Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe pour les 150 ans de l’église Saint-François-Xavier
Dimanche 10 mars 2024 - Saint-François-Xavier (7e)
– 4e Dimanche de Carême – Année B
- 2 Ch 36, 14-16.19-23 ; Ps 136,1-6 ; Ep 2,4-10 ; Jn 3,14-21
En poursuivant notre marche du carême, nous poursuivons aussi l’histoire du peuple de la Première Alliance, de ce que nous appelons parfois l’Ancien Testament. Et, après les lectures des dimanches précédents, nous voici rendus à l’épisode de l’exil à Babylone. C’est une nouvelle expérience marquante pour le peuple de Dieu, où il découvre comment il a pu être privé, d’une certaine façon, de la présence du Seigneur, où il a cru qu’il en était privé. Il a imaginé que ce qui lui était arrivé était la conséquence des fautes, des oublis de Dieu. Bien sûr, au bord des fleuves de Babylone, il a du mal à chanter l’hymne de Sion, à se souvenir, et il ne peut pas le faire. Mais pourtant, le Seigneur lui permet de vivre autrement ce chemin, de découvrir que c’est le roi païen, le roi qui apparemment ne connaissait pas le Dieu d’Israël, c’est ce roi qu’il inspire. Il dit : « le Dieu du ciel qui m’a donné tous les royaumes - c’est évidemment un pouvoir assez provisoire - mais il m’a dit, ce Dieu, qu’il fallait que je lui construise - nous comprenons qu’il reconstruise – une maison pour lui à Jérusalem. » Intervention très étonnante d’un roi païen sur le chemin de la vie du peuple croyant, du peuple d’Israël qui est ainsi reconduit chez lui. Il a découvert que Dieu n’était pas absent du lieu où il a dû habiter pendant un demi-siècle. Mais Dieu était capable d’inspirer ce roi normalement non-croyant, ou éloigné de la foi d’Israël, et c’est une leçon pour nous, un apprentissage : nous ne devons pas imaginer que Dieu nous appartient, c’est le contraire qui se passe. Dieu est capable de s’adresser à des personnes bien en-dehors de notre monde à nous, de notre monde de croyants, de notre monde chrétien, et il est capable de faire venir à lui qui il veut. Le Seigneur guide ainsi notre marche en nous faisant découvrir des hommes et des femmes qui s’approchent de lui, parfois par un chemin mystérieux. Je parle évidemment des catéchumènes qui se préparent en ce moment au baptême, qui sont venus – on ne sait pas toujours d’où – mais que le Seigneur a placés sur cette route où nous les rencontrons. Et puis tant d’autres qui cherchent avec profondeur le Seigneur dans leur propre vie, qui cherchent dans la vérité.
C’est une grande miséricorde de la part de Dieu de s’adresser ainsi à tous, et de vouloir que chacun puisse un jour ou l’autre l’entendre. C’est une grande miséricorde de la part du Seigneur de vouloir que tous soient sauvés. L’apôtre Paul le dit aux Éphésiens avec grande clarté : « Dieu est riche en miséricorde ». Nous l’avons découvert et nous comprenons qu’elle est disproportionnée par rapport à nous. Nous comprenons que le don que Dieu nous fait, d’être sur le chemin avec lui, le don qu’il nous fait de nous attirer vers lui, est tout à fait disproportionné à l’égard de ce que nous faisons, à l’égard de notre petitesse, à l’égard de notre péché, de nos faiblesses, de nos oublis de lui. Il ne cesse de nous tirer vers lui, alors nous désirons être sur ce chemin où il se trouve. Il a voulu que la richesse de sa grâce soit manifestée dans le Christ Jésus. Et il le dit avec clarté : tout cela ne vient pas de nous, tout cela ne vient pas de ce que nous faisons, mais tout cela vient de lui et uniquement de lui.
Nous lui rendons grâce et nous avons bien raison, en ce dimanche où nous fêtons les 150 ans de la vie de cette communauté, de la fin des travaux de cette église qui est devenue église de ce quartier. 150 ans de vie, 150 ans de fidélité, 150 ans de générosité, c’est magnifique. Vous êtes témoins, et je le suis aussi, de tout ce qui se passe dans cette paroisse au service des autres, au service de ceux qui la fréquentent, au service des pauvres, au service du peuple de Dieu - qui est plus large que celui qui se rassemble dans l’église, de ceux qui viennent, peut-être isolement, prier, de ceux qui ont besoin de l’amitié et du soutien de chacun d’entre vous. 150 ans de vraie joie d’être avec le Seigneur et d’être ensemble. Et pourtant saint Paul nous dit que tout cela ne vient pas de nos actes, que tout cela ne vient pas de nous, mais que c’est le Seigneur qui inspire et qui agit à travers ce qu’il donne aux croyants de faire et de vivre. Ne l’oublions pas, ne nous refermons jamais avec une sorte d’autosatisfaction sur ce que nous faisons, mais rendons grâce sans cesse à l’œuvre de Dieu. Ne soyons jaloux de rien du tout, ne soyons orgueilleux d’aucune action, mais simplement joyeux d’avoir rendu service au nom du Seigneur.
Et c’est donc ainsi le moment, dans la marche du carême, où nous sentons qu’il ne s’agit pas simplement de regarder notre faiblesse et notre fragilité qui sont claires et évidentes, mais de regarder le Seigneur, de plus en plus. Alors que nous avançons vers Pâques, nous nous préparons à regarder le Seigneur qui est élevé de terre comme le serpent de bronze, dans la marche du peuple de Dieu au désert, quand les hébreux étaient terrassés par les serpents. Le serpent de bronze, préfiguration de Jésus-Christ sur la croix, nous invite à lever les yeux sans cesse. Nous aurons un moment tout à fait privilégié le Vendredi saint, à l’office de la croix, où pour certains pendant le chemin de croix, pour lever les yeux vers le Seigneur, avec foi, et tout attendre de lui. Attendre de lui le Salut pour nous-mêmes, mais aussi pour ce monde dans lequel nous vivons et qui a du mal à vivre, qui souffre, qui est traversé de violence, qui a besoin d’être réconcilié.
Levons les yeux vers le Seigneur ; préparons-nous à venir le vénérer, l’adorer, sur la croix le Vendredi saint, préparons-nous à le faire : il est toujours avec nous lorsque nous nous rassemblons, lorsque nous entendons sa Parole, lorsque nous célébrons l’eucharistie et les autres sacrements. Il est avec nous lorsque nous prions avec ceux qui souffrent. Il est avec nous lorsque nous regardons le visage du pauvre, du blessé, de celui qui a été violenté.
Que nous regardions le Seigneur en toute occasion de notre vie et que nous ne nous détachions pas du regard de la croix. Elle est cet instrument par lequel est venu le Salut pour tous. La joie de ce jubilé, de ces 150 ans de fidélité, est certainement teintée de la souffrance, de la violence, de la mort, mais toujours illuminée par le don du Christ. Ne cessons pas de le regarder jour après jour. Tournons les yeux vers la croix ; tournons les yeux vers le don du Christ qui nous entraine, avec lui, vers la vie.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris