unique, chaque couple, et chacun dans le couple, est différent). Se marier, c’est croire que le temps qui passe est la chance de l’amour et non pas sa perte, parce que c’est avec le temps seulement qu’on peut connaitre vraiment l’autre (et se connaitre soi-même) et l’aimer en vérité. Le mariage est une relation ouverte en avant d’elle-même et non pas nostalgiquement tournée vers le passé.
    L’enfant est par excellence celui qui ouvre la relation conjugale vers l’avenir. Avec l’enfant les époux s’inscrivent dans la succession des générations. Ils transmettent la vie qu’ils ont reçue. Leur amour s’enrichit de la responsabilité qui leur incombe, des joies partagées, des difficultés portées ensembles. De façon générale, le véritable amour conjugal aspire à la fécondité, à construire quelque chose. Don mutuel des époux, il veut donner à son tour. Ensemble, donner la vie ! Tel est certainement l’un des critères de la maturité d’une relation amoureuse : est-ce que je suis prête à vouloir que cet homme soit le père de mes enfants ? Est-ce que je suis prêt à vouloir que cette femme soit la mère de mes enfants ? Que mes enfants soient nos enfants ?
    Les couples sans enfant, ou ceux qui ont des difficultés à avoir un enfant, témoignent par leur souffrance même, combien le désir de fécondité est inscrit au cœur de l’amour conjugal. Il y a d’autres fécondités, mais elles ne remplaceront jamais tout à fait l’enfant qu’on n’a pas eu. Assumer l’épreuve n’est pas la nier.
    Les époux exercent un service responsable de la vie, d’une vie qui vient de plus loin qu’eux. L’enfant n’est pas d’abord, ni seulement, la réalisation de leur désir d’enfant, de leur « projet parental ». Par ce service de la vie (Vatican II parle à ce propos de « ministère », Gaudium et Spes 51 § 3), ils collaborent à l’amour créateur de Dieu.
  • La dimension sociale, enfin. Lorsqu’on tombe amoureux, on est seul au monde. Mais assez vite, on s’aperçoit que l’autre a une famille, des amis, des collègues de travail. Une étape est franchie le jour où l’on commence à parler de son ami(e) à sa famille, le jour où on le (la) présente à ses amis. Lorsqu’on se marie, on est intégré dans la famille de son conjoint, et l’on sait que cela ne se fait pas toujours sans difficulté. Et que dire du groupe des copains du mari, des copines de la femme ! Une certaine vie sociale du mari et de la femme à l’extérieur du couple semble importante pour son équilibre. Les époux ne sont pas obligés d’être toujours et tout faire ensemble. Sur ce point, il n’y a pas de règle, chaque couple trouve son propre équilibre (qui peut varier au cours de l’existence).
    Plus fondamentalement, le mariage fondement de la famille s’inscrit dans la société. Il n’est pas la partie purement privée et intime de l’existence. Tant que la relation amoureuse est jalousement préservée dans la sphère privée, elle n’a pas encore atteint la maturité d’un amour conjugal. Un mariage, une famille, est une petite société, une société domestique, qui est en interaction avec la grande société. Le mariage est une institution sociale parce que le bien de la société et son avenir reposent en partie sur le lien familial et sur la famille. De même, le mariage de deux baptisés constitue une « petite Église », une « Église domestique » (cf. Familiaris Consortio 49). C’est pourquoi le « mariage à l’Église » n’est pas une célébration privée, seulement amicale et familiale. Elle a un caractère ecclésial. Le prêtre représente le Christ qui unit les époux dans le sacrement (ce n’est pas le prêtre qui est ministre du sacrement de mariage, mais c’est bien le Christ qui agit à travers l’échange des consentements des époux), mais il représente aussi l’Église, témoin de l’union de deux des siens, de ses enfants, heureuse de ce nouveau couple chrétien qui se constitue. Dans la mentalité individualiste dominante, cette dimension sociale du mariage et de la famille est souvent sous-estimée, voire oubliée. Elle est pourtant très importante. Un mariage, une famille s’inscrivent dans la société et doivent être ouverts au monde qui les entoure. Les époux doivent préserver du temps pour eux et pour leurs enfants. Mais ils doivent être aussi présents au monde dans lequel ils vivent, sensibles aux besoins de la société et de l’Église, prêts à répondre à leurs appels, dans la mesure de leur possibilité, sans mettre en danger l’équilibre conjugal et familial.

Conclusion

L’amour conjugal tel que je l’ai décrit, cet amour propre aux époux, qui enveloppe le bien de la personne tout entière, qui s’exprime dans les gestes de tendresse de l’homme et de la femme, et l’union des corps, peut paraitre un idéal bien éloigné de la vie concrète des couples affrontés à la difficulté d’aimer, menacés par l’échec et la rupture. La perspective de la théologie n’est pas celle de la statistique. L’Église ne prétend pas décrire le monde tel qu’il va, la relation de l’homme et de la femme telle qu’elle est. Elle met en évidence une vérité de l’amour humain qui certes n’est jamais pleinement ni parfaitement réalisé, qui certes est une tâche à accomplir plutôt qu’un acquis dont on pourrait jouir tranquillement ; mais qui pourtant n’est pas une utopie, un idéal illusoire, une projection de désirs ancrés dans notre inconscient et qui devraient un jour se briser sur le roc de la réalité. Elle travaille de l’intérieur la pâte humaine, si lourde, si opaque. Elle oriente nos efforts, elle nous indique une direction. Elle ne condamne certainement pas, celles et ceux qui sont affrontés à l’échec de leur mariage, qui ont subi une rupture. Ceux-ci demeurent époux, en même temps que parents, malgré l’interruption de la communauté de vie. L’Église porte au monde la bonne nouvelle de l’amour. Elle puise dans sa foi au Christ qui nous a aimés jusqu’au bout l’assurance que l’amour, le véritable amour conjugal fidèle pour la vie, n’est pas un rêve impossible, malgré nos fragilités et nos chutes, malgré les déchirures et les déceptions. Cet amour, affirme le concile (toujours au §1 de Gaudium et Spes 49) « le Seigneur, par un don spécial de sa grâce et de sa charité a daigné le guérir, le parfaire et l’élever ». En effet, seul l’amour de Dieu, répandu dans nos cœurs, nous permet de nous donner en vérité : « Associant l’humain et le divin, un tel amour conduit les époux à un don libre et mutuel d’eux-mêmes ». La grâce du sacrement ne se superpose pas à la réalité naturelle du mariage, l’amour divin – la charité, l’agapé – ne grandit pas en chassant l’amour humain, en prenant sa place, y compris ses composantes physiques et affectives. Mais il l’assume, le purifie, et le conduit vers sa perfection, le don réciproque.

Pour préparer

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Le véritable amour conjugal

 Concile Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et Spes 49,1

« A plusieurs reprises, les fiancés et les époux sont invités par la Parole
de Dieu à entretenir et à soutenir les fiançailles par un amour
(amor) chaste, et l’union conjugale par un amour (dilectio) sans faille [1]. Un grand nombre d’hommes de notre temps exaltent aussi le
véritable amour (amor) entre mari et femme, qui se manifeste de différentes
manières, selon les saines coutumes des peuples et des
temps. Cet amour, éminemment humain puisqu’il se porte d’une personne
vers une autre personne en vertu d’un sentiment volontaire,
embrasse le bien de la personne tout entière ; il peut donc enrichir
d’une dignité particulière les expressions du corps et de l’âme et les
ennoblir comme les éléments et les signes spécifiques de l’amitié
(amiticia) conjugale. Cet amour (amor), le Seigneur, par un don spécial
de sa grâce et de sa charité, a daigné le guérir, le parfaire et
l’élever. Un tel amour (amor), associant l’humain et le divin, conduit
les époux à un don libre et mutuel d’eux-mêmes qui se prouve par des
sentiments et des actes de tendresse et il pénètre toute leur vie [2] ; bien plus, il se parfait et grandit par son généreux exercice. Il dépasse donc de loin l’inclination simplement érotique qui, cultivée
pour elle-même, s’évanouit rapidement et d’une façon pitoyable. »

Questions

  1. Le mariage d’amour est devenu au cours du XXe siècle la forme
    dominante, sinon exclusive, de mariage dans le monde occidental.
    Quelles sont les caractéristiques du « véritable amour » conjugal
    d’après ce texte du Concile Vatican II ?
  2. Qu’entend-on ordinairement par « amour » ? Quelles sont les dimensions
    de la personne qu’intègre l’amour conjugal ?
  3. Il n’est pas rare d’entendre dire que la durée est l’ennemie de
    l’amour. Ce texte permet-il d’éclairer cette objection au mariage ?

La vocation innée de la personne humaine à l’amour

 Jean-Paul II, Exhortation apostolique Familiaris Consortio n°11

« Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance [3] : en l’appelant à l’existence par amour, il l’a appelé en même temps à
l’amour.

Dieu est amour [4] et il vit en lui-même un mystère de communion
personnelle d’amour. En créant l’humanité de l’homme et de la
femme à son image et en la conservant continuellement dans l’être,
Dieu inscrit en elle la vocation, et donc la capacité et la responsabilité
correspondantes, à l’amour et à la communion [5]. L’amour est donc la vocation fondamentale et innée de tout être humain.
Puisque l’homme est un esprit incarné, c’est-à-dire une âme qui s’exprime
dans un corps et un corps animé par un esprit immortel, il est
appelé à l’amour dans sa totalité unifiée. L’amour embrasse aussi
le corps humain et le corps est rendu participant de l’amour spirituel.
La Révélation chrétienne connaît deux façons spécifiques de réaliser Notes
la vocation à l’amour de la personne humaine, dans son intégrité :
le mariage et la virginité. L’une comme l’autre, dans leur forme propre,
sont une concrétisation de la vérité la plus profonde de l’homme, de
son « être à l’image de Dieu ».

En conséquence, la sexualité, par laquelle l’homme et la femme se
donnent l’un à l’autre par les actes propres et exclusifs des époux,
n’est pas quelque chose de purement biologique, mais concerne la
personne humaine dans ce qu’elle a de plus intime. Elle ne se réalise
de façon véritablement humaine que si elle est partie intégrante de
l’amour dans lequel l’homme et la femme s’engagent entièrement
l’un vis-à-vis de l’autre jusqu’à la mort. La donation physique totale
serait un mensonge si elle n’était pas le signe et le fruit d’une donation
personnelle totale, dans laquelle toute la personne, jusqu’en sa
dimension temporelle, est présente. Si on se réserve quoi que ce
soit, ou la possibilité d’en décider autrement pour l’avenir, cela cesse
déjà d’être un don total.

Cette totalité, requise par l’amour conjugal, correspond également
aux exigences d’une fécondité responsable : celle-ci, étant destinée
à engendrer un être humain, dépasse par sa nature même l’ordre
purement biologique et embrasse un ensemble de valeurs personnelles
dont la croissance harmonieuse exige que chacun des deux
parents apporte sa contribution de façon permanente et d’un commun
accord.

Le « lieu » unique, qui rend possible cette donation selon toute sa vérité,
est le mariage, c’est-à-dire le pacte d’amour conjugal ou le choix
conscient et libre par lequel l’homme et la femme accueillent l’intime
communauté de vie et d’amour voulue par Dieu lui-même [6], et qui
ne manifeste sa vraie signification qu’à cette lumière. L’institution du
mariage n’est pas une ingérence indue de la société ou de l’autorité,
ni l’imposition extrinsèque d’une forme ; elle est une exigence intérieure
du pacte d’amour conjugal qui s’affirme publiquement comme
unique et exclusif pour que soit vécue ainsi la pleine fidélité au dessein
du Dieu créateur. Cette fidélité, loin d’amoindrir la liberté de la
personne, la met à l’abri de tout subjectivisme et de tout relativisme,
et la fait participer à la Sagesse créatrice. »

Questions

  1. Quel est le point de départ de cet enseignement de Jean-Paul II
    sur le mariage ? En quoi cela éclaire-t-il la nature profonde du mariage
     ?
  2. Quelle conception de la personne humaine ressort de ce texte ?
  3. Comment comprenez-vous les expressions : « donation physique
    totale » et « donation personnelle totale », et le lien que Jean-Paul
    II établit entre les deux ? Quel enseignement sur la sexualité humaine
    tirez-vous de la lecture de ce texte ?
  4. Comment répondre à l’aide de ce texte à une question souvent
    posée : est-ce que se marier pour la vie et s’engager à la fidélité
    n’est pas en contradiction avec la liberté (la libre disposition de soi)
    et la réalisation de soi ?

[1Cf. Gen. 2, 22-24 : Prov. 5, 18-20 ; 31, 10-31 : Tob. 8, 4-8 : Cant. 1, 1-3 ; 2,
16 ; 4, 16 - 5, 1 ; 7, 8-11 ; I Cor. 7. 3-6 ; Eph. 5.25-33.

[2Cf. Pie XI, Enc. Casti connubii : AAS 22 (1930), p. 547 et 548 ; Denz.
2232 (3707).

[3Cf. Gn 1, 26-27

[4Cf. 1 Jn 4, 8

[5Cf. Concile OEcum. Vat. II, const. pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, 12.

[6Ibid., 48

Paroisses en mission – Famille et Jeunesse (2010-2011)