Discours d’accueil du cardinal André Vingt-Trois au Pape Benoît XVI au Collège des Bernardins
Collège des Bernardins – Vendredi 12 septembre 2008
Très Saint-Père,
Avant tout, je veux vous dire notre vive reconnaissance. En effet, pour venir à Paris, vous avez généreusement accepté d’anticiper de vingt quatre heures votre pèlerinage à Lourdes à l’occasion du jubilé des cent cinquante ans des apparitions de la Vierge Marie à Bernadette.
Pour ouvrir notre rencontre, vous ne m’en voudrez pas d’évoquer ici le souvenir et la figure du regretté cardinal Jean-Marie Lustiger, mort il y a juste un an. Le projet du Collège des Bernardins est vraiment son œuvre. Il y a pensé très longtemps. Il n’a rien ménagé pour en rendre la réalisation possible. Avec les soutiens très importants de l’État, de la Ville de Paris et de la Région d’Ile de France, la restauration historique de ce magnifique ensemble architectural a été réalisée et le Collège des Bernardins a pu être rendu à sa vocation première de haut lieu de la culture. Sans l’intuition du cardinal Lustiger, sans sa détermination et son implication, je ne crois pas que cette œuvre aurait abouti.
Mais si j’ai voulu vous inviter dans ce lieu magnifique et si je me réjouis que vous ayez accepté cette invitation, ce n’est évidemment pas seulement pour nous congratuler sur le patrimoine reçu de nos pères dans la foi. Le projet des Bernardins ne vise pas à reconstituer une œuvre du Moyen-âge. Nous ne sommes pas une entreprise de sauvegarde du patrimoine historique, si brillant et si attachant soit-il. La question à laquelle nous sommes confrontés en ce XXIe siècle n’est pas celle de la duplication de l’université du XIIIe siècle, ni du XIXe siècle d’ailleurs. Comment notre patrimoine philosophique et théologique, dont ce chef d’œuvre architectural est un beau symbole, peut-il aider aujourd’hui l’humanité de notre temps à formuler les questions fondamentales auxquelles elle ne peut échapper et comment pouvons-nous contribuer à l’élaboration des réponses à ces questions dans un dialogue permanent avec nos contemporains ?
Permettez-moi d’interpréter votre présence dans ce magnifique lieu comme un signe qui nous est adressé sur la place et la fonction des religions chrétiennes dans le contexte particulier des sociétés européennes. L’histoire de la prise de conscience du continent, les expériences successives de communication entre les peuples de l’Europe, aussi bien que les expériences de division et de déchirement sont indissociables du développement de l’expérience et de la pensée chrétienne, comme aussi des heures sombres de la division entre l’Orient et l’Occident et de la division spécifiquement occidentale vécue au temps de la Réforme.
Depuis un demi-siècle, l’Europe cherche sa voie et se construit plus ou moins laborieusement. Mais à mesure qu’elle s’étend en accueillant de nouveaux membres, la confrontation des cultures se fait plus vive, l’interrogation sur les finalités plus urgente. Vers quel avenir va notre continent ? Sur quelles bases anthropologiques et éthiques se développe notre union ? Pour quel service de l’humanité ? Nous sommes convaincus que la Sagesse chrétienne peut apporter sa contribution à cette grande œuvre. Depuis que la traduction française de votre ouvrage La foi chrétienne, hier et aujourd’hui a été publiée, il y a tantôt quarante ans, beaucoup de chrétiens en France savent que ces sujets sont au cœur de votre réflexion. Nous sommes heureux de pouvoir en bénéficier.
Vous avez devant vous une assemblée qui réunit Madame la Ministre de la Culture, Monsieur le Maire de Paris et de nombreuses personnalités. Vous voyez une délégation importante des académies de l’Institut de France, dont vous êtes un membre éminent, et dont le Chancelier va vous adresser le salut de ses confrères. Vous avez aussi des représentants des communautés musulmanes de France que je remercie d’avoir accepté notre invitation et un parterre de personnalités engagées dans la réflexion sur notre société : universitaires, écrivains, artistes, communicateurs, etc…Tous ont répondu à mon invitation et je m’en félicite.
Comment aurions-nous pu rêver une meilleure manière et une manière plus prestigieuse d’inaugurer les activités du Collège des Bernardins ?
+ André card. Vingt-Trois
Archevêque de Paris