Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe des étudiants d’Île-de-France à Saint-Sulpice
Jeudi 19 octobre 2023 - Saint-Sulpice (6e)
L’Église, signe prophétique au milieu du monde
- Rm 3,21-30 ; Ps 129 ; Lc 11,47-54
Il est beaucoup question des prophètes dans ces textes que nous venons d’entendre aujourd’hui. Jésus, s’adressant aux docteurs de la Loi, les tance et leur dit qu’ils sont bien les fils de ceux qui ont tué les prophètes puisqu’ils bâtissent leurs tombeaux. C’est-à-dire qu’ils enferment leur parole, qu’ils font en sorte que ce qu’ils ont dit soit honoré éventuellement par des gestes religieux mais qu’on ne les entende pas, qu’on ne les entende plus. Et d’autre part, l’apôtre Paul dit que la Loi et les prophètes, c’est-à-dire la majorité des textes de la Bible, - ce que nous appelons l’Ancien Testament, le Pentateuque et les livres prophétiques -, apportent un message clair sur ce que Dieu veut. Ce que les prophètes ont fait c’est de rappeler cette Loi de Moïse, cette Loi qui dit d’honorer le Seigneur et de respecter son frère. Eh bien, cette Loi-là, aujourd’hui, Paul l’interprète et dit, vous l’avez entendu à la fin de la lecture de la Lettre aux Romains : ce que Dieu veut, c’est que son Évangile soit apporté non seulement à ceux qui déjà pratiquent la Loi de Moïse - pour parler plus simple, dans une langue que nous pouvons comprendre aujourd’hui : nos frères Juifs -, mais aussi ceux qui ne sont pas passés par la Loi de Moïse, qu’on appelait païens, qu’on appelait du dehors, et ceux-là aussi ont droit d’entendre la Parole de l’Évangile.
Que sont donc les prophètes ? Y a-t-il des prophètes aujourd’hui ? On en entend qui certainement font des imprécations sur la situation du monde, et nous affolent. Sont-ils des prophètes ? Je ne sais. J’aurais plutôt tendance à croire que sont prophètes ceux qui, dénonçant des situations d’injustice ou de malheur ou d’absence de vision de l’avenir, ouvrent le cœur des hommes d’aujourd’hui à un véritable avenir de paix, de réconciliation, de respect de tout homme et de toute femme, en ce qu’ils sont notre frère et notre sœur. Me semble-t-il est prophète celui qui ouvre le cœur des hommes et des femmes d’aujourd’hui à une espérance. L’espérance que le monde n’est pas condamné, fini, terminé, proche de sa fin, mais ouvert à ce que Dieu veut toujours. Rendre raison de l’espérance, ai-je lu ces jours-ci, c’est la devise choisie par le nouvel évêque auxiliaire de Paris. Il a bien raison, d’ouvrir le cœur, notre cœur, le vôtre à vous jeunes qui, peut-être, pouvez être inquiets de l’avenir, ouvrir notre cœur à tous à cette espérance que Dieu donne, ouvrir l’esprit de nos contemporains, et les nôtres, à la transcendance même de Dieu et du don qu’il nous fait, de la vie, du monde dans lequel nous vivons, des frères et sœurs avec lesquels nous vivons, pour construire un monde beau, juste et fraternel.
Je crois bien qu’il doit y avoir beaucoup de prophètes dans ce monde, s’ils ouvrent le cœur des hommes plutôt que de le fermer. Et je crois très profondément qu’au milieu de ces prophètes, que certainement l’Esprit de Dieu suscite dans notre monde, qu’ils soient eux-mêmes croyants en Dieu ou pas, Dieu suscite et place l’Église comme un signe prophétique pour toujours. Dieu place l’Église comme un signe prophétique au milieu d’autres prophètes et au milieu du monde pour l’ouvrir à l’espérance.
Et je crois que l’Église manifeste son esprit, son esprit de prophétie, quand elle rassemble un million et demi de jeunes à Lisbonne, au mois d’août dernier, dépassant les espérances qui avaient été mises lors de la préparation. Elle indique que, de tous les peuples de la terre, il est possible que se lève un peuple des enfants de Dieu qui porte cette espérance. Quand elle vous rassemble ce soir dans la mémoire, pour certainement beaucoup d’entre vous, de ces jours joyeux de l’été dernier, je crois qu’elle manifeste aussi sa mission qui est de rassembler et de porter l’image de ceux qui désirent apporter l’Évangile du Christ autour d’eux par le témoignage de leur vie et de leur parole.
Quand elle célèbre le mystère du Christ elle est prophétique. Quand elle célèbre l’eucharistie et les autres sacrements, quand elle célèbre la prière, la prière qui est commune aux croyants chrétiens, elle met au cœur de sa vie le mystère du Christ qui donne sa vie pour tout homme. Et cela est prophétique, c’est un geste peu connu, peu aperçu, peu compris, peu accueilli, mais ce geste-là a une portée extrêmement forte. Et chacun de nous, rassemblés, nous pouvons nous nourrir de ce mystère qui nous fait vivre, et en être porteurs dès que nous sommes dispersés dans la vie de tous les jours.
Quand l’Église apporte son témoignage pour protéger et promouvoir la vie depuis sa naissance jusqu’à sa fin naturelle, elle dit que l’homme n’est jamais perdu tout seul dans un océan d’individualisme, pour ne pas dire d’égoïsme, où chacun veut tracer sa route, mais au contraire respecter tout homme, toute femme, comme notre frère, notre sœur, pour qu’il puisse être accueilli dans la vie, ne pas se sentir seul quand il est dans la détresse, et se préparer à la fin de sa vie, à la mort, au passage, en gardant au cœur l’espérance.
Quand l’Église veut faire respecter le droit de tous, et rappelle que toutes les nations sont faites pour recevoir le don de Dieu, elle sait, et c’est prophétique, que l’humanité est une. Elle est voulue par Dieu comme une, et donc elle est en marche vers un rassemblement, elle est en marche vers la rencontre des peuples les uns avec les autres.
A travers tant de gestes, tant de paroles, tant de signes, l’Église est posée comme prophétique. Elle n’est certes pas toujours bien entendue, ses intentions ne sont pas toujours bien comprises, ses membres ne sont pas toujours bien cohérents avec ce qu’ils annoncent. Mais elle ne se décourage pas parce qu’elle sait qu’elle est envoyée, que sa force n’est pas en elle mais vient de son Sauveur, que son but n’est pas en elle et n’est pas la glorification de l’Église, mais la glorification de Dieu. Parce qu’elle sait qu’elle cherche auprès du Seigneur l’assurance de pouvoir, malgré ses faiblesses et la faiblesse de ses membres, annoncer une espérance.
Alors vous tous qui êtes là, membres de l’Église - ou peut-être pas encore - le Seigneur veille sur votre témoignage, il l’appelle, il le désire, et il vous en donne la force. C’est pourquoi nous prions l’Esprit Saint de venir en nous et de nous conduire sur les chemins où les hommes et les femmes de ce temps nous attendent pour leur ouvrir une espérance.
+ Laurent Ulrich, archevêque de Paris
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