Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe d’action de grâce pour les 80 ans du Cardinal André Vingt-Trois à Saint-Etienne-du-Mont
Dimanche 13 novembre 2022 - Saint-Etienne-du-Mont (5e)
– Lire le mot d’accueil de Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris, et accéder à l’album-photos.
– 33e dimanche Temps Ordinaire – Année C
- Ml 3,19-20 ; Ps 97,5-9 ; 2 Th 3,7-12 ; Lc 21, 5-19
D’après transcription
Bien sûr, la question n’est pas nouvelle, la question de la fin des temps : quand va-t-elle arriver cette fin des temps ? Dans toutes les époques on se pose cette question et il n’est pas bizarre qu’elle soit dans ce passage de l’évangile que nous venons de lire à l’instant.
Une inquiétude de tous, une inquiétude renouvelée de siècle en siècle, en rapport avec les événements qui s’y passent. Aujourd’hui on ne dit peut-être pas cela ainsi. Les inquiétudes écologiques nous laissent parfois penser que nous sommes au bout des possibilités pour ce monde : nous en sommes effrayés. D’autant plus qu’un certain nombre d’événements qui traversent la vie de nos sociétés viennent en rajouter. Aujourd’hui nous sommes le 13 novembre : c’est un anniversaire sinistre pour le monde tout entier et pour ce qui s’est passé ici, à Paris, il y a 7 ans. Ajouter ce que les deux dernières années d’épidémie mondiale ont donné à ce genre d’informations sur la fin des temps, ou en tout cas sur un épuisement de l’humanité, sinon de ses ressources, colore le tableau d’une façon triste. Nous avons vécu ces mois, ces années passées, avec beaucoup d’inquiétude et d’angoisse, probablement excessives mais réelles. Et puis bien d’autres événements parsèment la vie des hommes de notre époque, comme celle de nos prédécesseurs et probablement celle de nos successeurs qui nous feront croire non pas tellement à notre fragilité mais probablement à notre fin.
On peut ajouter que ce passage de l’évangile, tel qu’il est situé, est placé par l’évangéliste à un moment où se profile, pour Jésus, la Passion, et donc cela ajoute au drame. Quand l’évangéliste place ce passage à cet endroit, il dit bien que, pour Jésus, déjà, la fin se profile, la fin dramatique, la fin douloureuse et qu’il lui faudra bien de la force pour l’affronter. Et puis, après Jésus, dès les débuts de l’histoire de l’Église, les persécutions contre les chrétiens, qui sont évoquées dans cet évangile aussi, en rajoutent dans le drame. Et les persécutions contre les chrétiens, nous le savons, ont duré depuis vingt siècles et se sont répandues dans toutes les parties du monde où il y a des chrétiens.
Alors c’est vrai que l’évangile que nous venons de lire, une semaine avant de célébrer le Christ Roi de l’Univers, est un évangile qui dit les inquiétudes et les angoisses de l’humanité à chaque époque de l’histoire. Mais nous ne pouvons pas ne pas écouter le texte jusqu’au bout. Nous devons entendre ce que Jésus en dit, ce que Jésus dit de ce drame de l’humanité, de la vie des hommes et des femmes, des sociétés.
D’abord, il nous dit que tous ces événements arrivent et arriveront : ils arriveront sans cesse dans l’histoire des hommes. Quand vous verrez les guerres, les famines, les épidémies…etc., ce ne sera pas la fin. Nous devons retenir cela : « Ce ne sera pas la fin. » Cela veut dire que c’est l’histoire des hommes qui est faite comme cela, depuis le début et jusqu’à la fin. Ces moments violents de l’histoire humaine sont permanents et ils n’annoncent pas plus, les uns que les autres, la fin. Ils annoncent simplement que c’est dans ce monde-là que nous avons à vivre ; c’est dans ce monde-là que le témoignage de la vie chrétienne est fait pour se manifester.
A un autre endroit de cet épisode, nous avons lu et entendu : « Ce sera pour vous une occasion de témoignage. » Jésus évoque là particulièrement la situation des chrétiens persécutés qui donneront le témoignage de leur foi quand ils seront mis devant les tribunaux, quand ils verront leur propre famille se déchirer à leur sujet, quand ils auront à rendre compte, devant ceux qui ne croient pas, de ce qui anime leur existence au plus profond d’elle-même. Ces circonstances, quelles qu’elles soient, aussi difficiles qu’elles soient à accueillir et à vivre dans nos existences, sont les lieux et les moments où nous sommes appelés à être des témoins de la foi. Il ne s’agit pas de croire que la foi puisse s’exprimer tranquillement dans un monde déjà réconcilié. Elle ne peut se vivre, se dire, se cultiver que dans ce monde ci, qui est un monde difficile, perturbé, traversé de crises et de violences. C’est là qu’il vaut la peine de dire l’espérance qui nous anime, l’espérance qui ne déçoit pas, l’espérance qui construit nos vies chrétiennes.
Et Jésus invite alors chacun à la persévérance. Persévérer dans le choix que nous faisons de répondre à son appel. Persévérer dans la foi que nous lui donnons. Persévérer dans la confiance qu’il suscite en nous en permanence : invitation forte, invitation magnifique, invitation qui transforme nos existences. Persévérer dans l’écoute de la parole de Dieu, jour après jour : ne jamais être déçus de ce que cette parole peut faire dans nos vies, si nous prenons le temps de l’accueillir, si nous prenons le temps de faire silence avec elle, si nous prenons le temps d’écouter et de savoir que c’est Dieu, lui-même, par le Christ, qui nous parle.
Persévérance dans la prière qui est ce dialogue d’une présence, ce dialogue qui s’établit parce que nous savons qu’il est présent au cœur de chacune de nos vies, et au milieu de l’existence de l’humanité à laquelle nous appartenons. Persévérance dans les engagements d’espérance que nous essayons d’avoir, les uns et les autres, non pas simplement parce que nous nous saurions charitables, mais parce que nous nous savons enfants du même Père, et que nous ne pouvons pas passer les uns à côté des autres, dans quelque détresse qu’ils soient, sans être attentifs, sans écouter, sans consoler, sans aider, sans être simplement assis à côté ou marcher à côté. Persévérance dans l’amour.
Persévérance aussi dans la vie en Église. Il nous est donné d’être fils et filles de l’Église tous ensemble, quelle que soit notre vocation, quel que soit l’appel que nous avons reçu, quelle que soit la consécration dans laquelle nous sommes – nous sommes tous consacrés par le baptême déjà. Nous sommes persévérants de vivre en Église, malgré toutes les faiblesses que nous lui connaissons et dont nous savons bien qu’elles sont dues à d’autres qu’à nous mais aussi à nous autant qu’aux autres. Persévérance dans cette vie en Église parce que nous savons qu’elle est le signe que Dieu choisit pour adresser la parole, pour ouvrir le dialogue de la prière, et pour soutenir la charité à laquelle il nous invite.
Que le Seigneur nous permette de n’être jamais inquiets de ce qui arrive autour de nous, mais toujours prêts à donner le témoignage de l’amitié qu’il nous fait, de l’amour que nous essayons de lui porter en retour.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris