Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à la chapelle Notre-Dame de la Médaille Miraculeuse
Samedi 26 novembre 2022 - chapelle Notre-Dame de la Médaille Miraculeuse (7e)
– Solennité de Notre-Dame de la Médaille Miraculeuse
Is 66,10-14 ; Ps 44 ; Ap 11, 19a ;12,1-6a.10ab ; Jn 2,1-12
D’après transcription
Dans les événements de la foi, qui touchent une personne ou un ensemble, il y a toujours un contexte. Ce qui arrive à une personne ou à un peuple, une nation, à un groupe, dans la foi, est toujours situé dans une histoire. Les trois lectures que nous venons d’entendre le disent chacune à leur façon. Dans le livre d’Isaïe, quand le peuple retourne à Jérusalem après avoir été dans une longue période d’exil, loin de Jérusalem, il est invité : « exultez de joie pour Jérusalem, vous qui la pleuriez ». Le peuple de Dieu pleurait sur Jérusalem qui n’était plus son lieu de vie, où le temple avait disparu, il regrettait ce temps et ce temple. Mais voilà que c’est l’occasion d’exulter de joie. Le contexte, l’histoire, c’est qu’il y a eu des événements terribles - ce n’est pas le moment de les raconter, et puis dans l’histoire des hommes il y a tellement souvent des moments terribles qu’on n’a pas besoin de descriptions, on sait ce qui arrive. Voilà comment Dieu prend soin de son peuple, dans les événements terribles il envoie des messagers pour dire : c’est maintenant le moment de vous réjouir parce que c’est le moment de ma venue, c’est le moment de votre retour, c’est le moment où vous pouvez exprimer votre joie parce que je ne vous ai jamais abandonnés, même dans les moments terribles. La vision de saint Jean, dans l’Apocalypse, est du même genre : cela n’est plus Jérusalem, c’est une femme, une femme qui porte un enfant, un enfant de paix. Mais cet enfant de paix est menacé par celui que l’auteur de l’Apocalypse, Jean, appelle le dragon, c’est-à-dire l’auteur du mal. Celui qui fait du mal à l’humanité et qui essaye de mettre la main sur cet enfant promis à être un enfant de paix. Mais voilà que contre toutes les forces du mal, et contre le dragon, la femme est protégée et la naissance de l’enfant aussi. C’est donc le moment, à la fois d’être dans la peine, la crainte, mais aussi dans la joie d’être touché par le Seigneur qui veut du bien à tous et à chacun, et qui protège toujours le don de la paix qu’il fait.
Et puis, dans l’évangile, la circonstance est joyeuse. Le contexte dans lequel on se trouve est joyeux, lui : c’est le contexte d’un mariage. Mais ce mariage ne produit pas toute la joie que l’on en attend, parce que le Seigneur Jésus ne s’est pas encore manifesté, et il faut encore l’aide d’une femme, sa mère, pour inviter le peuple qui est là. D’abord inviter le peuple des serviteurs de ce mariage, à faire tout ce qu’il dira. Et faire ce qu’il dit, qu’il dira, le Seigneur, c’est être promis à découvrir la joie la plus complète, qui est figurée par le bon vin pour le mariage. Ce qu’il manquait à ce mariage de Cana, c’était la joie totale, la joie de la présence du Seigneur : la joie de l’action du Seigneur, c’est lui qui donne la joie dans nos vies ; c’est lui qui, par sa présence, par sa parole, par son désir, procure la joie à ceux qui sont là. Tant que l’on n’a pas identifié le Seigneur Jésus, tant que l’on croit que la joie est simplement produite par nous, dans nos fêtes, dans nos rencontres, tant que l’on croit que nous en restons à être les auteurs du bonheur, tant que nous oublions que l’auteur du bonheur, l’auteur de la joie c’est le Seigneur présent, quand nous l’oublions, alors la joie n’est pas complète. Jésus le dira si souvent dans l’évangile de saint Jean : « pour que ma joie soit en vous, pour que votre joie soit complète. »
Voilà les contextes : il y a des raisons de craindre, des raisons d’avoir peur, des raisons d’être soucieux, des raisons d’être dans la peine, cela existe, c’est vrai. Mais il y a des raisons plus fortes encore de se réjouir, parce que Dieu n’abandonne pas son peuple dans la détresse ; parce que Dieu promet l’enfant de la paix qu’à partir de demain, dans l’Avent, nous allons attendre avec beaucoup plus d’insistance encore. Et parce que le Seigneur nous dit : la joie que vous ressentez, c’est l’œuvre de ma présence au milieu de vous.
Alors quand Catherine Labouré, entrant dans cette Compagnie des Filles de la Charité en 1830, a eu ses visions qu’elle n’a révélées qu’à son confesseur, on sait aussi que le contexte était dur pour notre pays, pour la France, pour les pays d’Europe en général. Un contexte d’agitation qui a tenu tout le XIXe siècle, un contexte de révolution, de violence, de pensées qui prétendaient se passer du Seigneur. Beaucoup de souffrances et beaucoup de misère aussi, beaucoup de misère dans le peuple, beaucoup de misère dans les campagnes, beaucoup de misère dans les villes. On n’insiste pas, il n’y a pas besoin de décrire, on connaît, on sait aujourd’hui aussi dans notre monde combien le contexte est difficile, douloureux, peu paisible, peu enclin à la paix. Et on sait aussi qu’il y a beaucoup de misère, de misère sociale et de misères de toutes sortes qui affectent la vie de nos contemporains, tout près de nous bien souvent. Misère dans les campagnes, misère dans les villes, ce contexte-là est le même que ce soit en 1830, que ce soit aujourd’hui. Mais voilà que la vie de Catherine Labouré va être complétement transformée. Déjà elle était fidèle et proche de la Vierge Marie, déjà elle se confiait à elle dès son enfance, mais voilà tout d’un coup, en entrant dans cette Compagnie, qu’elle sait qu’une force va animer tout le reste de sa vie : pendant 46 ans, cette force va la conduire. Et cette force c’est la joie même de Dieu transmise par la Vierge Marie, qui invite à confier à Dieu, par l’intercession de la Vierge Marie, toutes ces douleurs et toutes ces souffrances. La Médaille Miraculeuse l’exprime : « Ô Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous ! »
Avec deux notes que je retiens. La première c’est que c’est toujours dans la discrétion que la Vierge Marie se fait connaître, que Dieu se fait connaître, que la Vierge Marie fait connaître l’œuvre de Dieu. C’est d’abord au milieu de la nuit qu’elle appelle Catherine. C’est ensuite dans la prière des vêpres qu’elle se manifeste encore, sans que les sœurs de Catherine puissent le savoir vraiment. Dans la discrétion, dans l’appel, particulier fait à elle, d’être messagère d’une bonne nouvelle et pourtant sans révéler qu’elle en est la première bénéficiaire. Cela contrevient beaucoup aux comportements les plus habituels d’une société, et de la nôtre en particulier, qui veut tout savoir sur tout, qui voudrait que tout soit public toujours. Qui ne cherche pas dans le silence, dans la paix du cœur, à retrouver la joie, mais qui veut toujours mettre en valeur tout ce qui ne va pas, et qui veut que tout le monde le sache, et que se répandent sans cesse les mauvaises nouvelles. C’est le premier message que nous pouvons entendre. C’est dans le silence de nos cœurs que nous connaissons la bonne nouvelle et que nous tâchons de la répandre jour après jour. Ceci est caractéristique du message de Dieu, qui veut toujours nous ouvrir le cœur au plus profond de nous-mêmes, au plus silencieux. Et manifestement, depuis tant d’années, bientôt 200 ans, qu’ici même monte une prière d’intercession, elle se fait toujours dans le silence. Dans cette chapelle silencieuse, de cette chapelle silencieuse, et pourtant très fréquentée, monte une prière si forte, pour que les détresses du cœur, les détresses de l’humanité, les détresses des sociétés soient allégées par le Seigneur qui donne la paix.
Et le deuxième signe que je retiens, ce sont les grâces que nous oublions de demander. La Vierge Marie s’explique là-dessus à Catherine. Et d’une certaine façon elle dit : vous ne demandez pas assez, vous n’êtes pas assez disposés à porter la douleur du monde, parce que vous la trouvez lourde, mais à la porter en demandant que le Seigneur soit capable de l’alléger, et il l’est, par l’intercession de la Vierge Marie. Nous portons des souffrances, et peut-être nous devons davantage les exprimer dans le silence de notre cœur, avec une intention ferme et un désir que le Seigneur apporte tout ce qu’il jugera bon, à chacun d’entre nous, à tous ceux pour lesquels nous prions, à calmer aussi les angoisses de nos contemporains et des sociétés dans lesquelles nous vivons.
Que par l’intercession de la Vierge Marie, par le travail, qui ne cesse pas, de sainte Catherine Labouré, nous soyons capables de porter auprès d’elle et auprès du Seigneur, les peines et les douleurs, sans nous inquiéter. C’est le Seigneur lui-même qui ouvre son cœur à nos demandes, faites par l’intercession de sainte Catherine et de Notre-Dame de la Médaille Miraculeuse.
Qu’il en soit ainsi pour chacun d’entre nous et pour tous ceux que nous aimons et que nous portons.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris