Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe d’ordination de six diacres permanents à Saint-Sulpice

Samedi 8 octobre 2022 - Saint-Sulpice (6e)

– Solennité de Saint Denis

- Is 52,7-10 ; Ps 95 ; Jn 10,11-15
D’après transcription

Comme il est beau sur la montagne le messager qui annonce la paix, que nous entendons aujourd’hui en cette fête de Saint-Denis, et fait pour nous. Bien sûr que l’espérance du peuple d’Israël qui est traduite par ces mots, c’est une espérance d’abord toute terrestre : la joie pour ce peuple d’être libéré de son exil et de rentrer de Babylone à Jérusalem après cinquante ans d’absence. La joie, plus profonde encore, de retrouver le Dieu d’Israël à Jérusalem, dans un temple qu’il faudra reconstruire. Mais cette joie est doublée d’une autre, qui est probablement plus forte : avoir découvert pendant le temps de l’exil à Babylone que le Dieu que l’on a connu à Jérusalem était capable d’agir là aussi, à Babylone. Il avait donné à son peuple la force nécessaire pour tenir bon pendant ces années d’exil, pendant ces années de souffrance, pendant ces années de douleur : « au bord du fleuve de Babylone nous pleurions », dit un psaume. Il avait donné à son peuple la force de tenir bon dans les épreuves, et puis, il avait donné aussi au roi païen de Perse, l’audace de renvoyer ce peuple sur sa terre, la liberté de retourner chez soi et l’ordre d’y reconstruire le temple. Ce roi païen était un instrument inattendu dans la main de Dieu. Et alors le peuple qui revient à Jérusalem peut déjà chanter que ce Dieu n’est pas comme une divinité locale qui n’agit que sur un territoire : c’est déjà le Dieu de tous, c’est le Dieu de toutes les nations, de tous les peuples, même si le peuple d’Israël est jusqu’à présent encore le seul à le savoir, à le connaître, à le comprendre. C’est une nouvelle formidable que l’on puisse, au fond d’une expérience croyante, accueillir le don de ce Dieu qui agit pour tous, pour le bonheur de tous, pour le salut de tous. Et voici que le peuple d’Israël reçoit cette mission, comprend cette mission d’avoir à chanter la louange du Dieu qui est le Dieu créateur, le Dieu qui est le Dieu d’amour de tous les hommes. « Louer le Seigneur tous les peuples, annoncer à tous les peuples sa gloire » avons-nous entendu et chanté dans le psaume. Bien sûr que cette parole est pour nous. Dans le moment que nous vivons, dans la situation présente de ce monde si divers et mélangé, de cultures et de traditions religieuses, de croyances diverses, nous sommes là comme les témoins, nous peuple de Dieu, témoins d’un amour divin pour tout homme, dans toutes les cultures, pour toutes les nations, sur toutes les terres où brille le soleil de Dieu. Nous sommes signes de cela et nous n’avons pas à avoir peur d’être au milieu d’un monde mélangé. La voix qui est la nôtre est une voix faite pour chanter l’amour universel de Dieu, pour sa création, ses créatures que nous sommes. Même si notre voix est devenue plus faible, nous n’avons pas à avoir peur d’être là et de témoigner de ce Dieu. Nous n’avons plus l’intention de dominer par la force l’ensemble du monde, nous ne l’avons pas cette intention, mais bien la mission d’être simplement témoins joyeux de ce que l’humanité tout entière peut se rassembler sous le regard de Dieu est avec la certitude de son amour universel.

Dans l’évangile, nous entendons une autre musique. Elle n’est pas contraire à la première, loin de là, mais elle la précise, elle va plus loin. « Je suis le bon pasteur, je donne ma vie pour mes brebis, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. » Le bon pasteur, le Christ, il est celui qui nous entraîne : il a entraîné saint Denis et ses compagnons. Et si nous avons la lecture de cet évangile, c’est à cause de ce pasteur-là, Denis, en l’Église de Paris, ce pasteur-là à l’image du bon pasteur, à la vie donnée. Ce pasteur qui aime ses brebis même au risque qu’elles ne le lui rendent pas bien, même au risque que le don de lui-même, le désir de les connaître et de les aimer ne soit pas accueilli, ne soit pas compris, ne soit pas reçu, mais soit rejeté. Son amour universel est un amour désintéressé, un amour qui acceptera même d’être maltraité, saisi vigoureusement et injustement conduit jusqu’à la mort pour que les brebis, pour que nous ayons la vie, pour que nous soyons menés jusqu’à l’amour universel du Père pour tous les hommes.

Ainsi donc, vous, diacres, déjà ordonnés depuis un an, ou vingt-cinq ans, ou plus, et vous six qui allez être ordonnés dans quelques instants, vous êtes ordonnés à ce service du bon pasteur. C’est lui que vous allez servir en servant ceux que la mission de l’Église va vous indiquer. C’est lui que vous servez en premier en servant vos frères. Vous acceptez d’être des serviteurs désintéressés auprès de tous ceux qui se présenteront ; pas seulement ceux qui vont à l’église, mais aussi ceux qui vont à l’église ; pas seulement ceux qui vous écoutent et vous écouteront spontanément, facilement, mais aussi pour ceux qui vous écoutent et vous écouteront et dont vous saurez qu’ils vous écoutent ; pas seulement pour ceux qui vont bien, pour les familles qui sont heureuses, pour ceux qui sont fidèles et dont la vie semble droite, mais aussi pour eux. Vous serez, et vous êtes déjà, des serviteurs désintéressés de tous, de ceux qui souffrent, de ceux qui sont loin ou semblent loin de l’Église - et peut-être de l’amour de Dieu, mais cela n’est pas si sûr. Pour ceux qui sont isolés, pour ceux qui n’arrivent pas à trouver les liens d’amitié et de fraternité avec d’autres, pour ceux qui sont malades, pour ceux qui vivent avec un handicap qui les coupe peut-être des autres, pour tous, pour tous ceux qui seront là à votre rencontre, pour tous ceux pour qui vous serez là à leur rencontre… et étant serviteurs d’eux, vous serez serviteurs du Christ qui donne sa vie. Étant serviteurs du Christ, vous serez serviteurs d’eux.

Que le Seigneur vous donne cette force du désintéressement dans l’amour. Que le Seigneur vous donne cette patience de l’amour qui ne sait pas toujours qu’il est rendu, qui n’obtient pas toujours de signe de retour. Que le Seigneur vous donne l’espérance que son amour est vraiment fait pour tous et que vous en êtes des signes, des témoins et des serviteurs.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

Homélies

Homélies