Marie Noël, cœur brisé

Chaque semaine, Paris Notre-Dame vous propose une courte présentation de la conférence de Carême à venir. Ce dimanche 24 mars, le P. Arnaud Montoux, prêtre du diocèse de Sens et Auxerre, directeur du premier cycle à la faculté de théologie à l’ICP, postulateur de la cause de Marie Noël, nous en dit un peu plus sur cet auteur à la spiritualité très incarnée dans le réel.

© Illustration : Alexia Humann / Diocèse de Paris

Paris Notre-Dame – Quel est votre lien particulier à Marie Noël ?

P. Arnaud Montoux – J’ai découvert Marie Noël à mon arrivée à Auxerre (Yonne), alors que j’étais lycéen, car mon professeur de lettres nous a fait étudier quelques poèmes tirés de son recueil Le Rosaire des joies. Sans être particulièrement bouleversé, j’ai suffisamment aimé sa poésie pour garder ce volume dans ma bibliothèque pendant des années. À mon ordination sacerdotale, ma mère m’a offert une statuette de Marie Noël ; tandis que je la déballais, une paroissienne s’est exclamée à côté de moi : « Je ne comprends toujours pas pourquoi elle n’est pas béatifiée ! » Quelques années plus tard, nommé curé de la cathédrale d’Auxerre, j’ai décidé de me replonger dans l’œuvre de celle qui avait tant aimé ce lieu ; à la lecture de ses Notes intimes, j’ai ressenti un véritable choc. J’ai vu en elle un auteur mystique, qui méritait, à mes yeux, l’ouverture d’un procès en béatification ; l’évêque d’alors, Mgr Hervé Giraud, m’a soutenu, et c’est ainsi que je suis devenu postulateur de sa cause.

P. N.-D. – Qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans ses écrits ?

A. M. – C’est quelqu’un qui n’évite pas l’aspect douloureux de l’existence, qui prend à bras-le-corps la question du mal, de la mort, de l’injustice. Marie Noël, c’est un cœur brisé qui se bat. Elle a connu de grands drames : la mort de son petit frère et le départ d’un jeune homme qu’elle aimait, survenus dans le temps de Noël, seront – avec l’émerveillement devant le mystère de l’Incarnation – les sources de son nom de poète : Marie Noël. Cet abandon, qui lui fait faire l’expérience de la mort, fait paradoxalement naître en elle une vraie quête du Christ ressuscité, et l’attente de l’un et de l’autre vont, petit à petit, se confondre dans les mots de son œuvre. J’admire sa capacité à affronter les tragédies avec un profond réalisme. Elle a essayé de résoudre le problème du mal à travers des positionnements philosophiques, mais ces réponses ne lui ont pas suffi, la laissant insatisfaite ; c’est finalement son adhésion à la foi et à l’amour de Dieu qui emporte tout.

P. N.-D. – Quel sera le fil rouge de votre conférence ?

A. M. – Marie Noël est très spirituelle et en même temps très ancrée dans la terre, dans le monde, dans son réel ; pour elle, Dieu est « chez elle en permanence », dans sa maison, dans les objets qui l’entourent. Cela donne à sa foi quelque chose de très incarné et de très personnel, à une époque où il était très mal vu, pour « un bon chrétien », de s’attacher au matériel. Dans un de ses poèmes, elle s’adresse à ses meubles, à ses objets, en leur reprochant de l’abandonner, et ce faisant, elle entretient un rap¬port très étonnant à la matière. C’est précisément sur cette question de la matière – et notamment celle présente dans les rites sacramentels – que je souhaite mener ma conférence, en m’interrogeant sur l’importance qu’on lui donne et l’illusion de sécurité qu’elle entretient, car la matière, tout comme les choses de l’esprit, est aussi le lieu de ce qui nous échappe… et nous abandonne.

Propos recueillis par Charlotte Reynaud

Le don de Dieu au péril des abandons
Par le P. Arnaud Montoux
Dimanche 24 mars, à 16h30,
à St-Germain-l’Auxerrois,
2, place du Louvre, 1er.

Carême 2024 – “La mystérieuse musique des sacrements. Littérature et spiritualité.”