Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à Saint-Pierre de Montmartre pour l’ouverture du centenaire de la naissance de Fernando Rielo (1923-2004) fondateur des Missionnaires Identès
Samedi 10 décembre 2022 - Saint-Pierre de Montmartre (18e)
– dimanche de Gaudete, 3e semaine de l’Avent — Année A
- Is 35, 1-6a.10 ; Ps 145 (146), 7, 8, 9ab.10a ; Jc 5, 7-10 ; Mt 11, 2-11
D’après transcription
On peut imaginer qu’il y ait de la peur, qui trouble même les croyants, quand on entend les textes que nous venons d’entendre. Je pense à Isaïe qui est obligé de dire : « Dites aux gens qui s’affolent, soyez forts ne craignez pas, voici votre Dieu. » On peut s’affoler de la dureté des temps, on peut s’affoler de la guerre, on peut s’affoler de l’économie difficile, on peut s’affoler des mésententes entre les gens, on peut s’affoler des injustices de toutes sortes, et on peut aussi s’affoler - pour des croyants, dans le texte du jour - de Dieu, tel qu’il est annoncé par Isaïe : « Voici votre Dieu c’est la vengeance de Dieu, la revanche de Dieu. » Il y a de quoi s’inquiéter dans la vie. D’une certaine manière, Jésus, dans l’Évangile, ne le dit pas de façon très différente. Il dit : « Les aveugles voient, les boiteux marchent », mais il nous dit aussi : « Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute. » Et nous comprenons en effet que, pour des croyants, trahir l’esprit de Jésus c’est aussi quelque chose qui peut susciter de l’inquiétude et de la peur. Mais voilà, dans ces lectures d’aujourd’hui, dans cette liturgie du troisième dimanche, on insiste moins sur la peine, la douleur des hommes, que sur la joie. Soyez – dit la parole de l’évangile que nous venons d’entendre, ainsi que l’apôtre Jacques et aussi Isaïe – plutôt joyeux de ce que vous voyez. Jésus dit cela dans l’évangile : « Heureux êtes-vous de voir tout ce qui se passe. » En effet, dans l’existence que vous voyez, si vous ouvrez bien les yeux, vous voyez poindre les motifs de réjouissance. Dans l’évangile que nous venons d’entendre, ce que vous voyez, c’est que les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les morts ressuscitent et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle : voilà les raisons d’être dans la joie. Traduisons : dans la vie que nous menons aujourd’hui, nous voyons tellement d’énergie se déployer au service des pauvres, dans l’Église et dans le monde, nous voyons tellement de mouvements qui sont faits pour que des gens retrouvent leur propre dignité, que les hommes et les femmes soient vraiment accompagnés, aidés, qu’ils retrouvent le goût de vivre, le goût de s’émerveiller, le goût d’être ensemble, le goût d’être accompagnés jusqu’à la fin de leur vie même s’ils sont dans la peine ou dans l’angoisse de la mort qui approche. Et on a l’impression que cela fait tache d’huile quand même, cet engagement de tant d’hommes et de femmes au service des autres. Parce qu’ils savent qu’ils ne peuvent pas être heureux eux-mêmes s’ils ne procurent pas autour d’eux de la joie.
Et puis, au milieu d’un monde qui a l’air d’être si indifférent au Seigneur, à Dieu, à la création, à la Bonne Nouvelle de l’Évangile, il y a des hommes et des femmes qui, tout d’un coup, se relèvent et disent : la vie que je mène n’a pas assez de sens, elle n’est pas assez belle, elle ne va nulle part ; et j’ai été touché par le Christ, j’ai été touché par la Parole de Dieu, j’ai rencontré dans ma vie quelqu’un qui, de nouveau, fait sens pour moi. » Voilà que se lève une joie profonde dans le cœur de ces hommes et de ces femmes qui demandent à l’Église le baptême, la confirmation alors qu’ils sont dans l’âge adulte déjà. Et bien ce sont des signes, de ces signes petits mais que notre vue peut voir parce que la foi l’éduque, parce que la foi invite chacun d’entre nous à regarder ces signes, ces signes de charité, ces signes d’espérance, ces signes de foi. Et c’est la source d’une joie profonde. Notre joie est dans l’attente du Seigneur. Notre joie se trouve dans l’exercice que nous imposons à nos yeux de voir ce que beaucoup ne voient pas, alors qu’ils sont dans le brouillard d’une existence qui a l’air de ne pas avoir tant de sens. Ils ne voient pas ces choses, et vous vous êtes heureux de les voir. Vous êtes remplis de joie que l’Esprit de Dieu, le Seigneur qui vient, soit capable de faire naître dans le cœur des hommes et des femmes ce désir de se rapprocher de lui, ce désir d’écouter sa parole, ce désir de se laisser remplir de la vie de Jésus-Christ, ce désir de se laisser guider par l’Esprit du Père et du Fils. Voilà la raison de notre joie.
Ce soir, en fêtant le centenaire de la naissance de Fernando Rielo, le fondateur des Missionnaires Identès, nous avons cette joie-là. Nous savons que lui a été, en effet, touché par ce désir de la sainteté à laquelle Dieu nous invite tous. Cette invitation du Christ à être saint, comme le Père lui-même est saint, il l’a entendue et il a voulu que cela se transforme dans sa propre vie, que cela devienne un objectif de son existence et que cela puisse être partagé. Il a compris que cela voulait dire qu’il y avait du travail à faire pour l’annoncer, ce désir de sainteté, pour annoncer le Seigneur qui nous donne ce désir de sainteté, et que c’est pour cela qu’il a pu avoir ce projet d’une famille religieuse nouvelle pour, dans le monde d’aujourd’hui, annoncer cette joie qu’il avait dans le cœur et qu’il voulait partager, et qu’il partageait par ses écrits et par l’esprit poétique qui l’animait.
Voilà ce que nous faisons monter à notre mémoire devant le Seigneur, en rendant grâce ce soir pour cette communauté des Missionnaires Identès que vous connaissez, et dont certains ou certaines d’entre-vous font partie, pour être de ces témoins que le Seigneur envoie porter la joie. Que nous puissions rendre grâce ce soir, au cœur de la nuit de l’hiver, mais aussi au cœur de la nuit du monde, et que nous sachions que notre mission première est de porter cette joie qui vient de Dieu et qui se traduit dans la vie de nombreux disciples et d’hommes et de femmes qui – comme Fernando Rielo – ont le désir de faire entrer la lumière du Seigneur, de la refléter, de la faire connaître. Nous avons cette joie-là et nous voulons la partager, dans l’attente de la venue du Seigneur, et pour que nos propres vies soient capables d’assurer toute cette charité que l’Évangile nous inspire et tout ce témoignage qu’il nous est donné de porter.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris