Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à Saint-Germain l’Auxerrois

Dimanche 17 septembre 2023 - Saint-Germain l’Auxerrois (1er)

– 24e Dimanche du Temps Ordinaire – Année A

- Si 27, 30 à 28,7 ; Ps 102,1-4.9-12 ; Rm 14, 7-9 ; Mt 18,21-35

Vous l’avez, bien sûr, remarqué, surtout depuis que nous utilisons cette traduction liturgique qui a gardé la même unité de compte pour les deux dettes : ce que vous avez remarqué, c’est que le second serviteur, le compagnon, devait au premier serviteur une somme 600 000 mille fois moindre que celle que le premier serviteur devait à son maître. Et quand Jésus parle du pardon, il dit non pas sept fois mais soixante-dix fois sept fois. Nous sommes dans un rapport de un à dix : ce n’est déjà pas mal !

Ce qui signifie que la parole de Jésus, ici, nous fait entrer dans une disproportion absolue, une sorte de démesure complète, entre ce que nous devons à Dieu et ce que nous nous devons les uns aux autres. L’amour dont Dieu nous entoure est complétement disproportionné par rapport à celui qu’il nous demande en retour, à son égard et entre nous.

Saint Augustin puis saint Bernard ont eu l’habitude de dire : la mesure d’aimer Dieu c’est de l’aimer sans mesure. Voilà qui nous impressionne : aimer Dieu sans mesure. D’une certaine façon, Jésus dit cela : vous n’aimerez jamais vos frères à la mesure même de l’amour dont Dieu vous aime. Alors n’hésitez pas à entrer dans le chemin du pardon mutuel, parce que dans ce domaine vous n’en ferez jamais assez, et en tout cas vous n’en ferez jamais trop.

Voilà la leçon de l’Évangile qui nous est dite. Si nous avions conscience de l’immensité du don de Dieu à notre égard, dans son amour premier pour nous, dans sa miséricorde à notre égard et sa capacité de nous pardonner nos petitesses, nos insuffisances, alors nous serions complètement éblouis. Déjà, en effet, dans la première alliance, dans le texte que nous avons entendu tiré du sage Ben Sira - deux cents ans avant Jésus environ, nous comprenons que ce sage n’a pas qu’une parole de sage. Il ne dit pas simplement : tenez-vous éloignés de la vengeance et de la colère parce que cela empoisonne votre vie, notre vie. Mais il nous dit : considérez l’amour dont Dieu nous aime, et alors entrez vous-mêmes dans l’amour. Ne vivez pas sur vos colères, ne vivez pas sur votre esprit de vengeance. Vous avez entendu cette conclusion de cette lecture : « Pense à l’alliance du Très-Haut et sois indulgent pour qui ne sait pas. » Je ne suis pas complétement persuadé que cette traduction soit la plus claire possible, j’en ai lu d’autres, dans d’autres traductions de la Bible, qui disent : pense à l’alliance du Très-Haut et néglige l’offense que tu as reçue, passe par-dessus l’offense que tu as reçue, c’est si peu de chose par rapport au pardon que Dieu est prêt à t’accorder pour les offenses que tu lui fais, pour les éloignements avec lesquels tu te comportes à son égard, pour les insuffisances de ton retour d’amour à la suite du sien. Gardons cela très profondément ancré dans le cœur. Considérons, méditons, sur la miséricorde de Dieu, sur le bien qu’il nous veut, sur l’appel qu’il nous adresse à entrer dans son amitié aujourd’hui et pour toujours. L’immensité de ce don devrait, non pas nous effrayer, mais en tout cas toujours nous tenir éveillés pour ne pas être dans nos comportements quotidiens à l’égard de nos frères et de nos sœurs dans une sorte de rancune en ressassant notre péché, en ressassant nos haines, en ressassant nos vieilles querelles internes.

Saint Paul dans la première communauté chrétienne de Rome - qu’il ne connaît pas encore d’ailleurs, il leur écrit avant de les connaître - sait, nous venons de le lire dans la deuxième lecture, qu’il y a déjà des conflits, entre disons des rigoristes de la loi et des libéraux dans l’application de cette loi. Et il leur dit cette très belle page que nous venons de lire : si nous vivons nous vivons pour le Seigneur, si nous mourons nous mourons pour le Seigneur, parce que nous appartenons au Christ. Si nous appartenons au Christ, nos querelles internes, nos querelles dans nos communautés, nos querelles à l’intérieur de l’Église sont de peu de poids. Qu’est-ce que c’est à l’égard de l’immense amour du Christ qui a donné sa vie pour tous et évidemment pour chacun d’entre nous ?

Alors voilà, entrons dans cette méditation, ne soyons pas fiers du fait que nous soyons capables de tenir tête à d’autres quand nous sommes offensés, et considérons l’amour tellement donné du Seigneur jusqu’à sa mort et dans sa résurrection : il nous offre non seulement la vie mais le pardon. Apprenons à ne pas tenir rigueur des offenses qui nous sont faites et gardons l’humilité devant le don ineffable de Dieu.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

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