Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe pour le 75e anniversaire de la reconnaissance des apparitions à Notre-Dame de Beauraing
Jeudi 22 août 2024 - Beauraing (Belgique)
Mémoire de la Vierge Marie Reine
- Judith 13, 17-20 et 15, 9 ; Galates 4, 4-7 ; Luc 1, 26-38.
C’est par une femme qu’Israël est sauvé de la domination violente du voisin, l’empire d’Assour commandé par le brutal Holopherne : ces gens croient leur victoire assurée et Israël soumis, mais la victoire du mal et de la violence n’est jamais certaine ni définitive. C’est à Dieu que Judith attribue la force et le courage d’avoir lutté, d’avoir dominé sa peur.
C’est par une femme – dont l’apôtre ne précise pas le nom : nous le connaissons ! – que le Fils de Dieu nous a rejoints pour dévoiler et réaliser son plan de salut de ceux qui étaient soumis à la loi de Moïse – non pas que cette loi fût mauvaise, mais elle était encore appelée à se révéler davantage, il fallait que le Fils de Dieu vienne pour tous les hommes ; c’est l’acceptation de Marie qui a rendu le Fils de Dieu tellement l’un de nous. C’est grâce à elle que les humains peuvent dire à Dieu : Abba ! Père !
C’est par cette femme, Marie encore jeune fille, que le salut lui-même est entré dans le monde. Elle était toute craintive de ce qui lui arrivait, il lui fallait dominer sa peur, il lui fallait l’aide de Dieu Sauveur et de son Esprit Saint pour croire, pour accueillir : « Qu’il me soit fait selon ta parole ! »
Marie déjà a appris que rien n’est impossible à Dieu.
Quelle merveille que soit souligné, dans ces trois textes, le rôle décisif d’une femme dans le salut opéré par l’intermédiaire de Judith au bénéfice d’abord d’Israël, puis par la grâce faite à Marie au bénéfice de toutes les générations, grâce qu’elle chantera dans la seconde partie du récit de l’évangéliste Luc : le Magnificat.
Judith, c’est toute la foi d’Israël qui s’exprime en elle. Le peuple dit : « Béni sois-tu, toi notre Dieu qui as réduit à néant les ennemis du peuple ! » Et l’un des chefs ajoute : « Bénie sois-tu, ma fille, par le Dieu Très-Haut, plus que toutes les femmes de la terre… » Personne ne songe à attribuer à cette femme le mérite de l’action courageuse, mais à Dieu qui l’a inspirée et a donné à cette femme la force de l’accomplir.
Et ce qui arrive à Marie et à cause d’elle aussi est de même nature : c’est Dieu qui a envoyé son Fils né d’une femme, afin de racheter ceux qui étaient soumis à la Loi. C’est bien en germe le salut pour tous, et qui tenait à un fil, si l’on ose dire, le fil de sa réponse positive à l’appel du Seigneur. Toute la foi d’Israël est aussi exprimée ici, et elle nous est transmise : nous sommes des héritiers, nous sommes reconnus comme des fils et des filles de Dieu, appelés au salut par Lui et par l’intermédiaire de femmes et d’hommes – humbles comme Judith, humbles comme Marie.
La Vierge Marie continue son chemin, au long des siècles, à s’exprimer avec humilité à d’humbles personnes, la plupart du temps à des enfants : à La Salette (1846), à Lourdes (1858), à Pontmain (1871), ici même en 1932-33 et à Banneux tout proche quelques jours plus tard. Des personnes qui ne se rengorgeront pas d’une telle grâce qui leur est faite, qui savent bien qu’elles n’y sont pour rien et que c’est le choix de Marie, le désir de Dieu de faire connaître ainsi son œuvre.
Et voici qu’en ce jour où nous fêtons le 75ème anniversaire du pèlerinage en ce lieu, nous le marquons en cette célébration annuelle de la Vierge Marie Reine, une semaine après la solennité de l’Assomption. En effet, les litanies de la Vierge l’invoquent tour à tour comme Mère, Vierge, miroir de la justice et trône de la Sagesse, comme maison d’or et arche d’alliance ; mais aussi comme Reine : reine des anges, des patriarches, des prophètes, des apôtres, des martyrs, des confesseurs, des vierges et de tous les saints. Et pour finir, Reine de la paix. Ici spécialement, elle est dite : reine des cieux.
Déjà saint Bernard, bien avant la composition de ces litanies au 15e siècle, l’appelait Vierge royale et humble !
Certes elle est notre reine, puisque nous faisons partie de ce peuple où il y a les prophètes, les apôtres et tous les saints, puisque nous sommes, malgré nos faiblesses, appelés à la sainteté ! Mais si elle est notre reine, reine dans les cieux, c’est pour être notre avocate auprès de son Fils pour que règne partout la paix.
La paix dans notre cœur d’abord : parce que nous ne pouvons pas vivre dans l’inquiétude permanente ! Je n’ai pas dit que nous ayons la capacité d’éliminer de nos vies toute forme de souci. Il y a bien des choses difficiles à vivre dans notre quotidien : des soucis pour notre entourage, pour vos enfants et petits-enfants, pour l’avenir proche ou plus lointain, des soucis de santé, d’emploi. Des soucis de sécurité aussi dans nos sociétés trop violentes, ou trop informées des violences qui sévissent un peu partout dans le monde : l’angoisse de l’insécurité se nourrit souvent d’informations pas toujours vérifiées. Mais Marie nous encourage à ne pas perdre confiance dans le Seigneur qui donne force et patience, persévérance et charité.
La paix dans nos familles : Dieu sait qu’il y a des vies de familles très désunies, remplies de jalousies, de violences, de mensonges ; il n’est pas nécessaire d’insister. Mais Marie ne cesse de tourner nos regards vers son Fils, le Prince de la Paix, celui qui a détruit le mur de la haine.
La paix dans nos sociétés : de beaucoup de peuples on dit qu’ils sont divisés, fracturés. Et cela semble être une constante de l’époque actuelle : des écarts de richesse, des sentiments de domination de classe, de sexe et de genre, voire de religion constituent des germes de violences qui paraissent indépassables. Mais Marie rappelle toujours que nous sommes des fils et des filles dans l’unique Fils de Dieu, son fils à elle ; c’est-à-dire que nous sommes des frères et des sœurs, appelés à constituer une unique famille humaine où l’on prend soin les uns des autres, où l’on prend soin de la même terre que nous habitons tous.
La paix dans l’Église, déjà dans notre Église. Elle est en train de changer, son centre de gravité n’est plus dans nos pays occidentaux ; cela ne veut pas dire que la foi n’a plus d’avenir chez nous. Il nous faut certes comprendre ce qui se passe dans les autres nations, dites du sud, du point de vue religieux et chrétien ; mais il nous faut aussi accueillir la situation que nous vivons comme un nouvel appel. Marie nous confie aussi ce temps : dans le silence elle fait monter en nous une prière incessante pour la vie du monde et de l’Église.
Que ce soit à Lourdes ou à Beauraing, elle demande qu’on construise une chapelle qui deviendra vite une grande basilique pour accueillir des pèlerins de partout. C’est-à-dire qu’elle demande que nous regardions sans cesse son Fils, que nous ayons à cœur de demander la paix pour tous. C’est urgent, c’est indispensable, c’est permanent. Nous ne venons pas ici pour l’invoquer pour nos seules affaires personnelles, même si c’est légitime de le faire. Mais nous venons ici pour porter, à travers elle, notre prière vers le Seigneur, le Prince de la paix : en nous-mêmes, entre nous et nos proches, à l’intérieur d’une même nation, entre les peuples – et nous voyons bien dans nos sociétés comment les peuples d’origines diverses composent aujourd’hui les nations contemporaines ; nous venons prier pour l’Église qui cherche son chemin – n’oublions pas le synode qui va entrer dans quelques semaines dans sa seconde session : c’est une belle intention de prière pour nous dans les deux mois à venir. N’oublions pas non plus l’attention aux vocations dans l’Église, toutes les vocations : laïques, religieuses, consacrées, sacerdotales et diaconales. C’est le Seigneur qui en a besoin et qui appelle, ne ralentissons pas l’élan de l’Église à se renouveler pour chaque génération.
Certes nous confions au Seigneur par la Vierge Marie nos intentions de prière, mais nous n’oublions pas – avant ces intentions, mais aussi après les avoir présentées ! – de rendre grâce pour les dons qui nous réjouissent. Le don de la joie qui habite notre cœur lorsqu’il est dans la confiance ; le don du bonheur de voir s’épanouir les familles et grandir des enfants qui deviennent des femmes et des hommes responsables ; le don de la fraternité qui se développe, grâce par exemple à l’esprit sportif et olympique, la fraternité que nous appelons « amitié sociale » ; le don de la beauté de l’Église quand elle est remplie d’esprit de louange et de courage missionnaire. Oui, action de grâce pour cela, toujours avec Marie, Reine des cieux.
Vierge Marie, apparue ici à cinq jeunes, humbles témoins de ta beauté et de la miséricorde du Père, nous rendons grâce à Dieu pour son œuvre en vous, pour votre attention discrète et permanente auprès de chacun, pour votre écoute des besoins de notre monde ; Vierge Marie, Reine de la paix, priez pour nous, priez avec nous, encouragez-nous à prier avec vous pour la paix qui commence en chacun de nous et se répand jusqu’aux limites du monde !
+ Laurent Ulrich, archevêque de Paris.