Entretien avec Mgr André Ving-Trois – « Avance au large » : une réelle dynamique !
Courrier Français de Touraine – 2 juillet 2004
Avant les vacances d’été, Mgr André Vingt-Trois fait le point sur l’année écoulée. Le pasteur de l’Église en Touraine s’appuie sur l’élan créé par le rassemblement du 11 novembre dernier et engage davantage les jeunes prêtres dans la mission diocésaine. Entretien.
Courrier français : L’appel « Avance au large » que vous avez lancé le 11 novembre dernier, comment l’avez-vous ressenti dans vos visites pastorales avec Jean Claude Berra, le vicaire général ?
Mgr André Vingt-Trois : D’abord, dans chacune des visites pastorales, nous avons rencontré des équipes d’animation pastorale, des responsables de communautés et tous se sont mis au travail selon leurs moyens et leur style, pour essayer de mettre au point un projet local, car l’objectif principal est d’inciter les communautés à définir des objectifs d’action, de donner une forme concrète à l’idée de l’Église missionnaire. Cela donne incontestablement un certain dynamisme, ça motive pour faire quelque chose et pour mieux sentir qu’on est ensemble dans une dynamique positive et non de récession ou de fermeture. À ce propos, je commence à recevoir des projets. Certains sont déjà bien structurés, d’autres sont encore en gestation. Je vais les étudier cet été, pour pouvoir en faire quelque chose à automne.
C. F. : Au-delà de cet élan, avez-vous trouvé des changements dans les paroisses ou doyennés visités ?
Mgr A. V.-T. : C’est, je crois, ma troisième année de visite pastorale. Alors qu’au début, on vivait davantage des rencontres de mouvements ou des activités originales, maintenant, on entre dans une autre démarche. Il ne s’agit pas de faire des choses extraordinaires, mais, avant tout, de faire le point sur ce qui se vit dans un secteur, un doyenné, une paroisse, en faisant apparaître une certaine continuité d’une année à l’autre. On se connaît davantage et cela donne des relations plus vraies, ce qui me permet de mieux me rendre compte de ce qui se vit réellement dans le doyenné.
C. F. : Vous avez défini 5 secteurs, quel est l’objectif de ces nouvelles structures diocésaines ?
Mgr A. V.-T. : Le premier objectif est de permettre aux prêtres d’avoir un lieu de rencontre où ils puissent être suffisamment nombreux pour avoir un échange valable sur leur activité pastorale. Dans certains doyennés ruraux, il n’y a que deux ou trois prêtres et pour le peu que l’un d’entre eux ne soit pas disponible, ce n’est pas suffisant pour un échange constructif, d’autant que je souhaite une certaine diversité dans les expériences vécues. Il y a quelques secteurs qui ont commencé à fonctionner à titre expérimental, comme celui du Sud Touraine et qui ont fait la preuve d’une certaine efficacité. Le secteur est donc un lieu de reprise, de relecture pastorale, mais aussi de réflexion par rapport à des mutations possibles par rapport à la préparation aux sacrements ou autres.
Le deuxième objectif est d’avoir une échelle où il soit possible d’avoir un contact avec les communautés religieuses, dont certaines ont un effectif assez réduit. Le système d’autrefois était d’avoir un Conseil diocésain de religieuses, désigné par doyenné. C’est devenu de plus en plus difficile.
D’où le secteur, qui donne une possibilité d’avoir un meilleur niveau de rencontres et une échelle de grandeur où on peut proposer un certain nombre d’activités communes, comme la formation catéchétique ou l’accompagnement des familles en deuil, par exemple. C’est plus facile à envisager au niveau d’un secteur qu’au niveau d’un doyenné. Ce sera une possibilité que l’on va tester dans l’année à venir avec l’aide des prêtres coordinateurs désignés pour chaque secteur.
C. F. : Vous avez nommé des jeunes prêtres pour des responsabilités importantes, est-ce pour eux une motivation supplémentaire ou n’est-ce pas une tâche un peu lourde pour leurs jeunes épaules ?
Mgr A. V.-T. : C’est aussi l’âge où l’on peut affronter des tâches lourdes. On ne fait pas des nouveautés avec des prêtres de 80 ans, mais plutôt avec des jeunes prêtres qui ont de l’énergie, des idées. C’est important et puis ce n’est pas plus difficile. Avec Jean-Emmanuel Garreau, qui va être ordonné le 4 juillet prochain, le diocèse compte 25 prêtres de moins de 50 ans. C’est ce petit groupe, augmenté de quelques religieuses et de prêtres de la Communauté Saint-Martin, soit un peu plus de 30 personnes, qui va devoir accompagner tout le mouvement de mutation que notre Église va avoir à vivre. C’est encore cette équipe qui doit s’entraîner à travailler ensemble, avec les différences de chacun, qui sont aussi une richesse et qui va porter le diocèse pendant les 10 à 15 années qui viennent. D’ailleurs, le choix est très simple quand on regarde les tranches d’âges du presbyterium. L’effectif le plus nombreux concerne les 70-80 ans. La génération des 50-70 ans est moins nombreuse et les prêtres concernés sont tous engagés de manière très lourde dans la pastorale du diocèse, je ne peux donc pas leur demander davantage.
C. F. : Justement, en matière de vocation, vous avez créé la Maison des Vocations Notre-Dame et son équivalent pour les vocations de religieuses, quel bilan tirez-vous de cette première année d’activité ?
Mgr A. V.-T. : La première année a joué son rôle positif, mais la question qui se pose, c’est la suite ! C’est la question de l’appel pour l’avenir. Il est évident que l’on ne va pas chercher à reconstruire l’Église de 1950 avec un curé pour 200 personnes. Il y a beaucoup de jeunes qui se posent la question et cette question se perd un peu dans les sables, faute d’être entendue ou de ne pas avoir eu l’occasion d’être exprimée quelque part. C’est le travail de la pastorale des adolescents et grands adolescents. Et puis, c’est une mobilisation spirituelle des chrétiens. À partir du pèlerinage de Vézelay, il y a eu la mise en place de groupes de prières. Actuellement, il y a 300 personnes qui se mobilisent sur l’ensemble du diocèse et qui prient pour les vocations. Le pèlerinage des Vocations du 2 mai dernier a rassemblé plus de 500 personnes et pas seulement des personnes seules, mais des familles avec leurs enfants. Cela veut dire qu’il y a une prise de conscience qui se développe et qui devrait, un jour, porter ses fruits, mais comme pour tout, il faut du temps. Et il faut le faire savoir. Ils sont 300 pour le groupe de prière, mais ils pourraient être le double... En fait, c’est toujours la même question qui apparaît : comment peut-on développer notre capacité à associer des gens à ce que l’on fait, des gens nouveaux à la vie de l’Eglise ? Si on ne cherche pas, si on n’explique pas ce que l’on fait, il n’y a pas de raisons pour que de nouvelles personnes se mettent en route. Les nouvelles structures mises en place permettent, de donner des moyens pour mieux répondre aux questions, d’où la nécessité de les soutenir.
C. F. : Dans le domaine de la communication, vous déplorez le fatalisme et la propension à ne parler que des catastrophes ou d’événements négatifs, comment faire pour Inverser ce penchant de la société ?
Mgr A. V.-T. : C’est une caractéristique d’une société complètement médiatisée. Les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne, c’est bien connu. L’intérêt médiatique est suscité par les événements un peu exceptionnels ou par les transgressions où l’on casse le système. C’est le fonds culturel d’une société médiatique. Si l’on veut apporter quelque chose d’un peu original, il y a différentes manières. Une première manière est une conversion de fond, qui est de développer dans le comportement des chrétiens un autre regard sur la réalité, d’apprendre à regarder vraiment ce qui se passe et d’entrer dans une attitude de louange et de bénédiction à l’image du Christ dans le Nouveau Testament. Il est évident que l’éducation chrétienne de beaucoup de gens ne les a pas préparés à ça, mais plutôt à faire l’inventaire de leurs péchés. L’attitude d’un chrétien est de scruter pour reconnaître ce que Dieu fait de bon à travers le monde et pour lui. Autrement dit, la prière du chrétien devrait être, Chaque jour, de se demander d’abord : « de quoi je veux remercier Dieu aujourd’hui ? » On peut rendre grâce à Dieu pour des événements positifs, mais aussi négatifs. Tout cela, c’est un autre regard, c’est une conversion de fond à travers la manière de se situer en enfant de Dieu.
Il y a aussi une autre approche, celle qui fait que le chrétien a le souci de réaliser des choses. Ainsi, le rassemblement du 11 novembre dernier n’était pas fait pour que l’on puisse se compter, mais aussi pour faire « l’événement ». Si j’incite les chrétiens à se rassembler deux ou trois fois dans l’année, ce n’est pas pour avoir la satisfaction de remplir la cathédrale, c’est aussi pour qu’eux-mêmes se disent : « nous aussi, on fait l’événement ! » Cela n’enlève rien à la qualité de tout ce qui se vit autre part. On n’est pas là pour la galerie, mais aussi pour nous-mêmes.
Ainsi, la marche de nuit des lycéens, en mai, a commencé par un spectacle proposé par le doyenné d’Amboise Bléré Château-Renault Montlouis, qui a demandé deux ans de préparation. Il y avait 2 000 personnes de tous horizons pour le voir... Les pèlerinages ne sont pas faits pour déplacer des gens, mais pour donner l’image d’un peuple en marche... J’espère que nous serons nombreux pour l’ordination de Jean-Emmanuel Garreau et le départ d’Emmanuel Lafont. Cela dit, pour les trois événements majeurs de l’année : le 11 novembre, la messe chrismale et l’ordination, je constate que la composition des assemblées s’est modifiée. On voit des gens pour qui c’est un moment ecclésial.
C. F. : Vous être en Touraine depuis plusieurs années maintenant, que pensez-vous du diocèse de Touraine par rapport à votre expérience précédente, essentiellement parisienne ?
Mgr A. V.-T. : Ce qui est original pour moi et qui caractérise un diocèse comme celui de Tours, ce sont les zones rurales. Concernant l’agglomération urbaine, on retrouve tous les phénomènes des paroisses urbaines, avec des paroisses d’élection, une certaine convivialité pour une part et un anonymat pour le reste.
Par contre, dans les paroisses rurales, l’équipe, le groupe sur lequel repose la vie de la paroisse est identifiable, connu, et peut-être que les gens ont le sentiment que tout repose sur eux. J’ai été frappé lors des visites pastorales en secteur rural, où généralement je participe à la célébration dominicale, de constater partout, vraiment partout, même dans les plus petites églises, la présence d’une communauté vivante, avec une équipe d’animation liturgique, active au niveau des chants, de la prière universelle...
Je ne me suis jamais trouvé devant une Église sans vie. Je crois que c’est la caractéristique d’une certaine vitalité des paroisses rurales. Je ne sais pas comment ça se passe ailleurs, dans les autres diocèses, c’est en tout cas un constat clair dans le diocèse de Tours.
Propos recueillis par Jean-Yves Bonin.