Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe de la fête de la saint Louis à Saint-Louis des Français

Dimanche 23 octobre 2022 - Saint-Louis des Français (Rome)

 Fête de Saint Louis
- Is 58,6-11 ; Ps 111,1-9 ; 1 Tim 6,6-11,17-19 ; Mt 22,34-40

Le serviteur du Seigneur - ainsi que l’appelle le Second Isaïe, quelques chapitres avant celui-ci - c’est celui qui remplit ce programme exigeant de faire tomber les chaînes injustes, de donner la liberté aux opprimés, du pain à ceux qui ont faim. Autrement dit, celui qui ne se dérobe pas à son semblable : serviteur de Dieu, serviteur des hommes, attitude vraiment exemplaire qui ne laisse pas en repos. Peu importent, en réalité, les circonstances dans lesquelles est née cette parole prophétique, car elle désigne celui qui, dans n’importe quel temps, est capable de se défaire de lui-même pour revêtir l’habit de celui qui supplie qu’on ne le laisse pas dans la misère, la solitude ou l’indifférence. Et ce geste d’attention, non seulement le pauvre le voit et en bénéficie, mais le Seigneur aussi le voit et l’aime, il s’en réjouit et communique sa joie à son serviteur, celui-là même qui a comblé les désirs du malheureux. Cette parole prophétique annonce la joie de saint François d’Assise, traduite dans cette fameuse prière qu’on lui attribue : c’est en donnant que l’on reçoit ! C’est ce que vivent tous ceux qui se mettent humblement au service de la rencontre des autres et savent tout ce qu’ils reçoivent en se donnant et en se libérant d’eux-mêmes.

C’est une autre version que nous donne le psaume que nous venons d’entendre et de chanter. Le psalmiste l’appelle maintenant l’homme de bien, homme de justice, de tendresse et de pitié. Il donne, il est juste dans sa relation aux autres et sans condescendance, il affronte les épreuves de l’existence avec une grande confiance, une simple fermeté. Il sait qu’il trouvera sa joie dans sa relation au Seigneur, ce qu’exprime le mot du début : heureux qui craint le Seigneur ! Non pas d’une crainte qui signifierait la peur, mais au contraire la belle reconnaissance que tout don vient de Dieu.

C’est encore d’un autre nom que l’appelle l’auteur de la lettre à Timothée, qui ne s’adresse pas à un seul disciple, mais à toutes les communautés chrétiennes qui liront cette sorte de circulaire et donc à nous-mêmes aujourd’hui. Il dit : l’homme de Dieu. Il décrit cet homme de Dieu qui fuit l’amour de l’argent, racine de tous les maux. Amour de l’argent qui referme sur soi-même, comme nous pouvons le constater en tout temps et en tout lieu. Et ce n’est pas irrémédiable : on peut devenir riche du bien que l’on est capable de faire en sortant de soi. Et l’homme de Dieu recherche la justice, la piété, la foi, la charité, la persévérance et la douceur. Quelle belle liste ! Commencer par la justice, continuer par la piété c’est-à-dire le respect des autres et de Dieu, vivre dans la confiance en Lui, donner ce que l’on a soi-même reçu de Lui, c’est cela la foi et l’amour - et surtout ne jamais se lasser - voilà pour la persévérance ! Au milieu même des contrariétés de la vie, telle est la douceur qui n’est pas une mollesse, mais le signe d’une grande tendresse venue de Dieu, vécue par Jésus et en Lui, soutenue par son Esprit. Cette douceur-là n’est pas une ruse pour endormir son interlocuteur et l’amener là où on l’attend, elle est au contraire une fermeté dans l’intention de ne pas dominer autrui, de ne pas l’instrumentaliser.

N’est-ce pas là le sens du dialogue de Jésus avec ce pharisien que ses confrères ont délégué pour lui tendre un piège ? Alors que s’approchent pour lui les jours de la Passion, où se révèlera définitivement qu’il est le vrai serviteur de Dieu, l’homme de bien, l’homme de Dieu et son envoyé, son Fils, Jésus ne se départit pas de la douceur, de la paix, de la joie de son cœur qui donne.

Et voici que dans la longue liste de ceux qui ont voulu le suivre, l’imiter et lui ressembler, nous trouvons saint Louis de France, puisque tel est son nom complet dans l’hagiographie, que l’on peut bien reconnaître aussi comme saint Louis des Français. Parce qu’il nous est un modèle. Parce qu’il nous dit que le service d’un peuple, le nôtre, n’est pas incompatible avec la suite du Christ. Parce que la vocation à aimer avec justice et simplicité, avec humilité et tendresse, avec persévérance et douceur peut être vécue dans toutes les situations de la vie, dans tous les statuts sociaux, à quelque niveau de responsabilité que l’on soit.

C’est saint François de Sales qui, dans son introduction à la vie dévote, quelques siècles plus tard, soulignera que la vie chrétienne et sainte est faite pour tous ; la vie dévote, c’est à dire la vie tout simplement animée par l’amour de Dieu.

Je traduis en langue courante : ceux qui ont traité de la sainteté ont presque tous considéré le conseil spirituel pour les personnes retirées du monde ou cherchant à se retirer ; mon intention est d’aider ceux qui vivent en ville, en famille, dans la vie publique, bref tous ceux qui se trouvent dans la vie ordinaire et pensent que cette condition rend le chemin de la vie chrétienne impossible pour eux.

Plus tard encore, le Concile Vatican II fera résonner l’appel universel à la sainteté. Et le pape François parlera de la sainteté dans la vie quotidienne, de la sainteté que l’on trouve tout près de soi, « la sainteté de la porte d’à côté ».

Enfant, fils de roi, puis soumis à la Régente sa mère, non sans s’affirmer lui-même, puis Roi pendant trente-quatre ans, Louis IX n’a cessé de s’appliquer à être ce serviteur de Dieu et des pauvres, cet homme de bien dans la persévérance et la douceur.

Saint Louis nous invite à être des serviteurs de la vérité. Le monde des apparences dans lequel nous vivons use de mots qui peuvent nous dissimuler. C’est un effort permanent à faire, non pas pour tout montrer de notre vie superficielle, mais pour accorder les paroles et les actes. Cela concerne toute la société et les groupes qui la composent, c’est une exigence pour l’Église et pour chacun de nous.

Il nous appelle à être des serviteurs de la concorde. Nos sociétés, et notre peuple en particulier, sont morcelés, sont comme des archipels, dit un sociologue : il y a tant à faire pour recomposer une société non pas uniforme mais plus cohésive.

Il nous demande d’être des serviteurs de la paix : il nous faut bien sûr intégrer dans nos réflexions et dans nos comportements la tentation et la réalité de la guerre qui est un peu partout et si proche de nous. Trouver ensemble des mots et des gestes qui conduisent à la paix entre les peuples, notamment par les dialogues entre les religions.

Il nous supplie d’être des serviteurs de la confiance. Que de motifs de défiance opposent les humains entre eux, que de craintes pour l’avenir ! Sommes-nous enfermés dans des fatalités ? Non, assurément : chaque engagement, même minime, compte. Il peut n’avoir pas beaucoup d’impact immédiat, mais il change les mentalités et les cœurs.

Il nous montre comment être des serviteurs de la vie. Nous pouvons être fraternels pour aider les plus pauvres, les plus désespérés, les plus angoissés à vivre les épreuves de la vie, sachant qu’ils sont aimés et soutenus.

Il nous encourage à être des serviteurs courageux du bien commun. Cette dernière expression, revenue depuis quelque temps dans le langage, révèle une intention réelle de dépasser des intérêts trop partiels et limités à notre temps. Il nous faut en creuser toujours davantage le sens et les effets.

Que saint Louis nous inspire. Il était un homme de prière et d’action de grâce pour le don du Christ, dans sa vie, sa passion, sa mort et sa résurrection que nous célébrons maintenant dans cette eucharistie.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

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