Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à Notre-Dame de l’Assomption des Buttes-Chaumont

Dimanche 11 février 2024 - Notre-Dame de l’Assomption des Buttes-Chaumont (19e)

La compassion de Jésus

– 6e dimanche du Temps Ordinaire – Année B

- Lv 13,1-2.45-46 ; Ps 31,1-2.5.11 ; 1 Co 10,31 à 11,1 ; Mc 1,40-45

Dans les dimanches précédents, nous avons vu ce que Jésus est venu faire. D’abord annoncer le Royaume de Dieu par des paroles, l’annoncer partout où il allait ; faire du bien - on a déjà vu qu’il faisait des guérisons, pour manifester que le Règne de Dieu commence déjà aujourd’hui pour ceux qui l’entendent annoncer ; et puis se retrouver ensemble à la synagogue pour écouter la Parole de Dieu et la partager, la commenter. On voit que Jésus se trouve aussi dans la synagogue et va prier comme tout autre juif. Il va prier, il va écouter ce que le Seigneur a à dire aux uns et aux autres que nous sommes.

Et tout cela se passe, d’après l’évangéliste saint Marc, dans une seule journée. Disons que c’est la journée-type de Jésus. Et cette journée va se terminer dans le passage que nous venons d’entendre : quelqu’un qui s’approche de Jésus et qui lui demande de bénéficier du bienfait de sa présence, de sa parole et aussi de son geste. Et ce personnage d’aujourd’hui est un personnage-type, un personnage exemplaire, puisqu’à cause de sa maladie, la lèpre - qu’à l’époque on ne savait pas vraiment comment soigner – il se trouve mis à l’écart.

Alors que remarque-t-on dans ce texte d’aujourd’hui ? Qu’est-ce que cela nous apprend de la façon de faire de Jésus et d’annoncer l’évangile, d’annoncer la Bonne Nouvelle pour tous et de faire du bien grâce ou à cause de cette Bonne Nouvelle ? Ce que cela nous apprend d’abord, c’est la compassion de Jésus. C’est la première chose que nous voyons dans cet évangile : « saisi de compassion » est-il dit. Jésus, quand il trouve devant lui quelqu’un qui est en situation de souffrance, d’une façon ou d’une autre, et on le voit tout au long de l’Évangile, a de la compassion. Il s’arrête, il regarde, il écoute, il parle, il ne peut pas passer devant quelqu’un qui est dans le malheur, la détresse, la difficulté, la souffrance, il ne peut pas le faire sans manifester sa proximité, sa bonté, son désir de faire du bien, et simplement d’être là, à côté de celui qui souffre. La compassion de Jésus est permanente. Peut-être, pour nous, c’est quelque chose d’un peu difficile. Nous sommes capables d’être saisis de temps en temps par la souffrance d’une personne ou d’une autre, mais peut-être que d’être saisi aussi fort et aussi souvent que Jésus, cela ne nous paraît pas toujours facile. Pourtant, l’Église, à la suite de Jésus et parce qu’elle est le corps du Christ, ne cesse pas de faire attention à ceux qui sont les plus pauvres, les malades, les souffrants, ceux qui vivent des situations d’injustice. Voilà pourquoi, à travers le monde, et au long des jours, et depuis toujours, l’Église est soucieuse des malades, soucieuse des gens qui subissent des violences et des injustices, soucieuse de ceux qui sont dans la détresse, quelle que soit cette détresse. Et il y a une grande activité de l’Église, depuis toujours, à travers des engagements de membres de l’Église, de vous-mêmes, de nous-mêmes, à travers eux, dans des associations ou de façon très personnelle, dans la vie de tous les jours, dans la vie des quartiers, dans la vie des hommes et des femmes que nous sommes. Il y a cet engagement de l’Église qui souvent suscite d’ailleurs des engagements d’autres personnes qui ne sont pas croyantes, qui ne sont pas de l’Église, qui ne le font pas au nom de Jésus, mais qui le font quand même par compassion, par souci et nous croyons que c’est l’Esprit de Jésus qui les anime d’une certaine façon.

L’Église, donc, dans la continuité de ce que vit Jésus, veut être attentive à toutes les situations de pauvreté, de détresse, de maladie et de souffrance. Voilà pour la compassion de Jésus.

Mais deuxièmement, ce que nous remarquons c’est que Jésus ne veut pas être simplement un guérisseur passager. Il ne veut pas ponctuellement faire du bien à quelqu’un, et il ne l’envoie pas dire à droite et à gauche qu’il a fait du bien, pour lui attirer du monde. Non, Jésus n’est pas là pour cela ; Jésus n’est pas là pour simplement faire du bien à quelques-uns. Car pourquoi les autres n’auraient-ils pas droit à ce bien ? Quand Jésus a de la compassion, quand il guérit, quand il fait du bien, il est sur le chemin de Dieu le Père et il veut montrer le chemin de Dieu le Père à ceux qu’ils rencontrent. Il veut leur indiquer qu’être guéri, certes c’est bien, mais être mis sur le chemin de Dieu qui aime tous les hommes, c’est encore mieux. Et voilà la vraie raison de l’annonce du Royaume de Dieu, de l’annonce de l’Évangile par Jésus : c’est de conduire vers son Père, c’est de conduire vers le Royaume de Dieu. C’est de dire : aujourd’hui tu as été guéri, aujourd’hui tu as reçu un bienfait de la part de Dieu, que je t’ai transmis. Je t’ai transmis cela, je t’ai fait du bien, et c’était pour t’indiquer le chemin qui conduit au bonheur éternel, qui conduit à l’amour que Dieu veut donner à tout homme, à toute femme. C’est cela qui est le plus important. Cette transformation se passe dans ton cœur. Voilà pourquoi Jésus ne veut pas qu’on parle de cela à tout le monde. Jésus demande le silence parce que c’est quelque chose qui se passe dans le cœur de l’homme.

En préparant cette journée avec vous et cette homélie, en méditant sur le texte d’aujourd’hui, je me suis ressouvenu d’un épisode que l’on a appris après la mort de Mère Teresa, il y a donc 25 ans et plus. On a publié ses carnets intimes, dans lesquels on a découvert que Mère Teresa avait vécu elle-même dans une grande souffrance, pendant de nombreuses années, de croire que Dieu était très éloigné d’elle, de ne plus sentir la présence du Seigneur à ses côtés dans l’action qu’elle menait, d’avoir quelque chose comme une crise intérieure et un sentiment de sécheresse spirituelle à l’égard de Dieu. Eh bien elle ne l’a pas raconté à tout le monde pendant sa vie, mais elle a continué à faire du bien, et cela c’était un signe que Dieu était avec elle. Le Seigneur ne l’avait pas abandonnée, c’est elle qui, dans son inquiétude et son angoisse pour les détresses du monde, se demandait si Dieu était bien toujours là pour l’accompagner. Elle était mise sur le chemin de Dieu à travers une épreuve très forte, mais le Seigneur veillait sur elle, le Seigneur n’oubliait pas ce qu’elle faisait, le Seigneur accompagnait tout ce qu’elle faisait de beau et de bien pour ses frères et sœurs à l’approche de la mort notamment.

Voilà Jésus qui dit : ne parle pas de tout ce qui t’est arrivé, mais agit pour que tes frères et tes sœurs voient le chemin qui les conduit à Dieu.

Et puis la troisième chose que nous voyons, c’est que celui qui a été guéri n’obéit pas à Jésus, il fait le contraire et il va raconter cela à tout le monde. Mais surtout, Jésus, fidèle à ce qu’il veut montrer de Dieu, va se cacher, il ne va plus dans les villes. Il se tient dans des lieux à l’écart, comme d’ailleurs le lépreux, comme s’il était devenu lépreux lui-même il se met à l’écart. Mais cela n’empêche pas les gens de venir vers lui ; cela n’empêche pas les gens de s’approcher ; cela n’empêche pas les personnes, les hommes et les femmes qui sont là, qui sont dans la détresse, de continuer à le rechercher pour qu’il leur fasse du bien à eux aussi. Cela, je pense que nous en avons la confirmation aujourd’hui. Nous voyons que, dans la société d’aujourd’hui, où Dieu et Jésus ont l’air d’être un peu cachés, on a du mal à en parler. On a le sentiment que, dans cette société, on ne peut pas en parler facilement, qu’ils sont comme invisibles aux yeux de nos frères et de nos sœurs, en général. Mais cela n’empêche pas qu’il y ait des personnes qui s’approchent de lui. Cela n’empêche pas qu’il y ait des hommes et des femmes, et vous en connaissez, qui désirent le rencontrer, qui cherchent à le voir, qui cherchent à l’entendre, qui ont entendu un peu parler de lui et qui voudraient, peut-être, faire partie du groupe de ses disciples et de ses amis. Il y a des hommes et des femmes, nombreux dans ce diocèse notamment, qui, samedi prochain, au début du carême, vont s’approcher de Jésus en disant : Seigneur, tu m’as appelé, aujourd’hui je voudrais être là et me préparer à être baptisé au jour de Pâques. Ils sont plusieurs centaines dans le diocèse de Paris, plusieurs milliers en France, et ce nombre ne cesse de croître d’année en année. « De partout cependant on venait vers Jésus », dit la dernière de phrase de l’évangile que nous venons d’entendre.

Eh bien, prions ensemble, non seulement pour ceux qui aujourd’hui vont recevoir le sacrement, l’onction des malades, parce qu’ils font confiance à Jésus pour les accompagner dans un moment difficile de leur vie. Prions aussi pour tous ceux qui cherchent à rencontrer Jésus : que ce désir de lui ne quitte pas nos contemporains et que des hommes et des femmes de plus en plus nombreux - quoi qu’il en soit du silence sur Dieu dans notre société, soient capables d’aller à sa rencontre - puisque c’est lui qui vient, soient capables de répondre à son appel - puisqu’il ne cesse pas d’appeler, et soient capables de le reconnaître dans une vie où on a du mal à l’identifier.

Prions pour cela ensemble, frères et sœurs, et ne cessons pas de penser que notre vie de chrétien est faite pour montrer le chemin vers Dieu.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

Homélies

Homélies