Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à Saint-Germain l’Auxerrois
Dimanche 9 juin 2024 - Saint-Germain l’Auxerrois (1er)
« Un chemin de vraie liberté »
– 10e dimanche du Temps Ordinaire — Année B
- Gn 3, 9-15 ; Ps 129 (130), 1-2, 3-4, 5-6ab, 7bc-8 ; 2 Co 4, 13 – 5, 1 ; Mc 3, 20-35
Jésus attire à lui les foules. Après avoir circulé dans les villes et les villages de Galilée, il est revenu à la maison – cette maison, pour lui, c’est Capharnaüm. Au chapitre suivant, il ira à Nazareth et les choses se passeront mal avec ceux de sa famille probablement les plus proches. Et on découvre dans ce chapitre trois de l’évangile de saint Marc - dont nous ne sommes donc qu’au début – que même s’il y a foule autour de Jésus, il y a aussi beaucoup de critiques. Il y a aussi déjà beaucoup de gens qui commencent à se liguer contre lui. On remarque, dans le récit que nous venons d’entendre, que d’abord « les gens de chez lui » - donc les gens de Capharnaüm – ne sont pas contents, ont des observations à lui faire. Et ils disent entre eux : « il a perdu la tête ». Ce ne sont pas simplement les gens de chez lui, ce ne sont pas simplement les gens de Galilée, mais déjà les nouvelles se transmettent assez vite et, de Jérusalem, on s’inquiète de ce nouveau prédicateur. À Jérusalem il y a des scribes, il y a des hommes de la Loi, de la Loi de Dieu, de la Torah, il y a ces hommes qui veulent avoir le contrôle sur ce qui se dit ici et là, et quand arrive un nouveau prédicateur on l’observe, on le surveille. Et puis arrivent la mère et les frères de Jésus : étaient-ils déjà dans le groupe de ceux qu’on appelle les gens de chez lui ? En tout cas eux se tiennent à l’écart, ils n’entrent pas dans la maison. Peut-être ne veulent-ils pas être marqués par la mauvaise réputation que l’on fait déjà à Jésus ? Ils se tiennent à l’écart et le font appeler. Et probablement qu’ils ont des reproches à lui faire : « tu te montres trop, on parle trop de toi… ».
Mais qu’est-ce que Jésus a fait dans ces trois premiers chapitres de l’évangile de Marc ? Il a fait du bien, il a manifesté par des gestes la bienfaisance, la bienveillance de Dieu, il a guéri plusieurs fois. Il n’a pas beaucoup parlé jusqu’à présent, il a simplement accompagné les guérisons et les rencontres de quelques mots qui disent : « ta foi t’a sauvé, va en paix ». Peu de choses, d’une certaine façon, dès le début du ministère de Jésus, pourtant déjà une sorte de coalition des intérêts des uns et des autres pour empêcher Jésus de parler, et d’agir probablement. Pourtant il n’a fait que vouloir ce que Dieu son Père veut ; il n’a fait que vouloir le bien de ceux qui s’approchent de Dieu, de ceux qui se tournent vers lui et, de proche en proche, de tous ; il veut annoncer par les gestes et par la parole cette bienveillance de Dieu.
Alors nous comprenons bien que c’est difficile mais Jésus reste homme libre. C’est très beau d’avoir une famille, mais une famille cela peut aussi être le lieu du péché, cela peut aussi être le lieu de la trahison, ou le lieu de l’enfermement. Il n’est pas rare, depuis toujours, que des hommes et des femmes se sentent oppressés par l’atmosphère de leur famille, et déjà le Livre de la Genèse l’avait dit : « l’homme et la femme se détacheront de leur famille, ils s’attacheront l’un à l’autre et ils ne seront plus qu’un ». Mais aussi c’est le lieu du péché, comme on le voit aussi dans la Genèse, le lieu du mensonge : « ce n’est pas moi c’est elle, ce n’est pas moi c’est lui, le serpent ». Une famille c’est très beau mais cela peut empêcher la liberté d’annoncer à tous la liberté, le bonheur, la justice, la paix.
Être de quelque part – je pense aux gens de chez lui – cela arrive à tout le monde. Nous sommes bien nés quelque part, nous avons grandi quelque part mais nous ne sommes pas et nous ne pouvons pas être résumés à notre origine géographique, et au petit clan dont nous sommes nés. Être de quelque part c’est beau mais cela ne peut pas nous faire réserver la Bonne Nouvelle que nous avons entendue, restreindre la nouvelle de l’Évangile à nous seulement. Et puis être adepte d’une foi, d’une religion c’est très beau aussi, comme les scribes, accueillir la voix de Dieu, écouter la Parole de Dieu, tâcher de la mettre en pratique, et parfois l’organiser, tout cela est beau, mais cela peut aussi faire le lit de bien des violences au nom de la religion.
Or Jésus nous propose un chemin de vraie liberté. Liberté par rapport à ceux qui nous entourent : liberté dans nos vies de famille pour qu’elles soient porteuses et non pas enfermantes. Liberté dans l’exercice même de notre foi pour que cela ne soit pas simplement la récitation d’une doctrine que nous appliquons à tout le monde mais la source vive d’une spiritualité jaillissante et d’une charité. Jésus nous invite à être libres. Jésus montre le chemin de la liberté pour faire la volonté de Dieu et non pas la nôtre. Jésus nous invite à cela profondément. Regardons, contemplons Jésus libre : libre de ses origines, libre même de sa famille, si par hasard elle l’empêchait d’adorer Dieu et de l’aimer et de la faire aimer, libre pour annoncer l’Évangile à tous. L’Évangile n’est pas fait pour notre petit clan, pour notre famille simplement, pour nos proches, l’Évangile est fait pour tous.
Que cette parole entendue ce soir réveille en nous le désir de témoigner en action, en actes et en paroles de la liberté que Dieu veut pour tous les hommes à travers la Bonne Nouvelle de l’Évangile.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris