Homélie de Mgr Laurent Ulrich – Messe chrismale

Saint-Sulpice – Mercredi saint 5 avril 2023

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Is 61, 1-3a.6a.8b-9 ; Ps 88 (89), 20ab.21, 22.25, 27.29 ; Ap 1, 5-8 ; Lc 4, 16-21.

“Aujourd’hui” est toujours le maître mot de l’évangile et il est placé en tête du récit de saint Luc : au début de la prédication de Jésus, c’est ce mot qu’il dit à ceux qui l’écoutent. Tout au cours de ce carême pour ceux qui ont pu entendre les conférences du dimanche après-midi, cette vérité chrétienne a été déclinée par notre prédicateur, Mgr Bernard Podvin : Dieu fait du neuf aujourd’hui ; ouvrons les yeux ! Dieu ne laisse pas les choses en l’état, il ne se lasse pas d’offrir chaque jour les merveilles de son amour. Le prophète Isaïe l’avait déjà remarqué, celui que le Seigneur a choisi, son prophète, son serviteur, est envoyé pour annoncer la bonne nouvelle aux humbles, pour guérir, pour délivrer, pour consoler, mettre l’habit de fête pour recouvrir tout habit de deuil et, pour effacer toute larme, répandre l’huile de la joie.

Jésus sait qu’il en est toujours ainsi avec l’œuvre de Dieu : elle ne progresse pas par saccades, mais elle infuse dans les cœurs et les transforme. Elle va au rythme de la vie quotidienne, elle s’incarne dans des volontés d’homme. Et désormais avec Lui, elle a ce visage permanent du Fils de l’Homme qui vient dire et faire la nouveauté que l’amour Lui inspire et fait grandir aussi en notre cœur ; oui, il est vrai ce mot tiré d’une expression de sainte Thérèse de Lisieux, égrené à la fin de chacune de ces conférences, nous avons « aujourd’hui pour aimer ! »

Dans le monde miné par la guerre ou les risques imminents et les volontés de puissance, en Ukraine, en Arménie et Haut-Karabagh, au Liban, en Irak où je me suis rendu récemment, en Éthiopie ; et encore au Burkina Faso, au Mali et au Niger, en République démocratique du Congo, au Soudan du Sud, et en tant d’autres lieux du monde…
Dans notre société française inquiète, tentée par une illusion de bien faire en préférant accélérer le terme de la vie plutôt que de tendre une main fraternelle pour vivre jusqu’au bout ; dans notre peuple divisé sur des enjeux sociaux d’avenir, notre nation dispersée à tous vents, et pourtant capable de se réunir dans des circonstance exceptionnelles de gravité ou d’enthousiasme…
Dans ces contextes difficiles, nous voyons cependant l’Esprit du Seigneur et la force du Christ qui travaillent sans cesse, comme le dit ailleurs Jésus dans l’évangile de saint Jean. Nous les voyons agir en toute volonté de servir – c’est ce que nous voyons quotidiennement – , en toute louange rendue à Dieu – c’est ce que nous faisons maintenant – et en toute parole de confiance en Lui que nous pouvons proclamer auprès des cœurs meurtris. Nous, comme fidèles du Christ, et l’Église tout entière que nous formons ne pouvons jamais abandonner ce poste qui nous est confié : nous tenir prêt à servir au cœur des situations de pauvreté, louer le Seigneur et intercéder auprès de Lui pour tous ceux qui souffrent, dire des paroles de paix et de miséricorde. Bien que ces paroles et ces actions ne soient pas souvent relayées comme nous le souhaiterions, nous ne pouvons pas nous dispenser de les prodiguer – il est toujours étonnant de voir que Dieu lui-même est capable de les faire entendre à qui en a besoin, c’est ce qui arrive chaque année aux centaines, à Paris, et milliers, en France, de catéchumènes qui recevront à la fin de cette semaine les sacrements de l’initiation chrétienne.

De cette assurance que nous avons que Dieu n’abandonne jamais notre humanité parce qu’Il l’aime, découlent des orientations, des attentions permanentes et des actions à entreprendre dans notre Église diocésaine de Paris pour les mois à venir que j’indique maintenant.

La première préoccupation que je relève concerne l’accompagnement des prêtres et le souci des vocations. Je désire que ce soit davantage visible et que chaque prêtre sache que, dans le presbyterium de Paris, il est connu, reconnu et appelé au meilleur service qu’il puisse rendre. Les doyens, les curés, le conseil presbytéral nouvellement élu et installé sont déjà sollicités de travailler à développer les moyens d’un tel accompagnement. Et je vous renouvelle, frères prêtres, l’invitation à venir très nombreux à Lourdes du 12 au 16 novembre prochain pour ces journées du presbyterium que nous avons projeté de vivre ensemble ; les fidèles se sépareront de vous quelques jours, mais nous serons tous unis dans une prière commune.
Au sujet des vocations, je voudrais que l’une des grandes attentions du ministère des prêtres soit, justement, de discerner, accompagner et faire parvenir à maturité les diverses vocations chrétiennes que Dieu suscite dans son peuple : vocation de laïcs au service du monde, service de l’Église et du témoignage de la foi, vocation religieuse ou consacrée, vocation au diaconat et au ministère sacerdotal. Depuis le début de cette année, j’ai invité des curés, des prêtres plus jeunes, des séminaristes, des laïcs en responsabilité éducative à réfléchir à ce sujet. Nous poursuivrons cet effort et indiquerons bientôt de nouvelles actions.

Je voudrais souligner le grand intérêt des visites pastorales dans les paroisses, sous un mode renouvelé depuis dix-huit mois. Les vicaires généraux constituent des équipes de deux personnes avec eux pour chaque visite en paroisse et viennent se faire témoins fraternels de ce qui est vécu et entrepris dans chacune. Au terme de la visite, les équipes pastorales ont communication des observations collectées par les visiteurs et se sentent ainsi encouragées à poursuivre leurs efforts d’annonce, de service et de louange.

Il me semble aussi venu le temps d’une nouvelle catéchèse pour tous au sujet de la vie sacramentelle. Le fort développement du catéchuménat des adultes, la signification de l’eucharistie dont il est arrivé, à une part des fidèles, de ne plus voir toute la nécessité notamment à la suite du COVID ; le renouveau en cours de la pratique du sacrement de pénitence et réconciliation, mais aussi des confusions entre ce sacrement, l’accompagnement spirituel et aussi l’aide psychologique se présentent comme deux ou trois points de départ de la réflexion.
Dans une très belle méditation, parue au cours de l’été dernier, sous le titre Desiderio desideraviJ’ai désiré d’un grand désir, citation de l’évangile de saint Luc – le pape François pointe une insuffisance de la perception de ce que signifie la vie sacramentelle dans la vie chrétienne.
On ne peut pas nier qu’il y ait un aspect médicinal et nourricier, personnel, des sacrements. Il y aussi un aspect d’appartenance dans la participation aux sacrements c’est clair. Mais seul, ces deux critères ne suffisent pas : l’un peut tourner notre foi vers une religion très individuelle, l’autre peut être desséchant, administratif.
Sans ignorer ces deux aspects qui font du ministère apostolique un service des communautés chrétiennes pour leur entretien et leur croissance, il nous faut indiquer à nouveaux frais et dans des catéchèses accessibles le sens du mystère qui nous est confié : Dieu s’est fait l’un des nous, il a vécu parmi nous, il a souffert et il est mort pour nous, et il est vivant pour conduire tous les hommes vers son Père et son Royaume. Les sacrements, dans l’Église sacrement, sont ce sceau qui nous est confié dont ils nous rendent témoins. Ils nous font membres du Corps du Christ qui apporte le salut à tout homme « associé mystérieusement au mystère pascal par des moyens que Dieu connaît », ainsi que l’a dit dans une formule décisive le Concile Vatican II qui a été une étape si nécessaire du développement de la tradition chrétienne.

Conformément aux décisions qui nous viennent de l’assemblée des évêques depuis plusieurs années et qui ont été encore confirmées la semaine dernière, ainsi qu’aux règles édictées par le Saint Père, j’ai déjà trouvé en arrivant ici l’existence et l’activité d’une cellule qui a étudié puis suivi les procédures judiciaires et canoniques concernant les abus sexuels, spirituels et de pouvoir qui sont une grande souffrance pour de nombreuses victimes, et un grand mal pour l’Église. Nous faisons d’autres pas : dès le mois de septembre dernier, nous avons embauché, à temps plein, un délégué épiscopal chargé de ce suivi et de la prévention des abus ; j’ai déjà demandé à quatre personnes avec lui de me conseiller pour la mise en œuvre des sanctions canoniques. Sortir du silence à ce sujet des abus non seulement est conforme à la justice, mais aussi à la vérité : l’Église comme institution s’en trouvera plutôt grandie que fragilisée. Comme les situations concernées ne se ressemblent pas, chacune sera traitée à son heure.

J’ai évoqué tout à l’heure la pastorale des vocations ; c’est toute la pastorale des jeunes qui mérite une attention soutenue. Beaucoup est fait dans le diocèse pour eux : les mouvements de jeunes, les aumôneries actives auprès des paroisses pour les collèges et les lycées et la pastorale dans les établissements catholiques, les aumôneries étudiantes : tout cela se voit au long des années scolaires et universitaires, et s’illustre lors des rassemblements, le Frat à Lourdes dans quelques jours pour les lycéens d’Île de France, les JMJ à Lisbonne fin juillet-début août où déjà presque 4000 jeunes diocésains sont inscrits : 35000 environ sont attendus pour la France. Ces efforts sont constants et demandent notre soutien.

J’ajoute que l’Enseignement Catholique, en particulier, doit être encouragé dans sa vocation propre et sa mission principale d’éduquer qui est sa raison d’être : l’école catholique est d’abord une école à laquelle on peut faire confiance. Mais elle demeure un lieu de liberté où puisse être montré et vécu l’évangile que l’Église n’a de cesse de partager à tous. Elle n’est pas un lieu fermé, privatisé et réservé. L’Enseignement catholique a de plus en plus conscience des enjeux éducatifs et missionnaires qui lui incombent. Les questions démographiques sont de véritables contraintes ; elles constituent un souci qu’on peut d’ailleurs rapprocher de celui que nous avons aussi dans nos paroisses. Et la rencontre des autres, notamment de ceux qui n’ont pas l’occasion d’entendre parler du Christ et de l’évangile est désormais le lot le plus commun. C’est la mission qui se relance partout.

Justement, nous allons avoir une belle occasion d’en approfondir le sens dans les futurs Jeux olympiques et les « paralympiques » de Paris, en 2024. Rencontres mondiales où se mesurent l’esprit sportif, le développement du corps humain comme don de Dieu même quand il est porteur de handicap, l’ouverture fraternelle aux autres peuples dans une compétition sincère. Dans les sociétés actuelles, l’organisation de ces Jeux n’est plus le fait de l’Église, mais n’oublions pas que ce sont deux catholiques, Pierre de Coubertin et le père dominicain Henri Didon, qui sont les initiateurs de ce renouveau de l’olympisme à la fin du 19ème siècle. Nous mettons en place, dans l’Église en France et dans le diocèse de Paris et plusieurs de la région parisienne, un programme d’accueil et d’accompagnement pastoral de ces jeux. Faisons de l’année qui vient une année olympique dans le diocèse de Paris ! Vous ne tarderez pas à recevoir des informations à ce sujet.

Enfin, nous marchons à grands pas vers la réouverture de notre cathédrale, dans dix-huit mois maintenant, si tout va bien. C’est le moment de se préparer à l’ouverture de Notre Dame conformément à ce que j’ai écrit dans la lettre pastorale. C’est aussi un enjeu de rencontre et d’offrande du témoignage de notre foi et de notre espérance. Notre Dame redeviendra un lieu où se côtoient fidèles catholiques et visiteurs : ce n’est pas une gêne dont il faudrait s’accommoder, mais le symbole d’une Église qui partage le trésor de sa foi, le mystère de Dieu fait homme qui se donne pour le salut de tous. Nous y célébrerons de nouveau l’eucharistie et les autres prières de notre Église pour que résonne l’appel du Christ à tous et que nous débordions de la générosité du Christ pour tous ses frères qui sont les nôtres aussi.

C’est ce même appel que ne cesse de faire retentir le Pape François avec détermination et joie permanente malgré de nombreux obstacles. Je suis particulièrement heureux avec mes frères évêques, et particulièrement le cardinal archevêque de Marseille, de vous inviter à venir prier avec le Saint père le 23 septembre prochain dans la métropole méditerranéenne. À l’ouverture de la prochaine année pastorale, ce sera un beau signe de notre Église qui prie et, au milieu des événements les plus variés, ne cesse de faire confiance en son Seigneur, comme nous le faisons en ce moment même.

Mgr Laurent Ulrich,
archevêque de Paris

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