Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Ordinations sacerdotales à Saint-Sulpice

Samedi 29 juin 2024 - Saint-Sulpice (6e)

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– Solennité des saints Pierre et Paul

« Heureux es-tu, Simon, fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. Et moi, je te le déclare, : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » L’occasion nous est donnée aujourd’hui de fêter les apôtres Pierre et Paul, colonnes de l’Église, et c’était devenu une pratique courante que les ordinations presbytérales soient célébrées ce jour-là. C’est une joyeuse circonstance qui, cette année, fait coïncider ce samedi avec cette solennité. Les lectures du jour ne nous font pas oublier Paul, celui dont le ministère fut consacré à l’annonce du mystère du Christ aux nations, comme on le disait alors, c’est-à-dire ceux qui n’avaient jamais entendu parler du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, tandis que Pierre était davantage tourné vers les croyants juifs qui accueilleraient la parole du Christ. L’Église a en effet toujours considéré que l’annonce sans cesse redite aux fidèles et approfondie ne pouvait jamais être dissociée de la mission auprès de ceux qui ignorent tout de l’Évangile.

Et la parole de Dieu lie les destins de Pierre et Paul dans les difficultés mêmes du ministère. Nous avons entendu l’avertissement de Jésus à Pierre concernant l’Église : « la puissance de la mort ne l’emportera pas sur elle ». Cela signifie en creux que la puissance de la mort cherche et cherchera toujours à l’attaquer, à la faire taire, à la détourner de son objectif. Paul a été arraché, par la grâce de Dieu, à la gueule du lion et à tout ce que l’on a fait pour lui nuire ! Et Pierre a été aussi libéré des mains du roi Hérode, délivré de sa prison. Cela n’empêchera pas, finalement, que l’un et l’autre donneront le témoignage du martyre comme preuve suprême de leur amour pour le Christ ; mais leur mission aura porté son fruit. « Je suis déjà offert en sacrifice, j’ai mené le bon combat, j’ai gardé la foi », dit Paul. Et Pierre peut en dire autant !

Pierre et Paul sont des figures exceptionnelles, qui suscitent notre admiration et nous savons d’avance que nous n’égalerons pas leur destinée extraordinaire. Peu importe, ils nous sont donnés en modèles, en exemples de fidélité, de dévouement et de persévérance ; pour les six ordinands qui sont devant nous ce matin, ils représentent tout ce que l’on peut espérer de l’accomplissement quotidien de la mission à eux confiée par le Seigneur.

Côme, Vianney, Antoine, Louis-Marie, Jeimer et Henri, tout juste au seuil de ce ministère qu’ils reçoivent, savent qu’ils ont été choisis et appelés, l’un ou l’autre depuis très longtemps, dès l’enfance parfois, mais plutôt aux environs de la vie étudiante ; l’appel peut les avoir surpris, et quelquefois même ils y ont résisté ! Ils savent aussi que le petit nombre de ceux qui se présentent aux ordinations de diacre et de prêtre s’inscrit dans le contexte difficile d’une ignorance, d’une sorte de silence de Dieu dans la vie de nos contemporains et que ce sera la source de difficultés, de tentations d’abandon, d’incompréhensions de la part du monde qui les entoure – et nous-mêmes, évêques, prêtres, diacres, consacrés, baptisés en mission ou fidèles du Christ en faisons l’expérience quotidienne. Mais tout au cours de ces années de leur préparation, relisant même celles de l’enfance et de l’adolescence, ils ont appris que la fidélité du Seigneur est la plus forte. Ils savent qu’il existe une disproportion numérique insondable entre la vocation de chacun, et même au sein de leur groupe, et même au milieu du presbyterium dont ils font désormais partie, et même au sein d’une Église diocésaine vivante comme l’est celle de Paris, ils sont peu de chose dans l’immensité du monde indifférent à Dieu et éloigné de Lui qui pourtant ne cherche qu’à se rapprocher de chaque homme, de chaque femme.

Ils ont appris, et l’avenir le confirmera s’ils y consentent en profondeur, que c’est le Seigneur qui agit à travers eux et se fait connaître, de façon souvent inattendue non seulement dans le cercle de leurs plus proches, mais aussi au loin. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus dont nous commémorerons l’an prochain le centenaire de la canonisation, n’était guère sortie d’Alençon où elle était née, et jamais sortie de son carmel de Lisieux, et pourtant elle fut déclarée patronne des missions ! Parce que c’est le Seigneur lui-même qui donne une dimension universelle à l’action, même petite et ignorée de tous, de chacun de ceux et celles qu’Il envoie en mission.

Qu’elle est belle cette mission de baptisé ! Et, en ce jour, nous pouvons le dire vraiment : qu’il est beau le ministère de prêtre qui leur est confié !

Qu’il est beau en effet d’avoir un jour compris que tu as été entouré de l’amour de Dieu depuis ta naissance, ce que ton baptême a signifié et réalisé en toi depuis les débuts. Qu’il est beau d’avoir accueilli que dans la grâce de ce baptême un autre appel t’était aussi destiné pour faire résonner chez tant d’autres ce : « tu es aimé ! tellement aimé de Dieu ! »

Qu’il est beau ce ministère, déjà, vers lequel tu as marché, en découvrant la joie de la prière, de l’oraison toute tournée vers le Seigneur, en commençant à te familiariser avec l’Écriture biblique que l’on étudie et qui devient peu à peu le lieu où se découvre la Parole de Dieu, en pratiquant les sacrements avant de pouvoir les donner aux fidèles !

Qu’il est beau ce ministère que tu attends avec une immense joie : rendre visible dans l’eucharistie la présence tellement cachée du Christ qui donne sa vie pour la multitude. Le rendre visible dans le sacrifice de la messe, dans la personne même du ministre, dans le pain et le vin, dans la proclamation de sa parole, dans l’assemblée, sa prière et ses chants. Dans tous les sacrements, c’est bien le Christ qui par notre ministère agit dans le cœur des croyants et leur donne cet avant-goût de la liturgie céleste en présence de Dieu. [1] Qu’il est beau ce ministère du pardon et de la réconciliation auquel tu aspires aussi : tu y découvriras, bien plus grandes que les fautes et les péchés des pénitents la miséricorde infinie et la patience de Dieu qui désire les réintroduire au sein de la communauté des croyants et sur les chemins de l’espérance !

Qu’il est beau ce ministère à travers lequel se rendent visibles au quotidien toutes les attentions du Seigneur pour son peuple : pour les familles, pour les malades, pour les jeunes qui cherchent la voie de la vie bonne et sainte, pour les personnes qu’un handicap moteur, psychique ou social classe à l’écart des autres, pour les personnes en détresse ou dans la solitude, pour les paroissiens fidèles, pour les engagés et les militants, pour les humbles qui rendent des services inaperçus, pour ceux qui attendent des enseignements solides, pour les priants discrets, pour les pèlerins, pour les sédentaires qui connaissent tout le monde dans le quartier, pour les migrants, les exilés, les étrangers de passage, pour ceux qui pensent qu’on ne les connaît pas parce qu’ils ne vont pas à l’église !

En ai-je oublié de ces situations que Dieu connaît et rejoint ? Certainement – mais Dieu, lui, ne les a pas oubliées et il est probable que quelqu’un d’autre, poussé par l’Esprit les aura vues, les aura prises en charge avec d’autres cœurs ouverts, les aura même confiées au prêtre qui les aura alors accueillies et portées dans sa prière.

Qu’il est beau ce ministère où l’on enseigne pour soutenir la vie de foi des fidèles sans chercher à les attirer à soi, où l’on fait goûter les richesses de la Parole de Dieu et le bel équilibre de la doctrine catholique qui chante la louange du Seigneur en se préoccupant de la vie humaine, qui ne néglige pas les questions concrètes de l’existence humaine tout en se souciant de la maison commune et de l’avenir éternel en Dieu !
Qu’il est beau ce ministère où l’on encourage ceux qui servent leurs frères et sœurs avec délicatesse sans perdre de vue que « l’immense majorité des pauvres a une ouverture particulière à la foi ; ils ont besoin de Dieu et nous ne pouvons pas négliger de leur offrir son amitié, sa bénédiction, sa Parole, la célébration des Sacrements et la proposition d’un chemin de croissance et de maturation dans la foi. L’option préférentielle pour les pauvres doit se traduire principalement par une attention religieuse privilégiée et prioritaire. » [2] On aura reconnu ici le Pape François dans son premier texte majeur, La joie de l’Évangile.

Qu’il est beau ce ministère où l’on conduit le peuple de Dieu de la façon que l’apôtre Pierre recommande : « veillez sur lui, non par contrainte mais de plein gré, selon Dieu ; non par cupidité mais par dévouement ; non pas en commandant en maîtres à ceux qui vous sont confiés, mais en devenant les modèles du troupeau. » [3]

Qu’il est beau ce ministère où l’on prie de jour comme de nuit pour ceux que l’on rencontre et accompagne !

Qu’il est beau ce ministère de prêtre par lequel tout concourt à la croissance du peuple de Dieu, en nombre peut-être mais surtout en qualité fraternelle et en joie missionnaire.

Que ce ministère devienne pour chacun de vous six, comme pour nous qui allons vous imposer les mains en étant soutenus par la prière de tous ici, la source d’une joie profonde et le lieu de votre sanctification : Ainsi-soit-il !

+Laurent Ulrich, Archevêque de Paris

[1Voir Vatican II, Sacrosanctum Concilium, Constitution sur la sainte liturgie §7 et suiv.

[2Pape François, Evangelii Gaudium, 2013, §200.

[31 Pierre 5,2-3

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