Homélie de Mgr Laurent Ulrich – Ordination épiscopale de Mgr Emmanuel Tois

Saint-Sulpice – Vendredi 17 novembre 2023

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- Is 61, 1-3, 6a, 8c-9 ; Ps 115 ; Ac 10, 37-43 ; Jn 21, 15-19

Cher Emmanuel, chère famille d’Emmanuel, vous sa maman, vous ses sœurs et son beau-frère,
ses neveux et nièces, et vous tous ses nombreux amis, vous frères évêques, vous prêtres et diacres de notre diocèse ou participant à son service missionnaire avec les nombreux laïcs en mission, vous diocésains de Paris et d’ailleurs, vous qui ne partagez peut-être pas la foi d’Emmanuel mais goûtez à son amitié, vous qui savez que vous participez à un moment capital de la vie d’Emmanuel et de notre Église.

Vous tous qui êtes accueillis dans cette église St-Sulpice, veuillez entendre avec moi cette parole de Jésus à son disciple Simon-Pierre :

« Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment ? Simon, fils de Jean, m’aimestu ? » Je ne sais pas comment vous interprétez cette gradation de la question de Jésus : m’aimes-tu plus que ceux-ci ? M’aimes-tu vraiment ? M’aimes-tu ? C’est comme s’il n’y avait pas de comparaison possible, dans le domaine de l’amour – il n’y a pas d’instrument de mesure. M’aimes-tu plus que tu n’aimes les autres, en ferais-tu plus pour moi que tu n’en ferais pour quelqu’un d’autre ? M’aimes-tu vraiment ? C’est-à-dire : te sens-tu prêt à vivre pour moi, à vivre avec moi quelles que soient les circonstances ou les conditions ? Il faut se souvenir du moment où se passe ce dialogue ; nous sommes au chapitre 21 de l’Évangile de Jean : c’est après l’épreuve de la Passion et de la mort de Jésus. Pierre et ses compagnons sont encore éberlués de ce qui vient d’arriver à Jésus, de ce qui vient de se passer dans leur vie d’amis, de disciples, de fidèles de Jésus : aimer Jésus vraiment, c’est accepter de Le voir souffrir et mourir, c’est accepter de passer la mort avec Lui. M’aimes-tu ? La dernière formule est la plus abrupte, et elle dit à Simon-Pierre : ne considère plus les circonstances et les épreuves, avance résolument avec moi, si tu m’aimes. À tout moment de la vie, cette interrogation de Jésus peut résonner de nouveau et c’est pourquoi Emmanuel a choisi de nous la faire entendre aujourd’hui, en ce moment où il répond, devant la communauté chrétienne réunie, devant vous qui avez bénéficié de son ministère de prêtre en paroisse, d’aumônier, de curé, de vicaire général, devant vous qui êtes sa famille, ses amis, ses anciens collègues magistrats. Il répond à la triple question du Seigneur : « Oui, Seigneur, tu sais bien que je t’aime ! » Mais cette réponse n’est pas naïve, géné- reuse au point d’être inconsciente ! Quand Jésus marchait au milieu du peuple qu’Il était venu côtoyer sur la terre de Palestine, Il faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable car Dieu était avec Lui, dit le récit du livre des Actes des Apôtres que nous venons d’entendre. Si l’on suit Jésus par amour, c’est en sachant qu’il s’agit de combattre les forces du mal qui font obstacle à l’œuvre de Dieu. Il ne s’agit pas de partir en guerre contre qui que ce soit, mais de lutter contre le mal et toutes les forces de mort qui se coalisent dans le monde pour asservir les hommes. Le programme est au-dessus de nos forces si nous ne sommes pas avec le Christ, Lui qui a reçu l’onction de l’Esprit Saint pour annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur, ainsi qu’il est dit au livre du prophète Isaïe. Pourtant la formule n’est pas magique, le mal et les forces de mort ne disparaissent pas d’un coup. C’est chaque jour qu’il faut repartir ensemble. L’Église se renouvelle sans cesse par la grâce de l’onction du Christ. Chaque jour, Il appelle de nouveaux serviteurs, parmi ses disciples, parmi ceux qui ont déjà reçu l’onction du baptême, de la confirmation et qui participent à son eucharistie, qui attendent de lui les signes de sa miséricorde, qui savent pouvoir compter sur sa force dans les épreuves ; chaque jour, Il appelle des ministres qu’il revêt de cette onction, de cette force qui est la sienne pour participer à son engagement de vie et d’amour.

Il choisit des évêques pour conforter dans leur mission les baptisés, leur donner les signes forts et efficaces de la grâce de Dieu qui les enveloppe pour tenir bon dans ce combat de la vie et de l’amour. Il choisit des évêques pour manifester, par leur communion autour de l’évêque de Rome, que la tâche est sans limites autour de cette Terre, que l’Évangile est fait pour rejoindre ceux qui souffrent, ceux qui n’en ont encore jamais entendu parler, ceux qui luttent pour la paix et la justice, ceux dont personne ne parle, ceux dont la dignité n’est pas reconnue, et que dans le peuple de Dieu en tout premier lieu ils soient accueillis, respectés et aimés comme des frères et des sœurs de Jésus-Christ.

Il demande encore aux évêques d’envoyer en mission des hommes et des femmes auprès de tous ceux-ci dont je viens de parler et de tant d’autres, ou de reconnaître le travail missionnaire d’hommes et de femmes de tous âges et de toutes conditions qui se dévouent au service de leurs frères et sœurs avec la conscience que c’est le Christ lui-même qui désire se donner à travers eux. Il demande aux évêques de recevoir de Lui des prêtres et des diacres comme des collaborateurs précieux pour faire résonner l’appel de Dieu et l’amour de Dieu pour tous et partout. Encourager les petites pousses de vocations à aimer, à servir, à annoncer que chacun est aimé de Dieu, et confier à ces collaborateurs de les accompagner, de les faire grandir, de discerner où elles seront le plus à même de porter du fruit : voici encore une tâche pour un évêque ; et il y en a tant d’autres que je saurais décrire en quelques mots, à l’instant. Mais ce sont simplement les tâches qui montrent et réalisent la mission de l’Église elle-même.

L’évêque ne peut pas considérer qu’il en a fini de sa mission avec ceux qui sont regroupés dans l’Église et dans les églises : ce qui l’habite concerne l’humanité tout entière. L’Église ne s’intéresse pas à ellemême, elle ne se regarde pas – ou plus exactement, elle risque, comme toute institution, de se regarder trop elle-même, au lieu d’être tout entière tournée vers son Seigneur dont elle dépend et tire ses forces, et tout entière aussi tournée vers ce monde et ces hommes et ces femmes que Dieu aime.

Ainsi l’évêque ne peut-il jamais être satisfait d’avoir réalisé tel ou tel programme, de même que tous ceux qui sont associés à lui pour constituer l’Église ! Dans l’Église qui est à Paris, circonscrite dans un très petit territoire, cela apparaît très évident : tant d’initiatives de toutes sortes, dans les domaines de l’action caritative et de la solidarité, de l’enseignement de la foi, de l’invitation à la prière, de la conversion des cœurs, de l’annonce faite à tous ne couvriront jamais la totalité de la mission qui nous est confiée. Les évêques sont bien chargés de veiller sur l’engagement de l’Église et de le réveiller parfois ; mais le peuple chrétien aussi veille sur ses pasteurs, leur fidélité et leur énergie. L’ordination épiscopale d’Emmanuel Tois, aujourd’hui, vient au terme d’une semaine qui illustre bien ce que je viens de dire : avec plus de trois cents prêtres de ce diocèse, ou au service du diocèse, nous venons de passer quatre jours ensemble à Lourdes ! Les Parisiens le savent puisqu’ils ont dû se passer du service des prêtres pendant ce temps : nous leur avons promis de prier pour eux, et vous aussi, vous l’avez fait pour nous. Et nous, nous étions tout joyeux de ce temps fraternel qui a permis de rendre visible à chacun ce qu’est le presbyterium, le collège des prêtres autour de son évêque : c’est si rare, et surtout sur quatre journées consécutives, ce fut donc très intense !

Joyeux d’abord de prier ensemble le chapelet, la liturgie des heures – le bréviaire –, de célébrer l’eucharistie et de recevoir le sacrement de pénitence et réconciliation. Joyeux des conversations gratuites qui n’appellent pas des actions communes, mais tissent ou retissent des liens. Joyeux de faire connaissance avec des nouveaux, des plus jeunes, des plus âgés, de ceux qu’on ne croise pas souvent. Joyeux surtout de sentir qu’à travers des différences d’âge, d’origine sociale, de forme de spiritualité ou de points de vue pastoraux, chacun a été appelé par le même Seigneur au travail de sa vigne. Moments exceptionnels de fraternité et d’amitié. Voici ce moment de vie qui est donné au diocèse de Paris, à son archevêque, et désormais à ses deux auxiliaires ; voici où commence pour Mgr Emmanuel Tois sa vie d’évêque au service de l’Église où il a exercé son ministère de prêtre depuis le début. Je sais que son cœur est rempli de joie, de la joie du serviteur qui sait bien pour qui il travaille et va travailler : c’est Lui qu’il va retrouver non seulement dans la prière et l’accueil de sa parole, mais aussi quotidiennement dans le peuple qu’ici même vous représentez aujourd’hui. Son cœur est rempli de joie, comme celui du psalmiste qui vient de traverser une épreuve dans laquelle il a compris qu’il ne serait jamais abandonné :

« Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ?
J’élèverai la coupe du Salut, j’invoquerai le nom du Seigneur.
Je tiendrai mes promesses au Seigneur, oui, devant tout son peuple !
Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce, j’invoquerai le nom du Seigneur.
Je tiendrai mes promesses au Seigneur, oui, devant tout son peuple,
à l’entrée de la maison du Seigneur, au milieu de Jérusalem ! »

Mgr Laurent Ulrich
archevêque de Paris

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