Conférences de Carême

Alors que Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris, engage son diocèse dans une démarche pastorale visant à redécouvrir la force et la grâce des sacrements, les Conférences de Carême font le choix d’interroger la littérature à travers le regard de six écrivains, plaçant la vie sacramentelle au cœur de l’expérience chrétienne.

Entretien avec Philippe Richard, professeur de lettres en khâgne dans l’académie de Versailles (Yvelines), docteur ès-lettres, spécialiste de Georges Bernanos, qui a coordonné l’ensemble du cycle des conférences, données du 18 février au 24 mars, à St-Germain-l’Auxerrois.

Philippe Richard, professeur de lettres en khâgne et docteur ès-lettres.
© Etienne Castelein

Paris Notre-Dame – Les conférences de cette année ont pour titre général La petite musique des sacrements, et présenteront, chaque dimanche de Carême, la vision d’un auteur sur les sacrements. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Philippe Richard – Littérature et sacrements sont, en effet, le fil rouge de cette édition des Conférences de Carême. Le projet initial, tel qu’on me l’a confié, était de pouvoir aider les personnes à mesurer la grâce des sacrements par l’expérience réelle apportée par la littérature. Parce qu’elle rend dicible l’invisible et qu’elle s’incarne dans des personnages et des situations, la littérature est un porche d’accès au mystère particulièrement pertinent. Le sacrement est lui-même très incarné par le rituel et les gestes des célébrants. Convoquer la littérature – qui rend visible – pour parler des sacrements – signes visibles – est promesse d’un dialogue très fécond. La Bible, elle-même, met le Salut en histoires pour raconter l’histoire du Salut ; et la littérature crée, à son tour, des histoires pour incarner l’histoire du Salut… Contrairement à un exposé théologique ou théorique, la littérature n’illustre pas des vérités de foi, mais invente, de manière créatrice, des figures qui permettent d’approfondir notre compréhension de la foi. En cela, elle n’a pas seulement une fonction auxiliaire aux cheminements du croyant, mais possède une véritable fonction autonome.

P. N.-D. – Comment appréhender cette fonction autonome de la littérature dans la compréhension de la foi ?

P. R. – La révélation de Dieu nous advient par une parole (l’Écriture) et par une figure (le Christ) en une double médiation qui manifeste pour nous, dans une histoire, la présence du Seigneur marchant toujours à nos devants. Cette advenue peut donc être considérée non seulement du point de vue de sa vérité – grâce à la tradition apostolique, socle du juste enseignement du christianisme – et de sa bonté – grâce au soutien sacramentel, corps du charitable zèle de l’Église –, mais encore du point de vue de sa beauté, grâce à la création artistique, témoignage des profondes aspirations de l’humanité : « Tout ce qui est beau dans le monde est [en effet] l’épiphanie, le rayonnement et l’éclat de principes d’être puissants et cachés jaillissant dans une figure expressive [et révélant ainsi le mode d’apparaître originel de Dieu lui-même] » (Balthasar, La Gloire et la Croix, II, 1). On comprend que la littérature mérite de posséder une place en toute existence croyante. La gloire divine n’est certes pas une ombre inaccessible, circonscrite au seul moment historique de l’incarnation de Jésus il y a quelque deux mille ans, mais demeure un éclat disponible, jaillissant d’un amour divin toujours actuel dans l’expérience de foi de chaque croyant au Christ ressuscité. Or, cette présence a souvent été manifestée par les écrivains que nous voulons évoquer, en une parole qui se fait ainsi sacrement de la révélation divine dans le monde et qui la rend sensible dans le corps de personnages et de situations. La figure esthétique voile certes un peu la lumière originelle ; mais elle exprime alors avec pertinence ce Dieu caché qui ne se manifeste que par signes ; la divine splendeur matricielle ne peut par ailleurs que nimber de mystère toute figure désirant révéler l’inconcevable. L’objet de la littérature chrétienne est donc la gloire de la manifestation de Dieu dans la diversité de ses manifestations : « S’il est vrai que la révélation divine dans l’ordre de la grâce accomplit la nature créée – c’est-à-dire confère son sens ultime à l’ouverture réciproque des êtres aussi bien qu’elle éclaire la transparence de tout être du monde à l’égard de son principe absolu d’être –, alors tout ce qui est beau dans le monde (donc aussi tout ce qui est vrai et bon) est orienté vers cette norme suréminente » (Balthasar, La Gloire et la Croix, II, 1).

P. N.-D. – Les auteurs mis à l’honneur sont, dans l’ordre : Léon Bloy, Paul Claudel, Charles Péguy, Georges Bernanos, Joris-Karl Huÿsmans et Marie Noël. Quels sont les critères qui ont motivé cette sélection ?

P. R. – Pour des aspects pratiques et pastoraux, nous avons favorisé des auteurs assez connus, afin que les auditeurs, désireux de les lire, puissent accéder facilement à leurs œuvres. Le choix s’est également porté sur une langue moderne, plus proche de nous que la langue classique, et partant plus proche des réalités que nous pouvons vivre, d’où la sélection d’auteurs ayant vécu entre la fin du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle. Nous avons aussi voulu honorer la diversité d’expression littéraire, en choisissant des romanciers, des poètes et des dramaturges. Si l’on ajoute que certains, parmi ces écrivains, se sont également livrés au genre de l’écriture intime dans leur « Journal », nous parvenons à une ouverture stylistique assez large et riche. Enfin, nous avons sélectionné des auteurs qui ont toujours voulu approfondir l’enseignement de l’Église, et qui sont reconnus pour la pertinence toute particulière, dans leur œuvre, pour dire le message chrétien.

P. N.-D. – Chaque sacrement sera-t-il traité à travers un seul auteur ?

P. R. – Au contraire, nous avons voulu éviter l’écueil du découpage artificiel, nécessairement trop didactique. Un même intervenant pourra aborder plusieurs sacrements, voire la sacramentalité, ce qui permettra à chaque conférence de se répondre, tout en proposant un prisme différent à chaque fois. Ce qui n’empêchera pas d’évoquer précisément les sacrements !

P. N.-D. – Ces conférences sont-elles réservées aux familiers des auteurs cités ?

P. R. – Pas du tout ! La force des Conférences de Carême est de proposer un enseignement exigeant et accessible en même temps. Les conférenciers ont vraiment à cœur de faire découvrir leur auteur, en laissant à chacun, par la lecture d’extraits, la possibilité d’être touché par la parole de ces écrivains… La force de la littérature est précisément de pouvoir rassembler un large auditoire, aux parcours de foi différents. Chacun y trouvera profit et pourra goûter quelque chose.

Propos recueillis par Charlotte Reynaud

La mystérieuse musique des sacrements
Du dimanche 18 février au dimanche 24 mars, à 16h30 à St-Germain-l’Auxerrois (1er).

Carême 2024 – “La mystérieuse musique des sacrements. Littérature et spiritualité.”