Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe solennelle lors du pèlerinage en l’honneur de sainte Marie Madeleine en la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay

Lundi 22 juillet 2024 - Vézelay (Diocèse de Sens-Auxerre)

– Fête de la Sainte Madeleine

- Ct 3, 1-4 ; Ps 62 ; 2 Co 5, 14-17 ; Jn 20,1.11-18

La lecture de l’Évangile, la lecture des textes bibliques n’est pas simplement faite pour que nous emmagasinions des connaissances historiques, mais elle est faite pour que nous priions en regardant le Christ, en regardant les personnes qui sont autour du Christ, ce qu’elles disent et ce qu’elles font. Et quand nous entendons cette scène du vingtième chapitre de saint Jean nous regardons d’abord Marie Madeleine - c’est la première qu’il nous est donné de voir - et nous écoutons, et nous saisissons les verbes de ce texte qui donnent tant d’indications sur la façon de se situer devant Jésus. Elle se rend au tombeau, elle est sortie de chez elle pour aller retrouver celui qui a attiré son cœur. Elle se tient tout en pleurs devant le tombeau. Il n’est pas interdit aux disciples du Seigneur d’être en pleurs et en peine à cause de tant de situations que nous vivons, avec le sentiment qu’il n’est plus là. Elle se penche et elle interroge, voyant les anges : « Qu’avez-vous fait de lui ? Où est-il ? On l’a enlevé, il n’est plus là ». Que de fois nous sommes nous-mêmes intrigués ou ennuyés de ce que le Seigneur semble être loin de nous ! Et puis, voilà qu’on la voit, de différentes manières, chercher, interroger, pleurer, et se retourner. Voilà un verbe bien important pour comprendre l’attitude du disciple, du croyant, qui se retourne lorsqu’une présence à l’air de pouvoir attirer son attention. Elle se retourne et nous voyons - l’évangéliste nous le dit - Jésus, mais elle ne le reconnaît pas. Elle se retourne et, lui, il est là.

D’où vient-il ? L’évangéliste ne nous le dit pas, il est là, à côté d’elle, et il parle. C’est la parole qui va changer quelque chose dans l’attitude de Marie Madeleine. Et il l’interroge, il l’appelle, il l’appelle par son nom. Voilà qui change tout. S’étant retournée, le mot est utilisé une deuxième fois, elle ne cesse, à l’appel de Jésus, à la parole de Jésus, elle ne cesse de se retourner vers lui. Lui est là, il parle, il appelle, et se tient éloigné de toute mainmise sur lui. Voilà qui peut nous intriguer, mais nous comprenons. Il est là, mais on ne peut le saisir.

Il y a là quelques différences avec le premier texte que nous avons entendu, tiré du Cantique des Cantiques. La bien-aimée est là sur son lit, elle cherche son bien-aimé, elle ne le trouve pas, alors elle se met en action, elle se lève. Quand on veut faire quelque chose dans la vie de ce monde, quand on veut changer ce monde, on commence par se lever de sa couche, on commence par se mettre en action. Et elle cherche, et elle court dans la ville, elle court dans les rues à la recherche de celui qu’elle aime. Elle ne le trouve pas. N’est-elle pas comme Marie Madeleine dont nous venons de parler ? Elle interroge elle aussi les gardes, ceux qui gardent la ville, et puis elle le trouve, et elle veut le saisir, elle veut le ramener dans la chambre où elle-même a été conçue et où elle est née. Elle veut le garder pour elle. Quel dommage que la liturgie n’ait pas voulu nous donner aussi le verset suivant, la réponse du bien-aimé : « Ô filles de Jérusalem, ne réveillez pas l’amour avant qu’il ne soit temps. »

En effet, Jésus, est le bien-aimé : il est celui qui est à la source de l’amour, il est celui qui réveille l’amour, il est celui qui éveille en Marie Madeleine ce sentiment d’être connu, aimé, porté. C’est lui qui le fait. Un moine de l’époque médiévale dit : tes larmes, ton désir, ton amour (il parle de Marie Madeleine, il parle de la bien-aimée du cantique) c’est mon œuvre. C’est le Christ qui, en nous appelant, révèle en nous l’amour qui nous lie à lui et qui nous lie à son Père, qui nous fait grandir dans la force de l’Esprit Saint vers le désir, vers l’attirance du Ciel, l’attirance de l’amour, l’attirance du Père et du Fils qui agissent par leur Esprit commun dans le cœur des hommes.

Mais il ne faut pas vouloir le tenir, il ne faut pas vouloir le retenir. Ce que Jésus dit : « ne me retiens pas ». Bien sûr, l’amour nourri en Marie Madeleine est désormais tout tourné vers le Seigneur, un amour centré vers lui comme le dit la deuxième lecture que nous avons entendue : « Le Christ est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité ». Et pourtant Jésus ne retient pas l’amour pour lui, il ne cesse de dire à Marie Madeleine « ne me retiens pas… Va dire à tes frères que je vais vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ». Ne me retiens pas mais va dire à mes frères. L’amour que le Seigneur prend pour lui, l’amour de réponse que nous lui faisons, est centré sur lui en effet, mais lui le décentre sans cesse pour que nous allions vers nos frères. Il ne veut pas le garder pour lui mais le distribuer. S’il retient notre attention, s’il retient notre amour, s’il éveille notre amour c’est pour que nous allions vers nos frères. Elle va vers les disciples et leur dit : « J’ai vu le Seigneur ! »

Voilà la révélation, voilà comment elle est l’apôtre des apôtres. Voilà comment elle est l’apôtre pour nous, puisque les disciples qu’elle joint ce ne sont pas seulement les onze qui attendent quelque chose, qui n’ont rien vu jusqu’à présent. Pierre et le disciple que Jésus aimait sont bien allés au tombeau avec elle mais ils n’ont rien vu. Il faut que ce soit Marie Madeleine qui leur dise parce que Jésus l’a envoyée vers eux.

Alors nous comprenons que nous tournons nos regards vers Jésus, puisque nous aussi nous sommes de ceux à qui Marie Madeleine est envoyée. Elle a fait de grands voyages semble-t-il pour qu’elle soit ici à Vézelay, pour qu’elle ait été à Aigues-Mortes, pour qu’elle ait été à la Sainte-Baume. Elle a fait grand voyage et cela ne devrait pas nous étonner, l’Évangile est fait pour voyager, mais il ne voyage jamais tout seul, il voyage parce que des hommes et des femmes porteurs de cette Bonne Nouvelle eux-mêmes voyagent. Et donc c’est à nous que Marie Madeleine fait cette annonce extraordinaire. Nous sommes ceux à qui parle Marie Madeleine et à qui elle a dit : « J’ai vu le Seigneur ».

Si nous sommes ce matin dans cette église, dans cette basilique, c’est pour entendre de nouveau cette Parole à nous adressée. Et nous savons que tout tournés vers le Seigneur comme nous le sommes, tout tournés vers sa Parole que nous venons d’entendre, tout tournés vers l’Eucharistie que nous allons célébrer, centrés sur Lui, sur le don de sa vie, sa Parole, ses actions, sa souffrance, sa mort et sa résurrection, si nous sommes ainsi tout tournés vers lui c’est pour aller à la rencontre de nos frères. Tant d’hommes et de femmes depuis des siècles se sont ainsi tournés vers les plus pauvres pour les accueillir, vers les étrangers pour les introduire dans une société qui n’était pas la leur au départ, vers les enfants, les jeunes qu’il faut éduquer, vers les malades qu’il faut soigner ou accompagner jusqu’à l’heure de leur mort naturelle, vers tous ceux qui sont en recherche de lui. Tant d’hommes et de femmes depuis tant de siècles n’ont cessé d’avoir le regard tourné vers Jésus pour le tourner vers ceux qui attendent tout de lui.

Il nous est demandé aujourd’hui de vivre ce mystère d’un amour tout entier tourné vers le Seigneur et tout entier tourné vers les frères qui l’attendent.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

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