Conférence post-synodale du cardinal André Vingt-Trois : « Les défis pastoraux de la famille dans le contexte de l’évangélisation »
Institut Catholique de Paris – Mercredi 12 novembre 2014
Soirée animée par Anne Ponce et Christophe Henning de Pèlerin.
Retranscription de la conférence. Le style oral de l’intervention a été conservé.
En guise d’introduction je voudrais souligner ce que vous avez tous entendu ou perçu : trois nouveautés et en conclusion de cette introduction une « vieille nouveauté ».
Les trois nouveautés :
C’est le premier synode du Pape François, évidemment tout le monde l’attendait - le Pape, pas le synode !-, au pied du mur, pour voir comment il allait faire.
Deuxième nouveauté : l’intention qui s’est traduite par une décision de moduler le travail dans un temps long. On peut prendre comme repère de ce temps long, la session du synode extraordinaire et la session du synode ordinaire du mois d’octobre prochain. Cela fait une année, qui a été anticipée au point de vue de la sensibilisation par le débat du consistoire du mois de février. Donc un an et demi, où délibérément le Pape a choisi que les projecteurs de nos cerveaux, et peut être les projecteurs de l’actualité aussi soient focalisés sur un sujet.
Troisième nouveauté qui n’a pas été forcément très bien organisée, mais il arrive quelquefois que dans les services du Vatican on ait une bonne idée, mais pas toujours les méthodes pour la mettre en œuvre… Donc la bonne idée, c’était la consultation universelle. La méthode pour la mettre en œuvre, c’était qu’il aurait fallu dix-huit mois et que cela s’est fait en deux mois et demi ! Mais cela n’empêche, c’était beaucoup plus pour un acte de consultation et de sensibilisation que pour faire un recueil exhaustif de tout ce qui pouvait être dit.
Ce sont les trois nouveautés. La « vieille nouveauté », c’est le sujet. D’abord parce que la famille n’est quand même pas vraiment un thème absolument nouveau dans l’histoire de l’humanité, ni même dans l’histoire de l’Église moderne, puisque, comme vous le savez, du temps du Pape Jean-Paul II, cela fait à peine trente ans, il y a déjà eu un synode sur la famille. Donc au minimum, ce que cela voulait dire, c’est qu’en l’espace de trente ans, il a pu se passer un certain nombre de choses et qu’en tout cas les hommes et les femmes d’aujourd’hui vivent la famille dans des circonstances qui ne sont plus tout à fait les mêmes et qui amènent à se poser un certain nombre de questions.
Sur le déroulement des quinze jours du synode, je voudrais simplement relever quelques points d’attention qui m’ont paru suffisamment importants, mais qui ne correspondent évidemment pas forcément à l’écho médiatique que vous en avez eu. Mais évidemment comme j’étais dedans, je manquais de recul pour avoir une vision d’ensemble comme les gens qui étaient dehors…
Le premier élément qui correspond à la première nouveauté que j’ai évoquée -le premier synode du pape François- c’est la volonté du Pape exprimée à plusieurs reprises depuis qu’il a été élu Pape mais qui passait dans les actes d’une façon visible, de l’articulation entre le ministère du Pape et la collégialité des évêques. Il a souvent parlé de cette question, exprimé son intention de mettre en œuvre une collégialité plus active, et l’expérience du synode était une occasion de cette mise en œuvre. Il l’a fait en insistant fortement, à l’ouverture du synode, sur l’importance de la liberté d’expression, souhaitant que tous ceux qui avaient quelque chose à dire puissent le dire et puissent être écoutés dans ce qu’ils disaient. Et évidemment, le corollaire ou la condition de cette liberté d’expression, c’est la garantie de l’unité et du respect de ce qui était dit. Et cette garantie de l’unité et du respect de ce qui était dit, c’est le ministère du Pape tel qu’il l’a exprimé dans son discours de clôture, en disant, je me réjouis que cette session du synode ait été l’occasion d’un échange très large, quelquefois musclé, quelquefois conflictuel, mais cette conflictualité et cette virulence des propos étaient souhaitables pour que l’on mesure les différentes aspérités de la situation et étaient possibles parce que j’étais là, -pas moi, lui-, vous avez compris ! Et c’était d’autant plus significatif qu’il n’a pas dit un mot entre le discours d’ouverture et le discours de clôture. C’était une présence totalement écoutante, mais qui garantissait la liberté de parole des participants.
Il a voulu rappeler aussi dans ce discours de clôture comment il était garant de la communion, et comment il tient fermement à permettre l’expression de la vie de l’Église dans toutes ses dimensions. Cette garantie de la communion, il l’a exprimée d’une façon pas du tout originale, mais tout à fait notable dans sa bouche, car à ma connaissance, c’est la première fois qu’il l’a fait dans une instance publique en utilisant un texte préparé. C’était la définition de sa mission du ministère pétrinien. Il nous avait habitués à quantité de paroles fort encourageantes, mais il avait toujours pris soin, et il prend toujours soin d’ailleurs avec le même souci, de ne pas faire la confusion entre le pape et l’évêque de Rome. Et dès sa première apparition publique, il s’est présenté comme l’évêque de Rome et il a toujours pris soin de se présenter comme l’évêque de Rome, jusqu’à choisir délibérément de ne jamais parler qu’italien, non pas parce qu’il serait ignorant d’autres langues, qu’il pratique plus ou moins bien -en tout cas je suppose puisque je ne l’ai jamais entendu mais que je sais qu’il lit- mais pour montrer qu’il est l’évêque de Rome. Et comme évêque de Rome, il a repris à son compte les définitions canoniques du ministère pétrinien, c’est-à-dire à la fois d’être le pasteur et le docteur suprême de tous les fidèles, possédant dans l’Église le pouvoir ordinaire suprême plénier immédiat et universel. C’est la définition du code de Droit canonique. Si quelque esprit troublé avait pu penser que le pape François avait renoncé à cette responsabilité pontificale, le voilà tranquillisé… Il sait que cela existe, et il sait qu’il en est chargé, et il nous a dit qu’il assumerait cette charge. Ceci situe clairement la fonction du synode dans ses définitions originelles précisées par Paul VI, c’est-à-dire une instance de délibération et de propositions à destination de la décision du Pape. Si bien que tout ce que nous faisons, tout ce que nous disons devant lui, vise à aboutir à un certain nombre de propositions qui lui sont faites, dans lesquelles il triera celles qu’il veut conclure par une décision, celle qu’il veut utiliser comme une exhortation, pas seulement apostolique mais aussi une exhortation de fond, et celle qu’il oubliera de citer peut-être par distraction… Et la meilleure indication qu’il en a donné, sans jamais dire un mot là-dessus, là je vous fais du commentaire gratuit, cela a été, avant que le synode ne soit réuni, de nommer une commission pour la réforme des procès matrimoniaux, dans laquelle il a nommé une demi-douzaine de spécialistes, avec la mission de lui faire de propositions. Si par hasard un des pères synodaux avait eu l’idée de venir avec lui dans sa valise, un projet ficelé pour la réforme des procès matrimoniaux, il est reparti avec, car ce n’était plus d’actualité !
La deuxième chose qui m’a beaucoup frappé dans ce synode, alors qu’au moment du consistoire du mois de février -mais là, c’est un jugement très subjectif que je vous donne et cela en toute confiance- je trouvais que les Africains étaient d’une timidité inquiétante. On entendait beaucoup les anciens cardinaux italiens qui avaient préparé des mariages autour de la Deuxième guerre mondiale… faire part de leur expérience pastorale, mais les cardinaux africains, on ne les entendait pas du tout. Si bien que dans les pauses-café, je faisais un peu le « commis voyageur » de l’un à l’autre : « mais dites quelque chose ! Racontez ce que vous faites ! Parlez de votre Église ! ». A la fin, il y en a qui ont fini par se décider à dire quelque chose. Alors que dans la session du synode où les temps de parole étaient aussi limités, mais où il y en avait plus, ce qui donnait statistiquement un peu plus de possibilité de s’exprimer, ils l’ont fait avec beaucoup de liberté et de clarté, à travers des situations pastorales très différentes. Je voudrais vous dire que j’ai retiré l’impression qu’un nombre important d’Églises africaines, telles qu’elles apparaissent à travers leurs évêques présidents de conférences épiscopales, ne sous-estiment pas le risque d’un colonialisme éthique. Dans le passé, ils ont connu d’autres formes de colonialisme, qui ne sont pas toujours terminés, notamment le colonialisme économique qui consiste à exploiter les matières premières du pays et d’oublier de former les gens sur place -en tout cas dans certains pays et pour certains exploiteurs. Ils se sont élevés avec force contre ce qu’ils dénoncent comme un chantage éhonté des organismes internationaux qui conditionnent leur aide financière et technique à l’adoption de règles éthiques contraires à leur conviction. Ils sont prêts à dire : on préfère être pauvres en étant fidèles à nos convictions, que de bénéficier de la manne des pays occidentaux pourvu que l’on adopte leur mode de vie. Nous ne sommes ni attirés ni intéressés. C’est ce que j’appelle le colonialisme éthique, de façon un peu grossière et caricaturale, mais qui n’est pas tout à fait fausse.
La troisième chose, c’est que j’ai perçu dans nos débats trois pôles qui fonctionnaient en interaction mais dont l’interaction faisait précisément l’objet du débat, à savoir : la foi chrétienne, à peu près garantie par la composition de la salle, la morale chrétienne, professée avec beaucoup de conviction et, ce que j’appellerais pour faire une distinction, les mœurs culturelles. Par les mœurs culturelles, je veux dire que cette foi chrétienne à laquelle nous adhérons tous, cette morale chrétienne dont nous voulons tous nous inspirer, nous les vivons dans des systèmes culturels complètement différents. Qu’il s’agisse des cultures asiatiques, ou les traditions historiques de différentes nations asiatiques et de différentes mœurs conjugales de ces nations asiatiques, ou qu’il s’agisse de l’Afrique, ou qu’il s’agisse de l’Amérique Latine, ou qu’il s’agisse de l’Amérique du Nord et de l’Europe. Nous sommes dans des systèmes culturels différents. Et l’une des questions, que personne n’a formulée, mais peut-être va-t-on y arriver puisqu’on a encore quelques mois avant la deuxième séance, est de savoir si nous considérons, nous, Européens, Occidentaux, etc. que l’Église doit être le garant de nos mœurs. Demandons-nous à l’Église d’être le garant de nos mœurs, comme historiquement il faut bien reconnaître, elle l’a été ? Sans que l’on puisse toujours faire le partage entre ce qui était l’inspiration évangélique des mœurs communes ou la christianisation de mœurs païennes, mais il y avait une certaine symbiose, une certaine communication entre ce que l’on pourrait appeler la morale commune et la morale chrétienne, avec des degrés plus ou moins raffinés. Et aujourd’hui cela ne marche plus ! Mais que veut-on ? Que l’Église se rallie aux mœurs ou que l’Église accomplisse une mission parmi les hommes ? Voilà une question fort difficile.
Quatrième question que je voudrais souligner, toujours dans le même sens : où sont les problèmes ? Est-ce que c’est l’Église qui est un problème ou bien est-ce la réalité ? C’est toujours la grande question des services hospitaliers : qu’est-ce qui est cause de la maladie ? Est-ce le docteur ou est-ce le virus ? On va vous dire : mais l’Église n’est pas branchée, etc. Mais qu’est-ce qui fait souffrir les gens ? Est-ce l’Église ou bien est-ce ce qu’ils vivent ? Car selon la réponse que l’on apporte à cette question, on définit autrement la mission de l’Église. Si on considère que l’Église est responsable des souffrances de l’humanité, on comprend que l’on n’ait pas beaucoup envie de sortir et d’aller aux périphéries, car c’est assez rare que quelqu’un qui est responsable du malheur des gens, aille se mettre sous leur nez pour se faire castagner ! Ce serait vicieux ! Si nous pensons, comme le Pape nous le dit, qu’il faut « sortir », arrêter de s’auto référencer pour aller vers l’humanité et rejoindre les périphéries géographiques ou existentielles, c’est parce qu’il pense que nous pouvons apporter quelque chose qui est autre chose que la contagion. Quand il dit que l’Église devrait être comme un hôpital de campagne, cela veut dire qu’il considère que ce n’est pas elle qui a blessé les gens, sinon pourquoi elle ferait un hôpital de campagne ? Elle est là pour essayer de rafistoler quelque chose. Cette question de savoir d’où viennent les problèmes, d’où viennent les difficultés, est très importante non seulement pour une approche théorique de la réalité, qui est une façon d’analyser la situation et de chercher des modalités de réflexion, mais plus profondément parce que si la santé passe par un chemin de conversion, cela suppose que l’on identifie où est le mal. C’est ce que le Pape a dit dans son discours final : on n’est pas des gens qui viennent simplement pour soigner les symptômes et pour mettre de la pommade sur les blessures sans s’attaquer à la racine du mal. Et la racine du mal, elle est dans le réel vécu par les gens. Et si on veut apporter une espérance, il faut bien que l’on apporte un appel à vivre autrement et à ne pas nous laisser simplement instrumentaliser par ce que j’ai appelé « les mœurs culturelles ».
Quelle est la mission de l’Église ?
Moi, j’étais très bien au synode parce qu’après avoir envoyé promener les journalistes les premiers jours, après j’ai été tranquille ! J’étais dans le synode, je me laissais immerger dans le synode, et il paraît que dehors c’était la guerre ! Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qui va se passer ? Le Pape abandonne-t-il la doctrine au profit de la pastorale ? Est-ce que la miséricorde est le renoncement à la vérité ? Vous savez tous ces dilemmes qui animent les débats intelligents… Moi j’ai compris, de mon petit point de vue de père synodal perché sur l’estrade, qu’il y avait quand même deux choses qui étaient claires.
Premièrement, on n’est pas là pour fermer les yeux et pour fermer la bouche. On est là pour apporter un témoignage. Ce témoignage, c’est que la connaissance de Dieu, telle qu’elle nous est arrivée à travers l’incarnation du Christ et le don de l’Esprit, est une source d’espérance pour l’humanité. C’est ce que j’appelle une mission de témoignage. Pour réussir sa vie, il vaut mieux avoir recours aux ressources disponibles plutôt que de les contourner. Parmi ces ressources disponibles : la foi en Dieu Père, Fils et Esprit Saint est une ressource fondamentale. L’Église doit dire cela aux hommes, sinon ce n’est pas la peine qu’elle s’installe, elle n’a qu’à fermer ses affaires et aller vivre dans le désert.
Deuxièmement, depuis l’origine de l’humanité, ou disons depuis la révélation positive telle qu’elle nous est donnée à travers l’Écriture, on sait que la rencontre, l’alliance entre Dieu et l’humanité est une histoire conflictuelle. Cela ne se passe jamais comme sur des roulettes ! Ce sont toujours des histoires de trahison, d’idolâtrie, de nouvel appel, de relance, de prophétie, de miséricorde, jusqu’à la venue du Christ. Donc nous savons que nous sommes une humanité blessée. Quand le Pape dit qu’il faut que l’Église soit un hôpital de campagne, c’est parce que l’humanité souffre, c’est parce qu’elle est blessée, c’est parce qu’elle a besoin d’être aidée, d’être connue, et accompagnée, et c’est la deuxième dimension de la mission de l’Église : annoncer la bonne nouvelle de la miséricorde de Dieu, et accompagner les hommes pour qu’ils puissent accueillir cette bonne nouvelle. Si on se contente d’être des prophètes, on peut amuser un certain temps, mais enfin arrive un moment où les prophètes sont fatigants ! Ils disent toujours la même chose et cela ne change pas grand-chose à la réalité ! La mission de l’Église, c’est d’annoncer que le bonheur de l’homme passe par le Christ : il n’y a pas d’autre nom sous le ciel par lequel on puisse être sauvé. Cette annonce touche la chair et le cœur, elle secoue. Quand Pierre fait son discours après la Pentecôte, les Actes des Apôtres nous disent : « Ils eurent le cœur transpercé » ; ils n’ont pas dit « a-t-on raison ? » ; ils ont dit « que nous faut-il donc faire ? » (Ac 2,37) Accompagner les gens, c’est précisément les aider à accueillir cette parole au plus profond de leur cœur et les accompagner dans la secousse que cela représente et dans le changement de vie que cela représente.
Questions-Réponses
1ère question : En premier lieu j’aimerais vous poser une question, des précisions. Vous avez un peu abordé la question, quand vous avez dit « où sont les problèmes ? Est-ce l’Église ? Est-ce la réalité ? ». Dans le questionnaire préparatoire au synode, les premières questions portaient notamment sur la réception du discours de l’Église sur la famille, et l’enquête a révélé que malheureusement ce n’était pas souvent reçu, en tout cas sur certaines questions cela ne l’était pas. Quel est votre diagnostic ? Qu’est-ce qui cloche, j’allais dire, est-ce que c’est l’émetteur : c’est-à-dire nous n’avons pas les bons mots ? Nous n’avons pas la bonne théologie ? Nous n’avons pas la bonne doctrine diront certains ? Ou bien est-ce du côté des récepteurs, c’est-à-dire qu’effectivement les évolutions culturelles font que - vous parliez tout à l’heure du fait que longtemps il y avait une morale commune et qu’il n’y a plus de morale commune. Voilà, quel est votre diagnostic ?
Card. Vingt-Trois : Déjà en évoquant le plan du questionnaire qui a été envoyé, vous avez un élément de réponse. Les rédacteurs du questionnaire ont pensé que la question principale était de savoir comment était reçu l’enseignement de l’Église. C’est une perspective honorable, que je ne veux pas discréditer, mais ce n’est pas ma première question. C’est pour cela qui je n’y ai pas répondu. C’est évident que l’enseignement de l’Église ne peut pas être compris dans toutes ses nuances et ne peut pas être accepté dans toutes ses nuances, ou alors c’est que Jésus a manqué quelque chose dans son histoire, car si cela avait été si simple, cela aurait marché avec lui ! Le problème, ce n’est pas que cela ne marche pas avec nous, c’est d’essayer de comprendre d’où vient la difficulté, et il se peut que dans la difficulté il y ait, comme vous l’avez évoqué, des difficultés de langage, des difficultés de compréhension, des difficultés de modes d’approche. Mais enfin, n’importe quel enseignement est confronté à ces difficultés, c’est-à-dire que par définition, on s’adresse à l’intelligence ou au cœur avec un appareil de mots, de concepts, de référence qui ne sont pas a priori familiers et qui ne sont pas a priori acceptés. Qu’est-ce qui fait qu’ils sont acceptés ? Ou bien il y a une démonstration imparable, c’est de l’ordre de la science, on a démontré que deux plus deux égalent quatre, jusqu’à ce que l’on trouve un mathématicien génial qui va redistribuer les cartes pour la satisfaction des universitaires… Tout le monde croit que deux et deux font quatre. Après, quand on devient plus savant, on sait que cela n’est pas toujours simple… Mais si on dit : faites du bien à ceux qui vous font du mal, il ne suffit pas de le dire pour que cela soit reconnu, il faut que cela soit porté, et ce qui porte l’originalité de ce message, ce n’est pas simplement sa crédibilité, ou la puissance de démonstration que l’on peut y apporter, qui est toujours possible et nécessaire, ce sont les témoins. Il paraît que Paul VI a dit -je ne suis pas fervent de citation- dans un célèbre discours, que l’époque que nous vivions avait moins besoin de maîtres que de témoins. Quand on sait que Paul VI n’était pas spécialement un illettré -donc on ne peut pas l’accuser d’anti intellectualisme primaire- il a voulu dire que les messages que l’on adresse, les propositions qu’on fait, prennent leur poids dans la mesure où ils sont illustrés par des vies humaines. Notre difficulté, ce n’est pas simplement que l’on aurait un message qui ne serait pas adapté - ce qui a toujours été le cas, cela n’a jamais été adapté, quand les prophètes vaticinaient sur Israël, ce n’était pas adapté du tout ! - Que nous soyons soucieux et précautionneux pour chercher les modes d’expression les mieux accordés, la communication la plus habile, c’est très bien, mais j’allais dire que plus on réussit, plus cela fait ressortir la difficulté, car si on réussit vraiment à communiquer ce que l’on a à dire, on accule les gens à leur liberté et c’est dans leur liberté qu’est la difficulté, ce n’est pas dans le message. Est-ce que l’on veut vraiment faire du bien à ceux qui nous font du mal ? Dans l’évangile, vous avez une masse considérable de messages du Christ qui sont « en français de base », « aimez-vous les uns les autres » c’est du français de base, « faites du bien à ceux qui vous font du mal » c’est du français de base, « bénissez ceux qui vous maudissent » c’est du français de base. Pourtant il faut que l’on fasse des homélies… Ce n’est pas simplement pour occuper le curé pendant la messe parce qu’il pourrait aussi lire quelque chose pendant ce temps-là, c’est aussi parce que ces mots simples, directs, que l’on entend dans l’évangile à la proclamation liturgique, ont besoin d’être actualisés comme Jésus à Nazareth lit le prophète Isaïe et dit : « ces paroles… c’est aujourd’hui pour vous ». Alors le curé qui doit faire l’homélie n’est pas là pour faire des circonlocutions savantes autour du thème général et montrer qu’il a de la culture, il est là pour dire : c’est quelque chose qui est vrai pour vous aujourd’hui, et s’il réussit un peu, cela fait mal et donc cela ne passe pas comme une lettre à la poste.
Je vais vous donner un exemple. Comme vous le voyez, je parle souvent, donc il m’arrive de dire beaucoup de choses, et quelquefois réfléchies ! Dans un rassemblement, je parlais sur les vocations consacrées ou les vocations au sacerdoce, etc. J’ai donc dit un jour : « aujourd’hui, c’est à toi que je m’adresse ». Comme je le disais devant cinq mille jeunes il n’y avait aucune chance que quelqu’un se sente visé, donc c’était tout à fait anodin, et deux ans après j’ai vu une jeune religieuse qui m’a dit : c’est là que j’ai compris que j’étais appelée. J’avais sans doute dit des choses merveilleuses autour, mais la seule parole utile que j’ai dite ce jour-là, c’était celle-là. Ou bien une autre fois, un candidat au séminaire vient me voir, je le raccompagne et devant l’ascenseur il me dit : bon, maintenant je vais réfléchir. Je lui dis : écoute, cela suffit, cela fait assez longtemps que tu réfléchis, tu ferais mieux de te décider et je l’ai mis dans l’ascenseur et il est parti. Et il m’a dit après : c’est là que je me suis décidé. Sinon il serait encore en train de réfléchir !
La difficulté, c’est la densité existentielle du message, ce n’est pas simplement sa formulation, ses modalités. Comment est-ce vraiment Dieu qui parle ? A travers Jésus, c’est Dieu qui parle. Et à travers nous, c’est Dieu qui parle. Si c’est Dieu qui parle à travers nous, il faut que cela change quelque chose.
2e question : On s’était dit que l’on reviendrait aussi dans ces questions sur la méthode du synode. Vous avez évoqué cela en entrée dans les nouveautés. J’ai été très frappée, vous l’avez dit dans votre exposé, il y a eu des échanges « musclés et parfois conflictuels ». Il y a certains catholiques qui s’en réjouissent et qui sont à l’aise avec cela, et d’autres que cela trouble, de voir des évêques, de voir des cardinaux exposer leurs désaccords. Que peut-on dire par rapport à cela ? Car ce n’est pas si habituel dans le fond.
Card. Vingt-Trois : On a deux éléments d’éclatement, ou de non concordance. Un premier élément est notre situation. L’évêque du Burkina Faso ne peut pas traiter les questions comme l’archevêque de Paris, ce n’est pas la même situation. Il est confronté à d’autres questions, d’autres problèmes, donc il aborde forcément les questions autrement. Et puis il y a des écoles théologiques. Ces écoles théologiques ne sont pas superposables et sont néanmoins légitimes. Être de la descendance de saint Thomas d’Aquin, ce n’est pas forcément exactement la même chose que d’être de la descendance de saint Bonaventure, cela n’a pas empêché que ce sont deux grands saints également reconnus comme des théologiens. Pour prendre quelqu’un de plus récent parmi nous, se réclamer du Père de Lubac, ce n’est pas exactement pareil que de se réclamer du Père Congar. Cela n’enlève rien, ni au Père de Lubac ni au Père Congar, qui sont des grands théologiens et qui ont eu un certain nombre de relations fortes. Les évêques qui ont participé aux commissions conciliaires se sont bien rappelé que pour arriver au consensus qui a abouti aux votes des textes du Concile, il a fallu ramer ! Il y a des gens qui ont passé des nuits à rédiger des textes pour dire : ce n’est pas ceci, ce n’est pas cela, etc. Il y a des écoles théologiques, il y a des traditions théologiques, il y a des traditions spirituelles, et il y a des expériences pastorales qui sont différentes. Un évêque qui a été toute sa vie professeur de séminaire n’a pas la même expérience qu’un évêque qui a été pendant vingt-cinq ans prêtre de paroisse. Il connaît les mêmes choses mais il ne les connaît pas avec les mêmes lunettes et il ne se pose pas les mêmes questions. Par exemple, quand on parle d’accompagnement dans un certain cercle, une certaine zone de vie religieuse consacrée, cela représente quelque chose. Quand on parle d’accompagnement des laïcs dans une paroisse, cela représente autre chose. Et c’est pourtant le même Esprit Saint, le même ministère, le même accompagnement, mais cela fonctionne autrement. Tout cela on peut mettre du sable par-dessus et dire ce que nous avons dit à plusieurs reprises avec conviction : nous sommes tous convaincus de l’indissolubilité du mariage. Ce qui est vrai ! Mais une fois que l’on a dit cela, il n’empêche que l’on est tous différents, et que cette différence apparaît, -le Pape a souligné dans son discours final- comme une « consolation ». Il est jésuite, donc il emploie du vocabulaire qui ne peut pas toucher tout le monde ! Quand on parle de « consolation » chez un jésuite cela ne veut pas dire la même chose que dans une école maternelle ! Il a parlé de consolation, il a été consolé intérieurement, spirituellement, par cette confrontation fraternelle à laquelle il présidait. Il aurait été déçu, peiné, a-t-il dit, si cette confrontation n’avait pas pu avoir lieu. Il a fait un acte de lecture spirituelle dans la plus pure tradition des exercices spirituels de saint Ignace, en disant : il y a eu des mouvements, des esprits. Quand je l’ai rencontré, on a parlé de beaucoup de choses et du synode aussi ! Il m’a dit « ça fait du mouvement », cela fait du mouvement dans les cœurs. Lui, il est là pour interpréter les esprits, il n’est pas là pour provoquer le mouvement. Ce que je veux dire, c’est qu’il faut accepter que dans l’Église tout ne soit pas pareil.
3e question : On va venir aux questions sur la famille, mais encore un point sur la méthode, « La méthode François ». C’était aussi le premier synode du Pape François. On a bien senti, et vous l’avez expliqué combien la collégialité avait bien joué au cours de ce synode. Le Pape reste le Pape, mais est-ce que la collégialité sera seulement exprimée à travers les synodes ? à travers les synodes successifs ou bien va-t-il y avoir d’autres expressions, éventuellement peut-être aussi des réponses qui seraient régionales ou continentales puisque vous avez bien marqué aussi les difficultés qui peuvent être différentes en fonction des cultures ?
Card. Vingt-Trois : Cela rejoint un peu la difficulté que pointée tout à l’heure pour un certain nombre de catholiques, peut-être plus français que d’autres pays. Nous avons une tradition ultramontaine séculaire, symétrique d’une tradition gallicane, qui se fortifiaient l’une l’autre. Nous savons qu’il faut des zouaves pontificaux, il y en a eu dans l’histoire et nous en étions, alors on croit que tout vient de Rome, que la moindre décision que prend le dernier vicaire de la dernière paroisse du diocèse a été inspirée par le Pape. C’est une force considérable car cela donne l’impression que tout est cohérent, mais enfin cela ne correspond pas à la réalité, et il faut être un peu en retard pour s’imaginer que les actes pastoraux, c’est-à-dire la mise en œuvre pastorale peut être décidée depuis un centre universel. La mission du centre universel, ce n’est pas de décider ce que l’on va faire à l’Institut Catholique, c’est de décider les conditions selon lesquelles on est en communion avec la foi catholique. Alors évidemment il peut arriver qu’il y ait des erreurs, des bavures, et à ce moment-là, il y a quelqu’un qui donne un signal fort pour dire : attention vous êtes en train de débloquer ; mais cela veut dire que l’on ne peut pas attendre du Pape qu’il prenne toutes les décisions. Je vais prendre un exemple très simple que j’ai évoqué tout à l’heure. Le Pape dit : l’Église ne peut pas accomplir sa mission si elle ne sort pas vers les périphéries. Personne ne sait ce que cela veut dire… Tout le monde croit que c’est bien ! Tout le monde adhère ! Mais personne ne sait ce que cela veut dire concrètement. Et c’est très bien comme cela. Le Pape donne une orientation générale, il la répète autant de fois qu’il faut jusqu’à ce qu’elle soit passée dans le langage commun. Maintenant tout le monde à Rome parle des périphéries… C’est devenu le langage des congrégations ! Mais comment, moi, archevêque de Paris, je vais inciter les chrétiens à aller aux périphéries ? Pas simplement en leur disant allez aux périphéries ! Il faut que je leur propose des modèles, des cheminements, des actions qui vont les faire sortir de leur cocon protecteur, de leur « autocentrement » comme disait le cardinal Bergoglio quand il parlait à la congrégation générale. Il ne faut pas que l’Église soit autocentrée. C’est en se décentrant d’elle-même qu’elle retrouve son centre, c’est-à-dire le Christ. C’est en se décentrant de ses problèmes qu’elle retrouve son centre qui est le Christ. Quand on dit cela, qu’est-ce que l’on va faire ? Depuis neuf ans que je suis archevêque de Paris, je rame doucement pour que les paroissiens qui viennent à la messe le dimanche finissent par se dire un jour ou l’autre : peut-être que cela peut dépendre de moi que la foi ait un avenir dans ce pays. J’ai fait des programmes annuels, bisannuels, trisannuels, et chaque année, on relance un programme, car c’est à travers ce cheminement long que l’on avance, mais je n’ai jamais demandé ni à Benoît XVI ni au pape François si c’était cela qu’il fallait faire. J’ai suffisamment de conviction dans la confiance que le Pape fait aux gens qu’il nomme pour ne pas aller lui demander. Des gens me disent : vous voyez souvent le Pape ? Je ne le vois jamais ! Il a autre chose à faire qu’à me recevoir. Un peu plus que vous, mais vous, vous me voyez souvent ! Lui ne me voit pas souvent ! Tous pour un, un pour tous, mais chacun son chemin !
4e question : Alors chacun sa route, chacun son chemin. Pourriez-vous nous dire pour vous, dans le diocèse de Paris déjà, quelles sont les priorités de ces enjeux pastoraux de la famille ? Vous nous avez dit tout à l’heure à Ouagadougou et à Paris, ce n’est pas la même chose, il y a des cultures différences. Pourriez-vous nous dire, vous, personnellement, où sont les périphéries pour le diocèse de Paris en matière de pastorale familiale, et quels sont les enjeux ?
Card. Vingt-Trois : Vous avez dans le diocèse de Paris - comme dans toute la France, mais peut-être avec une proportion un peu plus forte - un nombre considérable de gens que l’on dira, en gros, de tradition chrétienne. Ils ont peut-être été baptisés, peut-être pas ; leur grand-mère avait une statue de Notre-Dame de Lourdes dans sa chambre, bref ils savent qu’ils sont plutôt catholiques, mais cela ne va pas beaucoup plus loin. Ces gens-là, il y a cinquante ans allaient au catéchisme en rang par deux, ils faisaient leur première communion, et puis après, c’était assez variable… Aujourd’hui, ces gens-là n’envoient plus leurs enfants au catéchisme, ce n’est pas plus compliqué que cela. Comme tout commence par la première enfance, on peut se raconter tout ce qu’on veut, notre capacité d’être aimé et d’aimer commence dans l’enfance. Cela veut dire qu’il faut que nous soyons aimantés par ces familles qui ont des enfants jeunes, il faut que nous soyons convaincus que c’est à travers l’éducation qu’ils donnent à leurs enfants, non pas qu’ils vont nécessairement transmettre la foi chrétienne, ils n’en sont pas toujours capables et ils n’en n’ont pas toujours l’intention, mais qu’ils vont au moins éduquer un certain nombre de valeurs humaines pour que l’annonce de la foi chrétienne ne soit pas perçue comme un message ésotérique. Si on parle du pardon à des gens qui n’ont jamais entendu ou pratiqué le pardon et la réconciliation, cela fait flop. Si on parle du pardon à des jeunes qui ont déjà des expériences de réconciliation et de pardon, ils se disent : oui, ça je sais ce que c’est. C’est une première approche : les familles qui ont des enfants jeunes. Je me réjouis de voir que dans un grand nombre de paroisses parisiennes où je circule le dimanche, il y a des familles avec des enfants à la messe, ce que je ne voyais pas quand j’avais dix ans.
Ensuite, l’éducation affective des jeunes. Va-t-on abandonner l’éducation affective des jeunes à la prophylaxie contre les maladies sexuellement transmissibles ? C’est à peu près où on en est actuellement. C’est la responsabilité des adultes, des parents, de savoir s’ils sont satisfaits qu’à l’école on explique comment fonctionne le préservatif et qu’à partir de là tout est fait… Là aussi, il faut que l’on soit présents.
La décision et la préparation d’un mariage. Laissons de côté la question de savoir si c’est à l’église, pas à l’église, sacrement pas sacrement, c’est encore autre chose. Simplement le fait que des gens qui essayent de vivre honnêtement, qui pensent avoir envie d’avoir des enfants ensemble, et qui pensent que ce serait mieux d’être mariés plutôt que pas. C’est déjà un grand bénéfice tout cela. Ils sont homme-femme, ils s’aiment, ils pensent avoir des enfants, et ils pensent se marier ; il y a quand même un fond de départ qui n’est pas mauvais… Encore faut-il qu’il y ait des interlocuteurs pour exploiter ce fond de départ ! Tout ce qui tourne autour du mariage est un moment sensible, un moment où les gens ont une disponibilité et une force particulière.
Ensuite, les crises de la famille, les gens qui traversent une crise : où, quand et comment peuvent-ils en parler ?
J’ai eu l’occasion dans ma vie, comme tout le monde, d’être témoin de gens qui traversaient des périodes difficiles et qui pouvaient parler avec un frère, une sœur, qui pouvaient tester leurs réactions, demander conseil. Aujourd’hui, où et à qui peut-on demander conseil, partager des difficultés ? Comment peut-on s’appuyer sur quelqu’un ? Quand j’étais gamin, au-dessus de chez nous, il y avait une vieille dame. Pratiquement tous les soirs, elle passait chez nous, parce qu’elle était toute seule, pour causer. Eh bien, quand on entend les gens causer, on entend qu’il se passe des choses. Cette brave femme qui avait soixante-cinq ans à ce moment-là avait eu une vie terrible. Son mari l’avait fichue dehors. C’était une vie dramatique. Mais elle pouvait parler, elle pouvait dire les choses. Qui peut accueillir cette parole ? A-t-on des relations humaines suffisamment riches, suffisamment disponibles pour que le voisin qui a une difficulté puisse en parler à quelqu’un et ne pas s’enfermer dans sa difficulté ? Combien de crises conjugales seraient surmontées s’il y avait ce minimum de parole et d’accompagnement ? Combien de crises conjugales seraient surmontées s’il y avait quelqu’un pour inscrire dans la conversation le souci des enfants ? Quand on est affectivement obnubilé, on oublie les entours ! Les enfants sont là, qu’est-ce qu’ils vont devenir ? - On ne peut quand même pas rester ensemble à cause de nos enfants ? - Eh bien pourquoi ? Ce ne serait quand même pas si dramatique d’assurer à des enfants d’avoir une famille ! Ce n’est pas un crime, il n’y a pas de quoi se culpabiliser ! Il faut pouvoir parler de tout cela, si on ne peut pas parler de tout cela, il n’y a rien… Voilà les efforts auxquels nous sommes appelés, comme on peut.
5e question : Je sais que c’est une question très occidentale, qui préoccupe beaucoup les journalistes, mais vous avez parlé beaucoup de l’accompagnement et la relatio en parle aussi beaucoup. Il y a une question qui porte sur l’accueil des personnes homosexuelles, on n’aura pas le temps de l’aborder, sur l’accueil des personnes divorcées-remariées et leur accès aux sacrements. Je sais que pour vous, c’est aussi une invitation à une réflexion théologique poussée, peut-être à une réflexion sur la définition sacramentelle du mariage. Qu’est-ce que vous en pensez aujourd’hui dans cette inter-session ?
Card. Vingt-Trois : Aujourd’hui je pense qu’il faut travailler sur plusieurs points. Il faut travailler sur le sens – je ne parle pas des personnes divorcées-remariées, je parle pour les chrétiens en général -, de l’eucharistie. Qu’est-ce que cela veut dire que d’aller communier ? On ne peut pas demander à des gens éprouvés par la vie d’avoir un comportement plus dur que ceux pour qui la vie n’est pas très difficile. Comment les chrétiens qui vont communier à la file les uns derrière les autres font-ils une démarche vraiment personnelle et responsable ? Si c’est vraiment une question importante pour la communion, c’est vrai pour tout le monde y compris pour les personnes divorcées-remariées ; mais cela ne peut pas être vrai seulement pour les personnes divorcées-remariées, cela doit être vrai pour tout le monde ! Que l’on se pose sérieusement la question, comme c’est prévu par la liturgie et par la tradition chrétienne « que chacun s’examine avant de s’approcher ». Je vois des choses assez consolantes - comme dirait le Pape -, encourageantes en tout cas ; je vois de plus en plus dans les paroisses des gens qui s’approchent pour se faire bénir. Ils ne portent pas un dossard « divorcé-remarié », donc on ne sait pas pourquoi ils viennent se faire bénir, on ne sait pas pourquoi ils ne reçoivent pas le sacrement, ce n’est pas écrit sur leur front, mais voilà ils le font. Et puis je vois d’autres choses moins consolantes, mais moins significatives aussi. Quand on voit les choses en face, on a toujours une vue différente… Quand je vois les gens qui s’avancent pour communier, j’ai des réflexes paroissiaux un peu bruts, quand je les vois quinze l’un derrière l’autre et qu’à côté il y a un prêtre qui donne la communion et qu’il n’y a personne pour recevoir la communion, j’ai envie de leur dire : mais vous ne voyez pas qu’il y a un aiguillage ? Vous pourriez quand même changer de file ! Je sais bien que c’est un mauvais réflexe parce que je crois, Dieu me fait la grâce de croire, qu’ils sont tellement concentrés dans leur démarche qu’ils ne voient même plus qu’à côté d’eux il n’y a personne… donc ils ont les yeux fixés sur les épaules de celui qui est devant et ils avancent… C’est pour dire que tout cela est très compliqué.
Deuxième chose, on me dit – ce que je crois volontiers – que beaucoup de jeunes qui viennent se marier ne vont jamais à la messe. Je le crois. Je me demande comment ils vont fournir les bataillons de divorcés-remariés qui voudront communier… car il y a quand même un petit hiatus ! Ou bien on parle d’un petit nombre de gens, ce qui ne semble pas ressortir du discours général. On a l’impression qu’il y a une foule de personnes divorcées-remariées qui sont devant les portes des églises en essayant d’entrer,
Voix dans la salle : c’est vrai mon père. Je me permets de dire que si.
Card. Vingt-Trois : Mais pas une foule ! Mais comment se fait-il que quand ils viennent se marier, on me dit : - ils ne vont jamais à la messe ?
Voix : c’est une autre génération.
Card. Vingt-Trois : Peut-être. Enfin ce que je veux dire, c’est que la question est de savoir quelle est la démarche personnelle. Ce n’est pas la question de savoir si le Pape va prendre une décision universelle pour dire : tous les gens divorcés-remariés, vous pouvez y aller. Ce n’est pas cela qui va se passer. Ce qui va se passer, c’est une invitation à accentuer, à développer et à approfondir les structures d’accueil de personnes divorcées-remariées, pour les écouter, les accompagner, et les accueillir dans une démarche de conversion personnelle. Ce n’est pas un décret universel qui va résoudre le problème, c’est une question de changement de vie personnelle.
Voix : Me permettez-vous de lire une parole du pape François par rapport à l’eucharistie : « l’eucharistie, même si elle constitue la plénitude de la vie sacramentelle n’est pas un fruit destiné aux parfaits mais un généreux remède et un aliment pour les faibles ». Je me sens de ces faibles-là.
Card. Vingt-Trois : Tout à fait, cela veut dire qu’il faut se sentir faible, c’est-à-dire qu’on ne vient pas en disant…