Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Commémoration du 108ème anniversaire du génocide des Arméniens de 1915
Dimanche 23 avril 2023 - église de La Madeleine (8e)
Divine liturgie solennelle
Lectures : 1 P 4, 12-19 ; Jn 15, 5-14
Nous venons d’entendre cette parole de Dieu qui nous ouvre les yeux sur ce que nous avons à vivre chaque jour, lorsque nous nous tournons vers Lui pour Lui faire confiance. « En dehors de moi vous ne pouvez rien faire », dit Jésus. Cela ne veut pas dire que nous n’avons rien à faire, mais au contraire que nous pouvons agir et nous laisser transformer, nous laisser changer, nous laisser conduire dans l’amour qu’Il nous confie pour porter autour de nous des fruits de paix, de vie, de réconciliation, d’espérance. Jésus va très loin dans cette invitation qu’Il nous adresse : garder ses commandements, comme Lui a gardé les commandements de son Père. Et les commandements de son Père, c’était de ne jamais dévier de la voie de l’espérance : tout homme a le droit d’entendre la Bonne Nouvelle de la vie ; tout homme peut recevoir la joie de se savoir aimé de Dieu, et de devenir ami de Dieu, ami du Christ qui a donné sa vie pour nous ; tout homme peut se mettre à pratiquer la loi de la bonté, de la douceur ; tout homme peut se mettre au service des autres, et préférer donner sa vie pour les autres plutôt que de s’imposer face aux autres, de chercher à les dominer.
C’est vrai que l’histoire du monde est souvent celle de la domination des uns sur les autres, des chefs sur leurs peuples et des peuples sur les autres peuples. C’est alors toujours l’histoire de leurs malheurs communs, c’est l’histoire des violences qui s’enchainent et ne savent plus s’arrêter. Et nous, nous voulons croire que la véritable réussite du monde, c’est l’accomplissement de la volonté de Dieu, c’est la réalisation d’une humanité unie, unique famille de Dieu.
Et nous entendons encore cette parole de l’apôtre Pierre : « ce qui vous arrive n’a rien d’étrange. » Nous pouvons avoir du mal à entendre que les souffrances qui arrivent à de nombreux peuples et qui les font souffrir pendant très longtemps, ce n’est pas si étrange que cela, c’est habituel, c’est conforme à la vie du monde et au témoignage de la foi. C’est que le message de Dieu n’est pas si simple à accueillir. Il faut bien que nous comprenions que la transformation du cœur humain est un long chemin ; l’homme croit d’abord qu’il est maître de lui, qu’il a compris ce qu’il fallait faire pour avancer, qu’il a des projets à réaliser y compris en faisant souffrir les autres, en faisant violence aux autres. Tel n’est pas le chemin de Dieu : il veut que nous apprenions à ouvrir les yeux sur la vraie joie qui est de faire passer les autres avant soi-même, de chercher ensemble les voies de l’amour qui n’ignorent pas que c’est dans la douceur et la vérité qu’on apprend à les suivre. Et quand d’autres nous font souffrir, nous ne pouvons que leur montrer qu’il y a d’autres chemins pour trouver la vie : nous en témoignons pas notre prière, par notre patience, par l’espérance que nous ne quittons pas. Nous nous accrochons à la foi en Celui qui donne la vie et offre la résurrection.
Ainsi, les lectures que nous avons entendues montrent combien la Parole de Dieu nous est proche. Elle n’ignore aucune de nos réalités ; elle sait renverser les logiques du mal, celles-là mêmes qui ont frappé le peuple arménien, il y a 108 ans. C’est le souvenir de ces victimes qui nous réunit en ce jour : celles et ceux à qui on a tout pris, jusqu’à la vie, jusqu’à nier la réalité de leur exil, de leurs conversions forcées, de leur marche vers une mort aussi froidement calculée qu’exécutée. Un même sentiment de révolte nous lie devant cette négation complète de leur humanité, une « tragédie » que le pape Jean-Paul II et plus récemment son successeur François ont justement dénoncée comme « le premier génocide du XXe siècle ».
Ce souvenir oblige à la fidélité. L’apôtre Pierre nous invite même à la fierté quand il exhorte à rendre gloire à Dieu pour le nom de chrétien. C’est en chrétiens que ces hommes, ces femmes et ces enfants ont pu aller jusqu’au martyre, restant fermes dans la foi quand elle les conduisait à « communier aux souffrances du Christ ». Ce témoignage n’aura pas été vainement rendu, nous en avons la ferme conviction. Et nous ne pouvons oublier ce que notre liberté et notre foi doivent à ceux qui ont souffert pour elle.
Mesurant toute l’importance du devoir de mémoire, qui incombe à tout fidèle, nous y répondons aujourd’hui de tout cœur. Il nous engage car l’innocence de ces victimes fait écho au combat chrétien contre le mal et son mystère ; une lutte que nous devons mener jusqu’au plus profond de notre être et qui prend sens dans la résurrection du Christ, victoire définitive contre la mort. Dieu, qui est notre force et notre refuge, connaît chacun de vos chers disparus : nous les confions à son infinie miséricorde.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris