Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe pour le 50e anniversaire du décès de Georges Pompidou, Président de la République
Mardi 2 avril 2024 - Saint-Louis en l’Île (4e)
– octave de Pâques
- Ac, 2,36-41 ; Jn 20,11-18
En cet anniversaire du décès du président Georges Pompidou, que vous rappelez chaque année par cette eucharistie, nous sommes aux lendemains de Pâques et la messe comporte une forte tonalité pascale, joyeuse, remplie d’espérance. Dans les circonstances présentes, sur lesquelles pèsent de lourdes menaces pour la paix et la sécurité mondiales, il nous est bon d’avoir ce temps de recueillement et d’intériorité dont on aimerait faire profiter notre pays et davantage encore l’Europe et le monde tout entier.
En 1974, s’achevaient – on ne le savait pas encore – les années qui reçurent ensuite le titre des « Trente glorieuses ». Déjà s’annonçaient des années plus incertaines, tellement complexes, et pour certaines jusqu’à nos jours, très noires et violentes sur toute la surface de la planète. En 1974, ce 2 avril était encore dans le temps du Carême… mais quelle que soit la période liturgique de l’année, il nous faut sans cesse annoncer la résurrection du Christ, précédant la nôtre, et offrant aux croyants l’assurance qu’ils sont sans cesse portés par un amour qui les appelle à la vie plus forte, même au milieu des épreuves, et à la vie pour toujours auprès de Dieu, par-delà le dépouillement le plus extrême que représente la maladie la plus implacable et la mort qui peut être redoutée quand on la voit s’avancer ainsi, inéluctablement. Ce temps de Pâques soulève chez le croyant une vague immense de reconnaissance à Dieu, celle que décrit l’apôtre Pierre au jour de la Pentecôte, selon le Livre des Actes des Apôtres : « la promesse, dit-il, est pour vous, pour vos enfants et ceux qui sont loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. »
L’évangile de ce jour, tout empreint à la fois de la peine de la mort trois jours plus tôt du Seigneur et de la joie encore bien ténue et fragile de sa résurrection, rappelle aux croyants qu’il n’est pas nécessaire d’être entourés d’une nuée d’autres témoins pour commencer à annoncer cette nouvelle extraordinaire, qu’il n’est pas nécessaire d’être un homme doué d’une position sociale et d’une autorité incontestée pour annoncer cette nouvelle. Il suffit à une femme sans statut social d’être remplie de la confiance en Dieu le Père et en son Fils, son envoyé, pour affronter la peur de devenir témoin de cette puissance de vie qui désormais traverse le monde et peu à peu le change. Marie-Madeleine est la première d’une lignée innombrable.
Aujourd’hui, et comme vous le faites fidèlement depuis 50 ans, vous associez à cette fête pascale qui dure toute une octave selon la tradition liturgique, la mémoire du président Georges Pompidou. Il n’est pas dans mon propos de faire mention de la pensée ni de l’action politique de celui qui présida aux destinées de la France jusqu’au bout de sa vie, mais de continuer avec foi à faire mémoire de lui devant Dieu.
À lui aussi était posée la question du Christ ressuscité à Marie-Madeleine : « qui cherches-tu ? », qui fait écho à la question de Jésus à ses futurs premiers disciples au début du même évangile de Jean : « que cherchez-vous ? » C’est la question posée à l’humanité de toujours à toujours ; c’est la question posée à chaque homme et à chaque femme qui ne peut y répondre que de façon personnelle. Comme Marie Madeleine, tout disciple du Christ sait qu’il cherche la Vérité, malgré les larmes, malgré l’incompréhension qu’il rencontre, malgré les opinions savantes qu’il bouscule, toutes mieux établies les unes que les autres. Il a la ferme conviction qu’il n’y a de vie ni d’action qui vaille sans certitude d’agir en vérité. Aussi, faire mémoire d’un chrétien engagé en politique, jusque dans les plus hautes responsabilités de notre pays, nous conduit à considérer comment l’exercice du pouvoir doit alors se conjuguer avec les exigences d’une conscience vraiment libre ; vraiment libre car ouverte à ce questionnement même de l’Évangile du Christ qui, à tout moment, nous pose cette question « qui cherches-tu ? » en nous laissant toute liberté d’y répondre. Considérer comment Georges Pompidou a pu être fidèle à cette exigence est déjà une façon de lui rendre hommage.
Dans la pensée chrétienne, se mettre au service d’un pays, au service du bien commun, a aussi le sens du don. Ainsi que ses proches l’ont souligné, il a veillé au bien-être de la Nation comme à celui des siens. Ces derniers savent qu’« il était un personnage humain respectueux de ses engagements personnels et attentif, jusqu’à la compassion, à celles et ceux qui l’entouraient. » [1] Cette belle définition d’un service orienté très justement en direction de son prochain nous fait pleinement voir les raisons pour lesquelles l’Église sait trouver, dans l’action politique ainsi conduite, une des formes les plus élevées de la Charité.
Le souvenir de cet homme pour qui nous prions ce matin nous ramène pour quelques instants en ces années encore si proches de la Seconde Guerre mondiale où le bonheur, le simple bonheur de vivre, avait d’autant plus de prix que le monde entier avait craint d’en être définitivement privé. Ainsi, son fils, M. Alain Pompidou, a pu aussi confier que son père « était animé par la quête du bonheur ». [2] Familier aussi de la philosophie antique, Georges Pompidou savait combien ce bonheur était lié à des valeurs essentielles : « Mon idée, écrivait-il, est qu’en l’homme le meilleur toujours l’emporte sur le pire, dès lors que le cadre de vie qui lui est donné s’y prête et que les buts qui lui sont proposés répondent à ces aspirations peut-être non ressenties mais profondes vers la dignité, la solidarité et le dépassement de soi. ». [3] En affrontant la maladie tout en assumant jusqu’au bout ses devoirs, en regardant pleinement la mort en face, il a exprimé aux yeux de tous le sens de la dignité humaine. Qu’il repose donc en paix, ainsi que son épouse, et que son souvenir qui nous réunit aujourd’hui nous fasse méditer la leçon que chaque vie pleinement vécue est une vie de service, en quête d’amour et de vérité.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris.
[1] Alain POMPIDOU, « C’était Georges, mon père », Paris, Robert Laffont, 2023, P. 213.
[2] Ibid, p. 214.
[3] Ibid, p. 187, citation extraite de l’ouvrage de Georges Pompidou, « Le nœud gordien ».