Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à Notre-Dame-du-Bon-Conseil en la Fête des nations
Dimanche 1er octobre 2023 - Notre-Dame-du-Bon-Conseil (18e)
– 26e Dimanche du Temps ordinaire – Année A
- Ez 18,25-28 ; Ps 24, 4-9 ; Ph 2,1-11 ; Mt 21,28-32
Jésus, dans les lectures que nous venons d’entendre, vient de fermer la bouche aux Pharisiens et aux chefs des prêtres qui lui demandent de quelle autorité il agit ? D’où lui vient cette façon de parler, qui à la fois touche le peuple mais semble déranger les responsables du peuple, les Pharisiens et les chefs ? D’où lui vient l’autorité avec laquelle il guérit le jour du Sabbat et fait du bien à ceux que l’on estime inguérissables semble-t-il ? Mais voilà que, pour faire comprendre, pour développer sa pensée, il raconte cette histoire des deux fils. Il aime bien, Jésus, d’une façon habituelle, opposer comme cela deux attitudes, deux façons de vivre, deux comportements, deux figures. Et d’ailleurs c’est une habitude biblique forte, vous l’avez entendu dans la première lecture déjà. On oppose ceux qui sont des gens de bien et qui tout d’un coup se mettent à faire du mal, et puis les méchants qui tout d’un coup se convertissent, changent de vie et se mettent à vivre selon le droit et la justice, comme dit le prophète Ézéchiel que nous avons entendu en première partie. Mais il ne faut jamais écouter ces récits d’opposition pour dire : il y a d’un côté les bons, de l’autre côté les méchants. Et plutôt se dire : il y a en moi, il y a en chacun d’entre nous, un côté qui dit oui à Dieu, et qui ne le fait pas ; et un côté qui dit non, et qui pourtant le fait. Un côté qui veut le bien, et un côté qui ne sait pas bien faire le bien, mais fait plus spontanément le mal. Ces deux figures, elles sont toujours en nous, à l’intérieur de nous.
Ce qui fait que ce qui est important dans l’évangile que nous venons d’entendre, la phrase qui est importante c’est : « Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla. » Je parle du premier fils qui est interrogé, celui qui a d’abord dit non. Celui qui a d’abord dit à son Père : non cela ne me plaît pas, cela ne m’intéresse pas, et qui finalement, s’étant repenti, y alla. Ce qui veut dire que Jésus nous dit tout simplement : il n’est jamais trop tard pour se convertir. Il n’est jamais trop tard pour faire le bien. Il n’est jamais trop tard pour se mettre à faire ce que Dieu nous demande. C’est une expérience pleine d’espérance, c’est un propos de Jésus qui peut nous rassurer, parce que nous nous connaissons nous-mêmes, nous savons que nous ne sommes pas immédiatement désireux de faire ce que Dieu veut. D’ailleurs, vous avez noté que Jésus, dans son histoire, indique que le père qui s’adresse successivement à ses deux fils, leur dit : va à ma vigne travailler. Et quand le père dans l’évangile dit : va travailler à ma vigne, nous savons que c’est Dieu lui-même qui invite à œuvrer avec lui dans sa vigne qui est au milieu du monde et qui est déjà une figure, une image du royaume de Dieu qui se construit jour après jour. Et donc, quand Jésus nous invite à écouter le père qui nous dit : va travailler à ma vigne, ce n’est pas simplement pour aller s’occuper ou pour gagner de l’argent, c’est pour faire le bien et c’est pour cultiver la vigne du Seigneur qui est déjà une image du royaume et du moment où nous serons avec Lui pour toujours. Déjà, dans le monde d’aujourd’hui, nous pouvons travailler à cela et c’est à cela qu’il nous invite. Mais revenons à ce fils qui a d’abord dit non et qui finalement, ensuite, s’étant repenti, y alla.
Vous savez, c’est comme un enfant qui veut affirmer sa volonté, vos enfants, vos petits-enfants, qui veulent affirmer leur volonté et qui disent non à tout, à un certain âge. A un certain âge de l’enfance et puis ensuite de l’adolescence, on dit volontiers non pour montrer qui on est, pour montrer qu’on a de la volonté, et c’est un peu normal. Mais finalement, bien des enfants, après avoir dit non, pour faire plaisir, pour revoir le sourire sur les lèvres du père et de la mère, reviennent vers eux, et font, finalement, ce qu’on leur a demandé. Mais c’est une histoire plus générale, c’est une histoire qui se passe chez nous, quand nous résistons à pardonner à quelqu’un qui nous a offensés : quand nous avons été offensés par quelqu’un et que nous sommes invités à lui pardonner, que nous ne voulons pas le faire et que, finalement, nous étant repentis, nous nous retournons vers celui qui nous a offensés et nous sommes prêts à faire le chemin pour lui pardonner le mal qu’il nous a fait. Nous sentons bien que nous faisons là la volonté de Dieu, et que le sourire peut revenir entre deux partenaires qui se sont blessés mutuellement.
Cela peut être aussi l’histoire d’une vocation. Quelqu’un qui résiste pendant des mois, parfois des années, un jeune ou un moins jeune, qui sent qu’il est appelé par Dieu, et qui résiste à lui répondre et à lui dire : oui Seigneur, tu m’as parlé, tu m’as appelé et je ne veux pas le faire. Mais finalement se laisse aller sur la voie où le Seigneur l’attend pour le service des autres, pour les services de Lui, Dieu, pour le service de la vigne, c’est-à-dire de l’œuvre de Dieu qui se fait en nous pour le bien.
Et puis cela peut être aussi l’histoire de chacun d’entre nous : aujourd’hui vous êtes venus tous pour cette Fête des nations, les uns et les autres, avec son histoire, son origine, son voyage pour être venu jusqu’ici, sa migration peut-être difficile, et donc vous savez qu’être accueilli ce n’est pas toujours bien facile, et être accueillant ce n’est pas toujours bien facile non plus. Alors cette Fête des nations permet de se souvenir qu’on est fait pour vivre ensemble, d’où qu’on vienne et quelle que soit son histoire, et on s’en souvient joyeusement aujourd’hui. Mais peut-être que tous les jours, accueillir le voisin qui ne nous ressemble pas, le voisin qui nous demande un service, le voisin dont la tête ne nous revient pas bien, ce n’est pas toujours facile. On a envie de dire non, de se détourner, de rester chacun chez soi, et puis peut-être, nous étant repentis, nous serons capables de nous accueillir non seulement dans la joie d’une fête comme aujourd’hui, mais dans le quotidien des jours, pour construire l’œuvre de Dieu, pour faire avec Lui ce qu’Il désire, c’est-à-dire une grande famille humaine de toutes les cultures, de toutes les histoires, de toutes les couleurs.
Que le Seigneur nous donne la grâce, jour après jour, non pas peut-être de faire spontanément ce qu’Il demande, et non pas surtout de lui dire oui sans le faire, mais plutôt de nous laisser toucher par son amour pour tous, et de nous laisser toucher au point que nous nous laissions changer, que, nous étant repentis, nous nous retournions vers Lui et vers les autres avec la certitude de l’aimer vraiment et de faire avec Lui ce qu’Il désire pour nous tous.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris