Contempler en ville, à l’école de Madeleine Delbrêl

Paris Notre-Dame du 21 décembre 2023

Pour elle, chaque événement, chaque rencontre, chaque minute, était une possibilité de rencontrer Dieu. Madeleine Delbrêl, poète, mystique et assistante sociale déclarée vénérable par le pape François en 2018, nourrissait son « âme contemplative » par un quotidien, citadin, loin des grands espaces et de la nature.

Pour Madeleine Delbrêl, tout pouvait être sujet à contemplation : un trajet en métro, ou un dîner entre amis...
© Amis de Madeleine Delbrêl - travaux photo J.Faujour

Elle ne prononçait que rarement le mot « contemplation ». Elle le réservait le plus souvent à des modes de vie monastiques, aux religieuses clarisses ou carmélites notamment. De fait, à son époque, au milieu du XXe siècle, il existait peu de vie religieuse en dehors du couvent. Certes, l’ordo virginum existait mais il n’avait pas encore été réhabilité par… le Concile Vatican II. La vie religieuse se vit donc à l’écart du monde. Et pourtant, dans son mode de vie, dans ses lettres (publiées en plusieurs tomes actuellement par les éditions Nouvelle Cité), la contemplation transpire de tous côtés. Madeleine Delbrêl avait ce regard sur le monde qui la portait à voir Dieu dans les choses les plus triviales de l’existence. « On sonne ? Vite, allons ouvrir : c’est Dieu qui vient nous aimer, écrit-elle (Œuvres complètes, tome 7, p. 30). C’est l’heure de se mettre à table… allons-y ! C’est Dieu qui vient nous aimer. » Pour cette poète, assistante sociale qui quitta Paris en 1933 pour s’installer à Ivry (Val-de-Marne), ville à l’époque marxiste, « chaque petite action est un événement immense où le Paradis nous est donné, où nous pouvons donner le paradis. Qu’importe ce que nous avons à faire : un balai ou un stylo à tenir ; parler ou se taire ; raccommoder ou faire une conférence ; soigner un malade ou taper à la machine. Tout cela n’est que l’écorce d’une réalité splendide, la rencontre de l’âme avec Dieu. »
Ce regard, elle le portait parce qu’ « elle était envahie de Dieu », explique le P. Gilles François [1], postulateur de sa cause en béatification. Il poursuit : « Madeleine Delbrêl c’est la Lettre de saint Paul aux Galates 2, 19-20 “Je vis mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi”. » « Elle est contemplative parce que la prière, la présence de Dieu ne la quittent pas », ajoute le P. Bernard Pitaud, prêtre de saint Sulpice. La prière, sa relation à Dieu, est la source, le commencement de son action apostolique. C’est parce qu’elle est en Dieu qu’elle le croise à chaque coin de rue, dans chaque événement. « À force de fréquenter le Christ, elle le voit partout. » Y compris chez celui qui refuse sa présence, « dans ses frères qui attendent la Parole sans même le savoir », souligne le P. François. À ces frères qui ne peuvent pas vivre l’expérience du monastère, à nous aujourd’hui qui vivons loin d’une vie monastique, elle apporte une manière de vivre, dans le quotidien, l’essence de cette vie contemplative, régie par le silence et le recueillement. « Pour elle, expérimenter le silence c’était d’abord faire silence en soi », explique le P. Pitaud en précisant que « le bruit était d’abord, selon elle, le bruit qui vient de nous-même, la préoccupation de nous-même ». « Et se recueillir consistait à recueillir l’action de Dieu qu’elle voyait dans sa vie, tout le temps, recueillir les événements, recueillir les rencontres, les personnes, recueillir la vie des personnes autour d’elle pour mieux la comprendre et la présenter à Dieu. » En 1945, dans une conférence intitulée La vocation de la charité (tome 13 des Œuvres complètes), Madeleine Delbrêl rappelle que Dieu appelle « pour verser en nous pour ainsi dire son cœur avec tout ce qu’il veut pour le monde entier d’aujourd’hui et de demain. Mais cela en aimant tendre¬ment ce qui passe à côté de nous sur la route. » Et ajoute, en citant saint Luc (12, 49) : « Je suis venu porter le feu sur la Terre. C’est la vocation des âmes dites contemplatives d’être ce feu. »

Isabelle Demangeat @LaZaab

[1Les PP. Gilles François et Bernard Pitaud sont les auteurs de nombreux ouvrages sur et autour de Madeleine Delbrêl. Ils ont notamment établis et annotés les textes de correspondance de Madeleine Delbrêl publiés en différents tomes par les éditions Nouvelle Cité.

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