Entretien du cardinal André Vingt-Trois sur KTO : bilan du Synode
KTO – 19 octobre 2014
Au terme de deux semaines de débats et de travail de l’Assemblée extraordinaire du Synode sur la famille à Rome, bilan et remise en perspective avec le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris et Président délégué de l’Assemblée synodale.
Retranscription. Le style oral de l’interview a été conservé.
Vous avez été président délégué de cette assemblée synodale, c’est-à-dire que vous avez donc conduit les débats au côté de l’archevêque de Manille et de l’archevêque d’Aparecida. On dit que dans cette salle du Synode les débats ont rarement été aussi francs et directs, est-ce exact ?
Ils ont été certainement francs et directs, je ne sais pas s’ils l’ont été plus que d’habitude, sauf peut-être que le sujet fixé par le Pape pour ce synode comportait une dimension où les évêques étaient plus immédiatement concernés en raison de leur charge pastorale. Je veux dire que les synodes qui portent sur des sujets très vastes, comme la Parole de Dieu ou la Nouvelle Évangélisation, évidemment nous concernent tous, mais les marges d’appréciation ne sont pas très variables ; les différences existent plutôt dans la mise en œuvre. Alors que là, par rapport aux questions concernant la famille, les évêques ont des approches très marquées par leur implantation, par le pays dans lequel ils vivent, par les gens auxquels ils ont affaire. A l’ouverture des débats, le Pape, -c’est la seule fois où il est intervenu personnellement et très brièvement- a exprimé le désir que le synode remplisse pleinement sa fonction, c’est-à-dire que les Pères synodaux s’expriment en toute liberté et disent tout ce qu’ils pensent, en sachant que ceux qui les écoutent le feraient avec respect et charité et donc qu’ils n’avaient pas à avoir peur de se faire matraquer à la sortie !
C’est déjà une première révolution dans l’Église ?!
Non, mais enfin cela donnait un climat assez libre dans les modes d’expression.
Alors, est-ce qu’il y a un changement de paradigme, comme on a pu le lire dans la presse ?
Moi, je ne sais pas ce que cela veut dire, donc il faudrait demander au journaliste qui a dit cela ce qu’il veut dire par là.
Autrement dit, que la pratique, l’accueil pastoral. On a beaucoup vu que l’attention se focalisait sur les personnes divorcées-remariées, sur même les personnes homosexuelles, en tout cas dans le travail.
Pas du tout ! L’attention ne s’est pas focalisée sur ces sujets-là. L’attention s’est focalisée sur les situations dans lesquelles les évêques étaient engagés et donc sur des questions très diverses comme la polygamie, comme les femmes seules qui élèvent des enfants, comme les familles éclatées en raison des conditions économiques ou d’émigration ; il y a donc eu quantité de sujets importants qui ont été abordés, et, entre autres, la question des époux séparés, et parmi les époux séparés, de ceux qui concluent une nouvelle union avec quelqu’un d’autre, mais c’était un aspect, une partie du débat, ce n’était pas le cœur de la discussion. Et s’il y a « changement de paradigme », cela veut dire qu’à partir de dorénavant l’Église aurait une attitude pastorale ! Je ne suis pas sûr qu’il y ait vraiment un changement de paradigme, ou alors c’est que ceux qui voient un changement de paradigme n’ont pas une connaissance très approfondie de la façon dont les choses fonctionnent. Moi, cela fait plus de 40 ans que je suis prêtre et j’ai essayé toute ma vie d’avoir une attitude pastorale. Alors, que cette attitude pastorale évolue, se transforme à mesure que les conditions se transforment, que les gens auxquels on a affaire sont confrontés à des situations différentes, à des défis nouveaux en fonction de l’évolution de la société et de la vie de tout le monde, c’est évident ! Mais c’est précisément cela la pastorale, c’est-à-dire la capacité de se mettre à la disposition de gens qui vivent des choses et qui essayent de chercher du sens.
Un point sur les personnes en situation d’être divorcées et remariées : il y a cette confrontation, ce rapport de force pour savoir s’il y aurait une possibilité, après un temps de pénitence, de pouvoir communier à nouveau, de pouvoir se confesser à nouveau. Au fond, c’est quoi ce rapport de force ? Sur quoi il porte ? C’est quoi ce point de tension ?
Il n’y a aucun rapport de force, il y a une conviction commune partagée qui concerne l’indissolubilité du mariage et le fait que tout mariage sacramentel, et si possible tout mariage qu’il soit sacramentel ou non, est un mariage conclu pour être définitif, et donc un mariage indissoluble. Les faits montrent pour un certain nombre de gens que ce mariage indissoluble échoue ou se trouve éclaté par des circonstances diverses. Ce ne sont jamais les mêmes pour tout le monde. Et puis certains concluent une nouvelle union. Et là où les différences sont apparues, mais qui n’étaient pas un rapport de force, c’est de dire : qu’est-ce que nous faisons vis-à-vis de ces personnes – à supposer qu’il s’agisse de personnes qui souhaitent mener une vie chrétienne. La question n’est pas : est-ce que l’on va édicter une loi universelle indépendamment des dispositions personnelles des gens. Donc cela veut dire que parmi ces nombreux couples qui se sont constitués après un divorce, un certain nombre, - qui ne sont quand même pas la majorité -, sont des chrétiens convaincus et veulent essayer de vivre leur foi le mieux possible. La question pastorale de l’Église c’est : comment peut-on les accompagner dans ce désir de vivre leur foi et dans les changements de leur mode d’existence qui concernent ce désir de conversion ? Alors la question de la communion eucharistique n’est pas la première question. La première question c’est : comment accueille-t-on ces gens ? Comment les écoute-t-on ? Comment est-on capable d’entendre leur souffrance ? Parce que c’est du cinéma que répandent un certain nombre de gens dans notre société d’imaginer que dans un monde de Bisounours, les gens qui sont mariés, divorcés et remariés vivent dans un univers complétement idyllique.
Parce qu’on nie la souffrance ?
On nie la souffrance, on nie l’échec. Il faut comprendre que les gens qui divorcent vivent un échec. Ils n’en sont pas forcément immédiatement responsables, mais ils vivent un échec car quand ils se sont mariés, ils se sont mariés sérieusement, honnêtement, et avec conviction. Et cet engagement pris sérieusement – je pense à des gens qui se sont mariés sérieusement, évidemment si ce sont des gens qui se sont mariés à la légère, c’est autre chose – mais si ces gens qui se sont mariés sérieusement pour différentes raisons n’ont pas pu tenir dans cet engagement, cet échec, ils le vivent douloureusement, et ils le vivent toujours en se posant des questions : pourquoi cela nous est-il arrivé ? Comment cela nous est-il arrivé ? Qu’est-ce que nous n’avons pas fait qu’il aurait fallu faire ? Qu’est-ce que nous avons fait qu’il n’aurait pas fallu faire ? Il y a tout un nœud de questions dont ils ne peuvent parler nulle part. Ils ne vont pas tarabuster leur nouveau conjoint en lui posant des questions sur leur premier mariage, ils ne vont pas aller enquêter dans les familles pour savoir ce que les gens pensent les uns ou les autres, etc. Quelquefois ils ont la chance d’avoir des personnes de confiance autour d’eux, des frères, des sœurs, etc. Mais en général, ils ne peuvent pas en parler. C’est un sujet tabou, c’est un sujet socialement tabou puisqu’il est convenu que c’est une bonne chose d’avoir divorcé. Alors pour eux, c’est cela la première question : avec qui vont-ils parler ? Comment vont-ils pouvoir exprimer quelque chose de ce qu’ils vivent, de la souffrance qu’ils éprouvent, de la manière dont ils essayent d’être fidèles à leurs enfants, de les accompagner dans leur vie, etc. ? Dans ce cheminement, cette réflexion sur leur vie, si un chemin de conversion se dessine, comment va-t-on accompagner ce chemin et jusqu’où ? La question de la communion eucharistique vient après. Mais cette question de la communion eucharistique n’est pas une question morale. Ce n’est pas une manière de dire : puisque vous êtes coupables, vous ne pouvez pas communier. C’est une façon de dire : nous sommes devant une sorte d’incompatibilité entre les signes. Vous avez dans votre vie un signe qui est un signe d’alliance, d’engagement définitif devant le Christ, ce signe a été rompu, et vous voulez communier au Corps du Christ qui est le signe de l’Alliance. Comment peut-on faire coexister ces deux approches ? Certainement pas par une grande déclaration publique et solennelle qui ouvrirait la communion à tout le monde ! Cela ne peut être que des cas particuliers, pour lesquels justement il faut réfléchir sur les cheminements et les possibilités d’accompagnement.
Donc l’Église doit tenir cette mission de vérité quand bien même on souhaiterait qu’elle change ?
Bien sûr. Elle doit tenir cette mission de vérité non seulement par rapport à la question de la communion eucharistique, mais elle doit tenir cette question de vérité aussi par rapport au cheminement des personnes et l’accompagnement qui doit être le moyen pour elles de progresser dans leur manière de vivre.
Alors Éminence, sur quoi porte, du coup, le point de tension entre…
Le point de débat, ce sont les propositions diverses qui ont été formulées, des hypothèses diverses, en fonction des sociétés dans lesquelles on se trouve, de la tradition dans laquelle on se trouve, et en particulier la question posée déjà depuis longtemps par Benoît XVI avant qu’il ne soit Pape, quand il était préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, de savoir si on est vraiment devant des mariages authentiques, puisque je rappelle que les conditions du mariage reposent sur 4 piliers supposant un engagement personnel. Cet engagement personnel a pu être défectueux parce qu’on ne le comprenait pas très bien, ou bien parce qu’on avait une restriction mentale, ou bien parce qu’on avait une incapacité psychologique de prendre cet engagement, cela peut arriver, cela arrive même fréquemment. Donc dans l’analyse de ces situations, l’Église a la possibilité de dire : il n’y avait pas un vrai mariage. La difficulté, c’est que psychologiquement, c’est très difficile de dire à quelqu’un qui a vécu 5 ans, 10 ans avec un conjoint, qui a eu des enfants, de lui dire : « c’est nul ».
Au sens où cela n’a pas de réalité ?
Voilà. On ne peut pas dire : cela n’a pas de réalité. Les enfants sont là, le conjoint est là, donc c’est une réalité. Et là, on est « piégé » d’une certaine façon par le vocabulaire parce que l’on parle de reconnaissance de nullité de mariage, c’est-à-dire qu’on déclare que ce mariage n’était pas vraiment un mariage. Mais on ne va pas déclarer que ce qui a été vécu n’a pas existé ! Et donc il y a toute une question de procédures, de mises en œuvre, de démarches et de pédagogie pour aider des gens à comprendre qu’un engagement pris de manière insuffisamment solide peut être reconnu comme n’ayant pas eu les conditions d’un mariage et donc que les gens sont libres. Dans la pratique que je connais, c’est-à-dire dans la pratique occidentale, cette démarche de reconnaissance de nullité de mariage est très difficilement pratiquée.
Il faut la faciliter ?
Elle est très difficilement pratiquée d’abord parce qu’elle n’est pas toujours facile à mettre en œuvre, mais aussi parce qu’elle n’est pas forcément désirée, parce que des gens qui ont traversé les péripéties d’un divorce n’ont pas envie forcément de recommencer le même scénario. Ils imaginent que ce serait le même scénario. Et donc cela veut dire qu’il faut trouver des moyens de mettre mieux à la disposition des gens la réalité de cette démarche, d’où des propositions différentes, soit d’alléger le processus de jugement en fonction des circonstances, parce que pour l’instant on a un processus unique, et dire : il y a des circonstances où l’on peut adopter un processus plus léger, ou bien trouver une autre approche que l’approche du jugement puisque là, il s’agit d’un jugement des juges ecclésiastiques. On peut imaginer, -des propositions qui ont été faites-, de trouver des formules moins judiciaires et plus contractuelles, ce que l’on appellerait dans la vie civile de l’ordre de la médiation. Tout cela est imaginable mais il faut y réfléchir, il faut travailler pour voir ce que cela veut dire, et comment cela peut être mis en œuvre.
Alors Éminence, certains ont des lectures entre les progressistes et les conservateurs, est-ce que cela signifie quelque chose ou c’est un clivage…
Ce n’est pas très original car c’est toujours la même lecture. A la limite on peut dire : quelle que soit la réalité dont il s’agit, ils n’ont pas deux paires de lunettes, ils n’en ont qu’une, et donc ils mettent cette paire de lunettes et cela leur permet de poser des gouttes de révélateur à un endroit ou à un autre et dire ça c’est progressiste, ça c’est conservateur… C’est du cinéma !
Mais en même temps, on voit qu’au moment de la publication du rapport à mi-parcours du synode, des catholiques qui étaient engagés dans la pastorale de la famille ont été très profondément troublés. Précisément est-ce qu’ils ont l’impression que ce pourquoi ils se sont battus était en quelque sorte remis en question. Alors est-ce que vous comprenez ce trouble ?
Ah mais cela je comprends très bien ! Et je trouve que c’est très sain parce que cela prouve au moins qu’ils réfléchissent et qu’ils ne prennent pas pour du pain bénit tout ce que l’on met dans le journal ! Ils ont vu un texte, un texte intermédiaire qui n’avait pas été amendé, qui n’avait pas été travaillé, qui était simplement le recueil et la synthèse de plusieurs jours d’expression. Il y a eu près de 180 pères qui se sont exprimés, et donc il y a une équipe qui a fait une synthèse honnête par rapport à ce qui lui était demandé, mais cette synthèse était le reflet du débat, pas les conclusions du synode. Et l’erreur a été, -je ne sais pas si on l’a laissé croire, moi je ne sais rien puisque j’étais dedans, je ne sais pas ce qu’il se passait dehors-, mais l’erreur aurait été de laisser croire que ce texte était la position du synode. Ce n’est pas la position du synode, c’est le reflet du débat.
Il a été question de garder confidentiel tout le travail d’amendement dans les ateliers,
Oui.
Vous souhaitiez que cela soit rendu public ?
Cela a été rendu public, justement.
Mais vous le souhaitiez ?
Je pense que c’était nécessaire puisque la relatio avait été rendue publique. Il fallait que les gens qui avaient lu la relatio, ou au moins qui avait eu un écho de la relatio, aient aussi un écho des réactions exprimées par les circuli minores. Ces groupes linguistiques ont travaillé pendant plusieurs jours, la plume à la main pour amender ce texte et ils ont exprimé un certain nombre de réactions générales. Évidemment ce qui a été publié, ce ne sont pas les amendements, mais c’est la ligne du débat dans chaque carrefour, soigneusement mise en forme par le rapporteur, approuvée par les membres du carrefour. Et donc, il nous a paru naturel et normal que soient rendues publiques ces expressions des évêques, qui n’étaient plus à ce moment-là la synthèse des différentes interventions mais l’expression d’un travail commun. Ils avaient discuté entre eux. Vous avez vu qu’il y a des comptes rendus où l’on fait état de différentes positions, de majorité, de minorité, etc. Cela montrait qu’il y avait eu un travail réel avec des positions différentes, mais toujours avec le souci d’amender le texte de la relatio. Alors, puisqu’on avait donné la relatio publiquement, il était normal que l’on donne les éléments de correction ultérieurs.
Alors après, pour expliquer le processus, il y a un rapport du synode qui est écrit.
C’est le processus. Tous ces amendements fournis par les groupes linguistiques, ont été collationnés et travaillés par trois équipes, une équipe pour chaque partie de la relatio, prenant en compte ces amendements. Quand c’étaient des amendements de pure forme ou des corrections linguistiques, ils les ont intégrés ou non, mais enfin ils les ont traités tout de suite. Ensuite il y avait des amendements de fond, c’est-à-dire des éléments pour lesquels les pères synodaux avaient estimé qu’il y avait une lacune grave, qu’il manquait telle ou telle chose, et là, des groupes ont proposé des éléments et ceux-ci ont été intégrés dans le rapport final.
En tout cas, cela servira de base de travail pour l’assemblée synodale prochaine en octobre 2015. Il y a peut-être un point sur lequel on souhaiterait vous entendre, c’est le concept de gradualité qui a émergé fortement. On voit qu’il y a une divergence dans la compréhension. Alors est-ce qu’on l’utilise à tort ou à raison et qu’est-ce qu’il faut retenir de ce concept théologique ?
C’est assez simple. Ce concept de la loi de gradualité avait été élaboré par Jean-Paul II dans une de ses encycliques (Familiaris consortio §34). Cela consiste à dire : voilà l’être humain dans la condition où il est. Il y a des choses qu’il peut faire et des choses qu’il ne peut pas faire. Il a la possibilité, -je ne dis pas que ces choses sont autorisées-, mais il a la possibilité de faire ou il n’a pas la possibilité de faire. On peut comprendre que des gens visent à arriver à une meilleure manière de vivre, à une vie de conversion, à un changement dans leur expérience chrétienne, mais ils n’ont pas tout de suite la possibilité de tout réaliser. Mais s’ils sont dans la dynamique de conversion qui les conduit vers la vie évangélique, alors on comprend qu’ils avancent progressivement.
Mais il y a un « si ». Il faut qu’il y ait ce souhait d’avancer ?
S’il n’y a pas le désir d’avancer vers la vie évangélique, il n’y a pas de problème…
Ou un gros problème…
Oui, mais cela est autre chose. Si l’on suppose que des gens ont besoin d’étapes progressives, c’est pour aller quelque part, ce n’est pas simplement pour dire : maintenant, je suis à cette étape-là et je trouve que je suis très bien, alors dites-moi que je suis bien !
C’est du relativisme en quelque sorte ?
Oui, or ce n’est pas du tout cela la loi de gradualité. La loi de gradualité, c’est dire : on chemine à la suite du Christ avec les moyens qu’on a, avec les capacités que l’on a. Nos capacités ne nous permettent pas toujours de tout faire, mais le dynamisme par lequel nous cheminons derrière le Christ nous permet d’assumer peu à peu des difficultés et de les surmonter. L’Église considère que ce chemin est un chemin de sainteté.
Quels sont pour vous les enjeux ? Le moment où l’Église se trouve, et toute cette réflexion, quels sont les enjeux, quelles peuvent être les tentations et la direction à prendre ?
La conviction des chrétiens, -inégalement partagée, tous ne portent pas la conviction avec la même force et avec la même clarté-, c’est que la communion avec le Christ, l’union baptismale conclue par le baptême qui met en œuvre la vie chrétienne, permet à des hommes et à des femmes de vivre des situations plus difficiles et de les surmonter de manière satisfaisante. Donc, nous pensons que cette conviction est une ressource, une chance pour l’humanité, que cette chance n’est pas réservée à ceux qui ont tout compris et qui sont déjà parfaits ! Mais elle est destinée à tous les hommes. Notre travail, notre mission de chrétiens, c’est d’être témoins de cette ressource et de cette force disponible pour ceux qui veulent y avoir recours. C’est l’enjeu capital par rapport à la famille. La question est : sommes-nous vraiment convaincus que le mariage unique, stable et définitif est une chance pour tous les mariages, pas seulement pour les mariages chrétiens. Le fait qu’il y ait des mariages chrétiens qui donnent un signe positif est un point d’appui pour d’autres qui ne sont pas forcément chrétiens et qui n’ont pas forcément ces objectifs. Mais ils se disent : finalement, c’est quand même mieux ! C’est un premier enjeu : le témoignage que nous pouvons rendre à la permanence de l’amour de Dieu pour l’humanité à travers la stabilité de l’amour d’un homme et d’une femme.
Le deuxième enjeu, c’est : comment l’Église à travers toutes ses strates, depuis l’évêque jusqu’au dernier chrétien, comment l’Église peut-elle aider les gens à vivre ? J’ai évoqué tout à l’heure rapidement des situations de souffrance et de blessures. Je prends un exemple parisien que je connais bien : une femme africaine se trouve seule avec deux ou trois enfants à élever, comment l’Église peut-elle l’aider à vivre ? Comment l’Église peut-elle aider à vivre des gens qui ne réussissent pas à se marier, qui sont des célibataires forcés ? Comment l’Église peut-elle aider à vivre des gens qui connaissent le veuvage précoce ? Comment l’Église peut-elle aider à vivre des gens qui échouent dans leur mariage ou des gens qui se trouvent abandonnés par leurs conjoints et se retrouvent seuls brusquement ? Comment l’Église peut-elle aider à vivre des parents qui ont des difficultés avec leurs enfants ? Etc. Cette dimension d’accompagnement, de soutien, de fortification, c’est un enjeu considérable dans toutes les périodes, mais nous, nous vivons dans la période actuelle avec les problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Enjeu majeur, il y aurait des tentations de la part de l’Église aujourd’hui ou ce qui pourrait lui faire manquer cette mission au fond, cette réflexion ?
Ce qui peut faire manquer cette mission, ce n’est pas compliqué, c’est la perte et le manque de foi. Si nous, nous ne sommes pas convaincus que nous vivons par la foi au Christ, on ne voit pas très bien pourquoi on irait la proposer aux autres ! Et donc s’il y a un risque, c’est de considérer que finalement, si on fait sa prière de temps en temps, ça va bien… Mais cela n’est pas cela la foi chrétienne.
Dernière question : qu’est-ce que vous attendez du pape François ? C’est lui qui a voulu lancer toute cette démarche, et on sait qu’en général le pape François, quand il a quelque chose dans la tête, quand il met quelque chose en œuvre, c’est qu’il a une idée ! Qu’attendez-vous de lui dans les semaines, les mois qui viennent ?
J’attends de lui qu’il continue ce qu’il a décidé. Je ne suis pas dans sa tête, je pense qu’il va poursuivre l’objectif qu’il avait donné, c’est-à-dire de préparer la session ordinaire du synode d’octobre 2015 – alors que cette première session d’octobre était plutôt (on peut le dire à la fin) une forme d’inventaire des questions, des difficultés, des situations sensibles et des questions pastorales auxquelles on est confronté. A partir de cet inventaire, normalement la session ordinaire du synode de 2015 doit entrer davantage dans des propositions d’actions, ou en tout cas des orientations d’actions et de missions.
Merci beaucoup.