Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à Saint-Louis d’Antin

Dimanche 23 avril 2023 - Saint-Louis d’Antin (9e)

 3e Dimanche du Temps Pascal - Année A

- Ac 2, 14.22b-33 ; Ps 15 (16), 1-2a.5, 7-8, 9-10, 11 ; 1 P 1, 17-21 ; Lc 24, 13-35
D’après transcription

La Bonne Nouvelle de la Résurrection de Jésus et l’annonce de la nôtre, ont quelque chose de si extraordinaire, de si inouï, de si incroyable d’une certaine façon, qu’il faut bien que la Parole de Dieu, les lectures que nous entendons, les lettres des Apôtres - saint Pierre aujourd’hui - la redisent de façon forte, insistante et persuasive pour qu’elle finisse, cette Bonne Nouvelle, par entrer dans nos cœurs et par nous éduquer à être capables de reconnaître le Seigneur vivant aujourd’hui au milieu de nous. Comme il a fallu, pour les premiers chrétiens, les apôtres, les premiers disciples de Jésus qui l’ont découvert et qui ont eu du mal à croire cette Nouvelle, comme en témoigne le récit des deux pèlerins qui vont vers Emmaüs, les deux compagnons qui vont vers Emmaüs. Il a fallu que l’apôtre Pierre, dans son discours des Actes des Apôtres que nous avons entendu, insiste fortement pour dire que si l’on avait bien lu l’Écriture, on pouvait comprendre que Dieu avait la puissance, non seulement de créer le monde et de donner la vie, mais aussi de redonner la vie après la mort et de ne pas laisser l’aventure humaine s’épuiser dans le péché d’une part, dans le mal et la violence mais aussi dans l’échec de la mort.

Et voyez-vous, dans l’évangile que nous venons d’entendre, qui est si célèbre, qui est le plus long parmi les récits d’apparitions fournis par les évangélistes - ce récit que nous connaissons bien des compagnons d’Emmaüs - il nous est donné d’apprendre à voir comment le Christ se manifeste dans la vie des hommes. Non seulement des premiers témoins de sa Résurrection, mais de nous aussi aujourd’hui. Je voudrais souligner quelque chose qui, peut-être, n’apparait pas immédiatement dans la lecture de cet évangile : un contraste puissant entre le jour et la nuit. De jour, les compagnons marchent, ils sont, semble-t-il, fermés sur leur peine, sur le sentiment de l’échec qu’ils viennent de subir - « Nous attendions qu’il soit Lui le restaurateur d’Israël » - et l’évanouissement de leur espérance. Ils sont enfermés, pourtant ils marchent de jour. Et quand ils sont rejoints par un autre passager, par un autre marcheur qui est avec eux, quand ils sont rejoints ils ne peuvent pas le reconnaître, leurs yeux, dit l’évangéliste, étaient empêchés de le reconnaître. Et pourtant, c’était seulement trois jours après sa mort : ils auraient pu le voir, ils auraient pu reconnaître ses traits s’ils l’avaient déjà rencontré. Il n’est pas exclu qu’ils l’aient fait. Ils étaient si attachés à l’espérance qu’il avait fait lever dans leurs cœurs pendant sa prédication, pendant sa vie terrestre. Ils auraient pu, mais ils ne pouvaient pas, ils étaient trop enfermés dans leur propre désespoir, dans leur propre inquiétude. Ils avaient, si j’ose dire, lu les journaux, ils connaissaient la nouvelle, eux, que semblait ignorer celui qui les a rejoints. Ils étaient au courant et ils analysaient avec passion les événements qu’ils venaient de vivre. Probablement qu’ils avaient une analyse, comme on dirait aujourd’hui, politique des choses. Et ils comprenaient que c’était la fin d’un espoir.

Et voilà que, rejoints peu à peu par lui, qui s’intéresse à ce qu’ils disent, qui écoute leur conversation, qui se mêle à leur conversation, voilà que peu à peu ils sont mis sur un autre chemin. On est toujours en plein jour, et le Seigneur leur découvre quelque chose qu’ils n’avaient jamais aperçu dans les Écritures qu’ils lisaient régulièrement, comme de bon Juifs certainement. Il leur montre peu à peu, que ce qui est dit du Sauveur, du Messie, du Christ, du Serviteur de Dieu, du Choisi par Dieu, aboutit à annoncer une espérance si forte que la vie sera toujours plus forte que la mort. Ils entrent peu à peu dans cette compréhension. Ils n’ont pas encore tout compris, mais pourtant, quand le soir baisse, quand ils sont arrivés à destination, ils invitent celui qui est venu avec eux à rester avec eux. Parce que la nuit est dangereuse : marcher sur les chemins la nuit - sans lumière électrique bien sûr ! - mais aussi sur des chemins dangereux qui peuvent être fréquentés par des brigands, cela est dangereux. Et donc ils préfèrent la sécurité d’une auberge, et ils préfèrent inviter leur compagnon à rester avec eux. Et c’est maintenant que la nuit est venue qu’ils vont voir clair.

C’est maintenant que la nuit est la plus profonde pour eux qu’ils vont être émerveillés de ce que celui qui est venu avec eux va faire pour eux. Non seulement il leur a montré les Écritures, non seulement il leur a fait comprendre le message de Dieu à travers sa Parole, mais voilà qu’il va faire ce qu’il avait dit. Il va devant eux partager le pain que nous appelons l’eucharistie. Il va refaire ce geste qu’il avait fait trois jours avant devant ses plus proches, devant ses apôtres, et c’est là qu’ils comprennent. C’est de nuit qu’ils comprennent, c’est dans la nuit qu’ils voient la vraie lumière. C’est dans la vraie nuit de leur désespérance qu’il leur est donné de croire à la vie du Ressuscité qui est devant eux. Ce contraste entre le jour et la nuit est très fort dans cet évangile.

Dans le jour où nous vivons, le nôtre, nous pouvons être complétement enfermés dans nos préoccupations, complétement enfermés dans nos inquiétudes, complétement enfermés dans le manque d’avenir auquel nous croyons pour ce monde, complétement enfermés dans les analyses les plus subtiles qui font désespérer du monde et croire qu’il va toujours de plus en plus mal et qu’il est dans des impasses. Mais lorsque nous consentons à ne pas marcher en plein jour, lorsque nous consentons à ne pas comprendre tout ce qui nous arrive, quand nous nous accrochons à l’Écriture, à la Parole de Dieu, quand nous nous accrochons à ce sacrement de l’eucharistie, quand nous nous accrochons aux autres sacrements - dont celui de pénitence et réconciliation qui est tellement vécu dans cette église, quand nous nous attachons à la Parole que l’Église nous transmet, qui est une parole d’espérance, au milieu du désespoir du monde, quand nous faisons confiance à ce que le Seigneur dit, à ce que le Seigneur fait à travers les gestes de miséricorde, les gestes d’attention, de charité, les gestes de bonheur partagé, fraternels, alors nous comprenons que la vie est capable d’être plus forte que la mort, alors nous comprenons que le don de la Résurrection est un don qui correspond bien à l’amour miséricordieux de Dieu.

Ce contraste entre le jour et la nuit est permanent. Nous croyons marcher de jour et faire des analyses astucieuses de la situation du monde, et le Seigneur nous rejoint, au milieu de notre découragement mais attachés que nous sommes à sa Parole, à sa promesse, au don de lui-même, aux sacrements qu’il nous offre pour grandir dans la foi et dans l’espérance. C’est au milieu de cette nuit-là que nous pouvons, grâce à Lui, marcher avec assurance.

Vous avez remarqué que les deux compagnons d’Emmaüs, ils n’ont plus peur de la nuit, ils repartent immédiatement, vers Jérusalem. Ils n’ont plus peur de marcher au milieu des chemins où il y a peut-être des brigands ou simplement des trous dans la route : les voilà qui repartent, pleins de joie et d’espérance, communiquer à d’autres l’espérance qui est renée dans leur cœur.

Hier soir à Saint-Sulpice, nous avons eu la joie de participer à la béatification de cinq martyrs. Ils avaient passé leur vie à aimer, comme le Seigneur le voulait. Ils avaient passé leur vie, pour le Père Planchat, au service des pauvres de deux quartiers, successivement, de Paris. Et les quatre autres au service de l’éducation, au service de la formation de futurs religieux. Ils avaient mis tout leur cœur dans cette vie donnée par Dieu et partagée avec Lui, et ils avaient décidé de donner leur vie et de la partager avec les autres. Ils en sont morts, puisqu’ils avaient donné leur vie. Ils sont allés au bout de leur don, mais avec le Christ ils savaient que la puissance de la Résurrection ne les ferait pas mourir définitivement et que le don de leur vie allait les entraîner jusqu’à la vie avec tous ceux qu’ils ont aimés et avec nous qui sommes aujourd’hui témoins de la Résurrection dans laquelle ils vivent.

Que le Seigneur nous permette de comprendre que c’est Lui qui nous fait passer de la nuit au jour, alors que nous croyons bien plus souvent que nous sommes en train d’aller vers la nuit du monde. Que le Seigneur nous permette de porter l’espérance qu’il met dans nos cœurs.

+ Laurent Ulrich, archevêque de Paris

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