Homélie de Mgr Laurent Ulrich – Messe à Saint-Denys du Saint-Sacrement
Dimanche 2 juin 2024 - Saint-Denys du Saint-Sacrement (3e)
« Accueillir ce don que le Christ nous fait ».
– Solennité du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ – Année B
- Ex 24,3-8 ; Ps 115, 12-13.15-18 ; He 9,11-15 ; Mc 14,12-16.22.26
Dans cette église qui porte le nom de saint Denis, et qui est aussi placée sous l’invocation du Saint-Sacrement, du Corps et du Sang du Seigneur, nous pouvons entendre avec grande force et grande assurance la parole qui vient d’être proclamée. La liturgie nous propose une succession de quatre textes qui nous ouvrent et nous fait passer habilement - comme dit la séquence Lauda Sion qui vient d’être chantée – de l’ordre ancien au nouveau. Nous passons de l’un à l’autre. Dans le Livre de l’Exode d’abord, au temps de Moïse, au milieu de l’errance du peuple de Dieu à la sortie d’Égypte, dans la nature, un autel est construit sur lequel on vient à sacrifier les animaux, comme un signe extérieur de la purification qui est obtenue par ce sacrifice. Sacrifice sanglant certes, sacrifice d’animaux, pour obtenir la sanctification du peuple de Dieu : il devient saint parce qu’il est aspergé par le sang de ce qui a été consacré à Dieu, par le sang de ce sacrifice qui a été offert à Dieu. Il faut se souvenir que ces sacrifices d’animaux avaient été dans la tradition biblique, dans la tradition hébraïque, préférés aux sacrifices humains qui se pratiquaient dans les religions alentour. C’est donc alors un progrès que ces sacrifices d’animaux qu’aujourd’hui on ne supporterait évidemment pas.
Et puis la Lettre aux Hébreux qui s’adresse à des Chrétiens, à des communautés chrétiennes récentes issues du Judaïsme, fait comprendre comment même ces sacrifices d’animaux ne sont plus supportables et surtout ne sont plus nécessaires. Voilà cet ordre nouveau dont, à l’instant, nous parlait la séquence Lauda Sion. Les sacrifices d’animaux ne sont que des signes extérieurs. Aujourd’hui il y a une réalité nouvelle qui nous est donnée : c’est le don que le Christ fait de lui-même. Le sacrifice qu’il fait de sa vie, il le fait librement, sachant qu’on veut lui enlever sa vie à cause de ce qu’il a dit et de ce qu’il a fait, à cause de Dieu son Père, qui l’a envoyé et qui s’est introduit au milieu de notre monde en bousculant ce monde, en l’invitant à être autre que ce qu’il est spontanément, en l’invitant à quitter toute violence, en l’invitant à offrir sa vie, s’offrir aux autres, s’offrir à Dieu : c’est ce que fait le Christ lui-même. C’est ce qu’il vient faire au milieu de nous.
Et l’Évangile, enfin, nous dit l’intention la plus profonde de Jésus en s’offrant. Tout ce qu’il a dit, tout ce qu’il a fait pour ses amis, pour ses disciples et pour le monde entier, le signe de Jésus c’est : « ma vie nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne pour le salut de la multitude ». Voilà le vrai signe : le don que Jésus fait de lui-même à son Père et à l’humanité tout entière, en commençant par ses disciples qui en seront désormais les témoins. Tout cela évidemment nous est bien connu, tout cela nous le comprenons et nous le savons, mais nous avons besoin encore une fois de l’approfondir.
Nous comprenons que tout ce que Jésus a dit et fait dans le temps de sa vie terrestre a été de se donner. Et il le fait, tel que l’évangéliste nous le rapporte, de quatre façons, avec quatre verbes d’action que Jésus effectue.
L’évangéliste dit : avec ses apôtres « Jésus prit le pain », le pain de sa vie, le pain de son corps, le pain de la nourriture, le pain fruit de la terre et du travail des hommes, comme nous le disons au début du temps de l’Eucharistie, dans la messe. Cela veut dire que Jésus prend toute notre vie, toute la sienne aussi, il prend cela dans ses mains et il veut que ce soit la matière la plus forte de l’offrande que nous faisons. Le pain, fruit de la terre, c’est normal, c’est bien, c’est beau, nous vivons grâce à cela, mais c’est aussi le travail des hommes qui transforme ce fruit de la terre pour en faire notre nourriture quotidienne. Jésus prend la vie humaine telle qu’elle est et il la présente.
Deuxièmement « il dit la bénédiction ». Et nous disons cela dans l’eucharistie. Cela veut dire que ce fruit de la terre et du travail des hommes nous ne l’aurions pas sans que Dieu nous l’aie donné, à la fois la nature, à la fois ce dont nous disposons, le fruit de la terre, et à la fois le travail des hommes. Tout cela est don de Dieu, tout cela n’existe que parce que Dieu l’a donné. Et voilà pourquoi nous le bénissons dans l’Eucharistie. Nous bénissons le don de Dieu qu’est notre propre vie, qu’est notre propre travail, qu’est la terre sur laquelle nous vivons. Nous ne pouvons pas offrir le Corps et le Sang du Christ sans penser à ce don premier de Dieu : nous lui rendons, nous le bénissons, ce pain, avec le Christ.
« Il le rompit. » C’est-à-dire que ce don de Dieu, ce don de la vie, ce don de sa vie, à lui le Christ, il accepte qu’il soit brisé, il accepte qu’il soit rompu, il accepte qu’il soit moulu. C’est important aussi : sa vie si belle, si bonne pour tous, elle est blessée, elle est mise à mort. Il l’accepte, il vit jusqu’au bout ce don de lui-même. Ce ne sont pas des mots, c’est vraiment une acceptation et un consentement au fait qu’on va le prendre, on va lui prendre sa vie, mais qu’il la donne avant qu’on la lui prenne. Il accepte que sa vie soit brisée, comme le pain rompu.
Et il donne ce pain parce que sa vie n’est pas faite pour lui : sa vie est faite pour être donnée à son Père et à nous. Voilà ce que nous comprenons, voilà ce que Jésus fait, voilà ce que nous célébrons dans l’Eucharistie, ce mystère étonnant, ce don extraordinaire qui nous est fait.
La fête du Saint-Sacrement, que l’on a appelée pendant un temps la Fête-Dieu, a été créée dans la liturgie de l’Église, au XIIIe siècle, à un moment où le peuple de Dieu s’éloignait beaucoup de la célébration des sacrements et de l’accueil des sacrements dans sa propre vie. Il y avait, semble-t-il, une faible participation à la messe, à la prière, et à la réception de l’Eucharistie. C’est arrivé souvent dans la vie de l’Église que les chrétiens se détournent de la vie sacramentelle. C’est arrivé, et c’est très dur pour l’annonce de l’Évangile, que la pratique des sacrements soit abandonnée, soit négligée, soit même presque méprisée dans un certain nombre de cas. Évidemment je ne le dis pas pour vous qui êtes là et qui pratiquez cela mais pour le monde dans lequel nous sommes, dans lequel tant de catholiques baptisés ont cessé de mettre leur foi dans ce don du Christ, dans ce partage de sa vie, dans ce don qu’il nous fait pour que nous allions ensemble sur le chemin qui mène au Seigneur pour la vie éternelle. Accueillir ce don que le Christ nous fait et tâcher d’en être les porteurs auprès de nos frères et sœurs en commençant par tous ceux qui ont oublié cela dans leur vie alors qu’ils avaient reçu le baptême.
C’est cela qui est demandé, c’est ce témoignage qui est demandé à chacun d’entre nous - que nous soyons ainsi porteurs de ce don - et c’est la raison pour laquelle il m’a paru juste et bon d’offrir à l’Église de Paris, au diocèse de Paris, ce retour sur la vie sacramentelle et cette proposition de catéchèse sur les sacrements pour l’année qui vient. Que nous redécouvrions la force de ce don du Christ à travers les sacrements. Que nous redécouvrions que c’est un don qu’il n’a pas fait il y a deux mille ans une fois pour toutes, et simplement pour ceux qui en furent les témoins directs, mais pour chaque génération du monde, pour chaque génération de chrétiens. Que nous redécouvrions la profondeur de ce don, c’est vraiment le souhait que je formule pour le diocèse de Paris, pour ceux qui ont l’habitude de participer à la vie sacramentelle et pour ceux qui en ont perdu l’habitude.
Que le Seigneur soit avec nous pour que nous redécouvrions ensemble ceci et que nous sachions en être des témoins joyeux, porteurs d’une étonnante Bonne Nouvelle : le Fils de Dieu s’est offert pour le salut de tous et les sacrements que nous recevons nous donnent la force d’en porter le témoignage.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris