Homélie de Mgr André Vingt-Trois lors de son installation comme archevêque de Tours

Cathédrale de Tours – 16 mai 1999

« Grand saint Martin, grand et pauvre Martin
protège ton peuple et conduis-le encore aujourd’hui
apprends-moi à bien le servir. »

C’est par invocation que Mgr Michel Moutel a commencé son homélie lors de son installation le 14 septembre 1997 dans cette cathédrale. C’est sous la même invocation que je voudrais me placer aujourd’hui avec vous.

Monsieur le cardinal,
Frères et sœurs dans le Christ,
Chers amis,

Archevêque de Tours

Il n’est pas facile du succéder à saint Martin et à tant d’autres saints pasteur de l’Église de Tours. Il n’est pas facile non plus de succéder aux archevêques qui vous ont guidés depuis quelques décennies, comme Mgr Ferrand et Mgr Honoré. Leur présence dans le diocèse est un vrai réconfort et leur prière un soutien, qu’ils en soient remerciés. Merci tout particulièrement à vous, cher Mgr Honoré, qui m’avez accueilli si fraternellement et que nous sommes heureux de saluer aujourd’hui avec reconnaissance. Il n’est pas facile de succéder à Mgr Michel Moutel. J’ai eu la chance de le connaître quand nous étions tous deux engagés dans la formation des prêtres, puis j’ai travaillé quelques temps avec lui dans le groupe des évêques chargés du Renouveau Charismatique. J’avais pu apprécier sa lucidité, la fermeté de sa réflexion et la chaleur de sa présence. Son trop court ministère en Touraine vous a permis de connaître ses qualités de pasteur et de les regretter. Providentiellement j’arrive juste un an après son décès subit et ma prise en charge du diocèse se trouve définitivement liée au souvenir de sa présence. J’en rends grâces à Dieu.

Il n’est pas facile de devenir Archevêque de Tours en venant de Paris. Comment échapper au soupçon de vouloir faire ici ce que l’on a expérimenté là-bas ? Comment convaincre que l’on ne vient pas avec suffisance, voire avec arrogance, comme un Parisien qui croit tout savoir ? J’ai longuement évoqué mes prédécesseurs pour manifester l’importance de la continuité du diocèse qui devient le mien. Il existait avant moi. Il continuera après mois. Je ne suis que le 136e archevêque de Tours et je dois, en priorité, m’inscrire dans la prestigieuse histoire de la grâce que Dieu a conduite avec le peuple de Touraine. Je remercie particulièrement, en mon nom et en votre nom à tous, le P. Jean-Marie Onfray qui a servi cette continuité pendant plusieurs années. Il guide mes premiers pas dans cette histoire de grâce et je lui suis reconnaissant d’accepter d’être mon Vicaire Général jusqu’à l’été. La première chose que j’ai donc à faire, et que je ferai, c’est de vous connaître en parcourant le diocèse et en rencontrant vos communautés. À ce jour, c’est mon seul programme à exécuter, et il va suffire à m’occuper pendant plusieurs mois. Au risque de vous décevoir, je ne vous annoncerai donc aucune mesure nouvelle et je ne vous présenterai aucun projet.

Si je n’ai pas de plan d’action, j’ai quelques convictions personnelles qui éclairent mon chemin. Je voudrais vous les présenter simplement car elles marqueront forcément ma manière d’être avec vous.

Témoin de l’amour de Dieu

« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils,
son unique, pour que tout homme qui croit en Lui
ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. »
(Jean 3, 16)

Il est de tradition qu’un évêque choisisse une devise. J’ai souhaité que mon épiscopat soit marqué par cette affirmation de l’amour de Dieu pour les hommes. C’est cet amour qui éclaire toute l’histoire de l’alliance entre Dieu et Israël, son accomplissement dans le sacrifice du Christ, son extension dans la mission de l’Église. C’est de cet amour que nous allons faire mémoire dans l’Année Sainte du Jubilé de l’Incarnation. C’est cet amour qui s’offre à nous dans le mystère des sacrements de l’Église et que nous devons annoncer aux générations qui nous suivent. C’est cet amour qui est notre espérance au long des péripéties de l’histoire des hommes, à travers ses prouesses et ses violences. C’est cet amour qui nous délivre de nos fautes et de notre culpabilité. C’est lui qui nous donne sa force dans l’Esprit Saint pour devenir témoins du Salut parmi les hommes. Si nous, pauvres hommes, assumons avec constance et sérénité l’incompréhension, l’indifférence, voire la haine et la violence, c’est par la force de cet amour. Comment vivrions-nous dans la peur et l’angoisse ? Si Dieu est avec nous qui sera contre nous ?

Chers frères et sœurs, comme je voudrais conforter votre foi en l’amour de Dieu ! Comme je voudrais vous convaincre que Jésus de Nazareth, le Christ, notre Seigneur est le grand Témoin de cet amour du Père, qu’Il est la seule porte qui nous fait passer de la mort à la vie.

« La vie éternelle, c’est de te connaître, toi, le seul vrai
Dieu, et de connaître celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. »
(Jean 17, 3)

Notre Église, instituée par le Christ, investie par l’Esprit-Saint au jour de la Pentecôte, est une Église apostolique, c’est-à-dire une Église fondée sur les apôtres et envoyée selon la mission qui lui fut confiée. Notre premier raison d’être est de témoigner de l’amour de Dieu dans l’histoire humaine. Si le Christ nous fait partager sa vie, ce n’est pas d’abord pour satisfaire nos besoins de spiritualité et nous assurer un certain confort de l’âme. C’est pour nous associer à sa mission universelle. C’est pour l’accomplissement de cette mission qu’il nous donne le réconfort de sa présence et les signes efficaces de son Salut. Frères, notre Église n’est pas un refuge contre les malheurs des temps. Elle est bien plutôt une base de départ pour servir l’Alliance entre Dieu et l’humanité dont elle est le sacrement comme nous le dit le Concile Vatican II.

C’est pour témoigner de cet amour de Dieu dans le monde entier que nous sommes en communion avec le successeur de Pierre. Permettez-moi de saluer ici Mgr Becciu que nous remercions de représenter le Nonce Apostolique. Sa présence est un signe de cette communion. Qu’il veuille bien transmettre au Saint-Père l’expression de notre profond attachement et lui dire combien le souvenir de sa visite à Tours reste vivant en nos cœurs. Qu’il veuille bien transmettre à Mgr Tagliaferri nos vœux pour sa santé. Merci à mes frères évêques ici présents, en particulier ceux de la Région Apostolique du Centre avec son président Mgr Gilson, archevêque de Sens. Merci aux évêques de la Région Île-de-France qui m’ont accompagné et spécialement au cardinal Lustiger. Vous les voyez en chair et en os : c’est bien un collège apostolique que nous formons.

C’est ce même amour de Dieu qui nous presse de vivre en communion avec nos frères chrétiens et de progresser avec eux vers l’unité visible des disciples du Christ. Les représentants des communautés chrétiennes nous confirment ici dans notre intention de travailler à cette unité. Ils sont les bienvenus parmi nous, comme des frères. Je salue aussi cordialement les représentants des autres religions qui nous ont manifesté leur amitié.

La mission universelle de l’Église ne peut pas et ne doit pas rester une invocation platonique qui nous donnerait bonne conscience sans nous coûter beaucoup. Elle est enracinée dans la tradition tourangelle depuis saint Martin. Cela ne doit pas rester une belle légende dorée du passé. Ce doit être aujourd’hui un objectif constant de notre Église. La mission a besoin d’ouvriers et d’ouvriers nombreux. Ils sont nombreux les fils et les filles de Touraine qui ont tout quitté pour annoncer l’Évangile et servir les pauvres. Parmi tant d’autres, citons simplement : la bienheureuse Jeanne-Marie de Maillé, la bienheureuse Marie de l’Incarnation Guyart, Mgr François Pallu fondateur des Mission Étrangères de Paris et le père Chevallier fondateur des Missionnaires du Sacré-Cœur d’Issoudun. Je ne me lasserai donc jamais d’appeler des ouvriers pour la mission.

Les laïcs tiennent une place de plus en plus importante dans la mission de l’Église. Confirmés dans l’Esprit-Saint, ils sont d’authentiques témoins du Christ dans tous les secteurs de la vie sociale. Mais leur mission sera toujours incomplète si elle ne s’appuie pas sur le don total des hommes et des femmes consacrés, si elle ne s’accomplit pas dans la vie sacramentelle. Alors, vous qui êtes encore jeunes et dont la vie n’est pas encore engagée, ni par la profession, ni par la fondation d’un foyer, je vous en adjure avec gravité : réfléchissez. Avez-vous jamais entendu l’appel du Seigneur à tout quitter pour l’annonce de l’Évangile et le service de l’Église ? Ne croyez pas que la question est close parce que vous n’y avez pas répondu. Reprenez-la aujourd’hui. Entendez-la : nous avons besoin de prêtres, nous avons besoin de religieux et de religieuses, nous avons besoin d’ouvriers pour la mission. Au nom du Seigneur, je vous en supplie, ne rejetez pas cet appel ! Je ne peux vous promettre ni l’argent, ni la gloire, ni la notoriété, mais je vous promets du travail plus que nous ne pouvez en imaginer, le bonheur du don, la joie de servir vos frères et de faire quelque chose d’utile de votre vie. Cela vaut bien quelques instants de réflexion. Cet appel ne vous détournera pas de vos responsabilités de citoyens car vous travaillerez pour le bien de tous. Nous ne sommes pas les gourous d’une secte, nous sommes les serviteurs de la Bonne Nouvelle pour la multitude.

Chrétiens dans le monde

Cette mission de l’Église nous l’accomplissons dans une société donnée : la nôtre. Nous ne sommes ni d’une autre espèce, ni d’une autre époque, ni d’une autre culture. C’est dire que toutes les épreuves que connaît notre société sont aussi les nôtres, qu’il s’agisse du chômage, de l’effritement du tissu social, de la crise de l’expression des valeurs collectives fondatrices et de la transmission. Tous ceux qui, à un titre ou à un autre, ont la charge du bien commune et de la gestion des affaires publiques sont confrontés aujourd’hui à des défis considérables auxquels nous n’étions pas habitués jusqu’alors. Je remercie les autorités civiles et militaires et les élus qui se sont joints à notre célébration. Qu’ils soient assurés de trouver auprès de nous des interlocuteurs attentifs et une aide proportionnée à nos moyens chaque fois que nous pourrons participer au progrès du bien commun.

Dans l’effort incessant qui nous est imposé pour reconstituer les relations sociales, comment oublier qu’aucune société n’est capable de produire les valeurs qui fondent le consensus social sans référence à une transcendance, qu’elle soit religieuse ou simplement humaniste. Aucune société ne peut remplir son rôle et témoigner de la valeur de la personne humaine en se contentant de gérer les aspirations des uns et des autres et de légaliser l’état de fait. Elle ne peut pas davantage développer des relations fondées sur le droit et le respect des personnes, et d’abord des plus faibles, – des blessés de la vie –, sans le secours des communautés élémentaires dont la famille est la première.

Au service de la jeunesse

Tout le monde veut la réussite des générations qui montent. Or, c’est dès l’enfance que se transmettent les bases durables des convictions et des comportements. C’est dès l’enfance que s’enracinent les vertus humaines fondamentales d’honnêteté et de fidélité à la parole donnée. Bref, c’est dès l’enfance que se façonnent l’homme et la femme en croissance. Dans cette éducation fondatrice, l’Église a une mission qu’elle s’efforce d’accomplir par le catéchisme. Mais elle ne peut pas, en quelques heures fugitives et âprement marchandés, remplacer l’éducation familiale.

Nous savons tous l’importance d’une famille stable pour une éducation équilibrée des enfants. Nous savons les attentes nombreuses, et souvent contradictoires, qui pèsent sur les familles quand tous les autres partenaires déclarent forfait. On demande beaucoup aux parents, parfois on leur demande plus qu’ils ne peuvent donner. Au moment où leur engagement et leur rôle sont publiquement fragilisés, ils peuvent se sentier dépassé par leur mission. Je voudrais leur apporter toute l’aide à laquelle ils ont droit. Peut-être nous faudra-t-il reconstituer des lieux où ils puissent parler et trouver conseil et soutien ?

J’arrête ici l’énumération de mes convictions. Vous allez finir par me croire prétentieux ou présomptueux. Je le serais, en effet, si j’osais me donner de tels objectifs en comptant sur mes propres forces. Je le serais si je n’avais pas entendu avec vous la prière de Jésus lui-même en faveur de ceux que Dieu lui a donnés et qui sont dans le monde. Je le serais si je m’envoyais moi-même ou si je croyais agir seul. Mais comme le Fils a été envoyé par le Père, nous sommes envoyés au monde pour proposer la vie que nous avons nous-même reçue. Chers frères prêtres, chers amis diacres du diocèse de Tours, vous que Dieu me donne pour être associés à mon ministère, croyez-moi, nous pouvons avancer dans la paix et la sérénité. Vous tous, catholiques de Touraine, soyez toujours dans l’action de grâces : si nous communions à la mission et aux souffrances du Christ, soyons dans l’allégresse et réjouissons-nous. Nous ressusciterons avec lui car il est vraiment ressuscité. Alléluia !

Mgr André Vingt-Trois

Cardinal André Vingt-Trois

Archevêque de Tours