Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe avec la communauté des Franciscains du couvent Saint-François

Mercredi 4 octobre 2023 - couvent Saint-François (14e)

– en la fête de saint François d’Assise

- Si 50,1.3-7 ; Ps 15 ; Ga 6,14-18 ; Mt 11,25-30

Dans l’évangile que nous venons d’entendre, nous comprenons l’invitation de Jésus comme une invitation à porter un fardeau, mais un fardeau qu’il allège lui-même. A porter un fardeau parce que, bien sûr, dans les circonstances de la vie que nous avons à vivre les uns et les autres, nous comprenons que ce n’est pas toujours facile et que la vie peut être lourde et difficile à certains moments plus qu’à d’autres, et pour certaines personnes plus que pour d’autres. Mais Jésus nous fait comprendre que la Bonne Nouvelle de l’Évangile est capable de porter en elle-même quelque chose qui rend l’existence tournée autrement et permet de porter ces fardeaux-là. Y compris ceux qui s’ajoutent pour ceux qui ont le désir d’annoncer l’Évangile, parce qu’ils font l’expérience que l’annonce de l’Évangile n’est elle-même pas facile dans un monde qui n’est pas toujours prêt à l’accueillir, même si on peut comprendre qu’il l’attend quand même. Attendre la Bonne Nouvelle de l’Évangile, c’est attendre de comprendre où nous mène notre vie. Mais accueillir la parole de l’Évangile, qui nous indique le chemin à suivre réellement, n’est pas toujours accepté. Nous le comprenons et nous l’éprouvons, au fur et à mesure que s’approfondit en nous l’expérience du croyant qui sait en qui il a mis sa confiance, et qui comprend aussi que tous ne l’accueillent pas, n’accueillent pas cette nouvelle avec une joie débordante.

Et pourtant, l’expérience du croyant, au-delà de toute épreuve, de toute difficulté, de toute contradiction, est liée à l’annonce de l’Évangile. Parce que l’Évangile qui annonce la pauvreté vécue, comme François l’a fait, l’Évangile qui annonce la paix qui détruit toute sorte de jalousie dans le cœur des hommes, n’est pas facile à accueillir ; parce que la force et la puissance de l’orgueil, la force et la puissance de la vanité, peuvent dominer ce monde et ne pas accueillir volontiers l’annonce que le chemin de l’humilité, comme François l’a vécu, est le plus sûr moyen de la paix et de la joie.

Quand Jésus dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits », nous comprenons qu’Il a fait l’expérience de cette opposition qui nait, quand on annonce l’Évangile, à l’égard de tous les désirs humains, de puissance, de grandeur, de domination, de force. Combattre tout cela en nous demande beaucoup de confiance dans le Seigneur qui annonce l’Évangile.

De la même façon - nous l’avons compris en écoutant la deuxième lecture tirée de saint Paul aux Galates : « Que la croix du Seigneur reste ma seule fierté » - ce qui compte c’est la création nouvelle : « dès lors que personne ne vienne me tourmenter » pour ce que j’ai dit et fait, « car je porte dans mon corps les marques des souffrances du Christ. » Nous comprenons aussi que Paul a vécu sans cesse - à cause de l’Évangile qui l’a pourtant libéré - le combat, la lutte pour que demeurent en lui, plus forts, l’humilité, l’amour, la paix et le désir d’ouvrir le cœur des hommes à cette Bonne Nouvelle du Seigneur. Il y a donc toujours ce combat, et pourtant l’assurance que la paix du cœur, la joie la plus profonde, s’accomplissent, se réalisent et comblent le cœur qui se donne à cette Bonne Nouvelle. L’expérience de Paul, l’expérience de François à la suite de Jésus, sont bien celles-là. Il entre dans le cœur de l’homme François, de l’homme Paul, une joie bien supérieure à servir l’annonce de la Bonne Nouvelle que s’ils étaient restés dans les dispositions précédentes qui avaient d’abord marqué leur vie. Pour Paul la certitude de posséder une doctrine absolument impeccable, et pour François la facilité d’une vie qui se présentait à lui sous des auspices assez favorables. Mais, pour l’un et pour l’autre, la joie de la découverte du Christ dans leur vie est source d’une joie plus profonde.

De sorte qu’en méditant sur ces textes, me sont revenues les lignes du Pape François dans le premier texte qu’il nous a adressé il y a dix ans, presque jour pour jour, au mois de novembre 2013 : La joie de l’Évangile. Et ont retenti en moi ces invocations qu’il fait à un certain moment de son texte : « ne nous laissons pas voler la joie de l’Évangile. » Et il décline cela, vous vous en souvenez peut-être : « ne nous laissons pas voler l’enthousiasme missionnaire », devant les échecs qui marquent parfois, ou qui marquent souvent plus exactement, l’annonce de l’Évangile. Annoncer l’Évangile, parfois c’est, comme on dit, prêcher dans le désert. Et devant ces échecs, le pape dit : ne nous laissons pas voler la joie, l’enthousiasme missionnaire. Et il décline encore un peu plus : « ne nous laissons pas voler la joie de l’évangélisation ! » Devant la faiblesse des résultats de l’annonce de l’Évangile, apparemment, devant les lenteurs de la conversion, y compris d’abord en nous, ne nous laissons pas voler la joie de l’évangélisation, la joie d’aller porter l’Évangile, le fait de vouloir en être témoin par sa vie et par ses paroles. Ne nous laissons pas voler cette joie d’annoncer l’Évangile même si nous ne voyons pas les résultats, y compris dans nos propres transformation et conversion.

Ne nous laissons pas voler, dit le pape encore, l’espérance. Ne nous laissons pas voler l’espérance devant les difficultés réelles d’entrer dans une relation profonde avec le monde qui nous entoure pour lui annoncer cette espérance qui anime la foi que nous portons, et qui est un cadeau que Dieu nous fait. L’espérance que, finalement, le combat de Dieu est vainqueur. Non pas en s’imposant et en dominant mais en changeant les cœurs.
Ne nous laissons pas voler l’Évangile tout simplement, dit le pape aussi, devant les tentations immenses qui peuvent nous assaillir nous-mêmes, de garder l’Évangile pour nous, de penser que l’Évangile est un instrument de domination du monde, comme cela a pu être le cas dans l’histoire de l’Église.

Et le pape finit par cette nouvelle invocation : « Ne nous laissons pas voler l’idéal de l’amour fraternel ! » suscité par l’annonce de l’Évangile. Que ceux et celles qui veulent vivre l’Évangile comprennent que l’annonce de l’Évangile les conduit vers une vie plus fraternelle avec les autres, mais que cette vie fraternelle c’est une sorte de combat intérieur, qui apporte la joie mais qui est une lutte permanente. Et devant les divisions qui minent le monde dans lequel nous vivons, et l’Église, nous ne pouvons pas oublier que l’Évangile est fait pour créer une vie fraternelle. Et ces propos du pape, évidemment, résonnent très fort après ceux que nous avons entendus il y a quelques jours à Marseille.

Alors gardons - en cette fête de saint François - cette invitation forte de celui qui tâche en ce moment, à la tête de l’Église, d’imprimer un mouvement de transformation de cette Église, un mouvement de simplification, de simplicité plus grande, pour annoncer l’Évangile. Ne nous laissons pas voler la joie de l’Évangile !

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

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