Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à Saint-Germain l’Auxerrois

Dimanche 29 septembre 2024 - Saint-Germain l’Auxerrois (1er)

– 26e Dimanche du Temps ordinaire – Année B

- Nb 11, 25-29 ; Ps 18B,8.10.12-14 ; Jc 5,1-6 ; Mc 9,38-43.45.47-48

Nous avons tout à fait le droit d’être, ce soir, comme les disciples qui disent au Seigneur, à un certain moment de l’Évangile : « cette parole est bien dure à entendre. » Tout ce que nous venons d’entendre, dans les trois lectures de ce dimanche, est bien difficile à accueillir.

Accueillir d’abord le jugement de Moïse sur ceux qui prophétisent en-dehors du camp et pas au milieu des autres, et son exclamation : « ah si tout le peuple était vraiment prophète », prophète de l’amour de Dieu, bien sûr. C’est comme si Moïse était impatient, face à son peuple qui est plutôt rétif devant sa mission, devant sa situation de peuple choisi, de membre d’un peuple choisi pour annoncer les merveilles de Dieu. Être prophète, pour Moïse, cela veut dire être témoin de l’amour inconditionnel de Dieu pour nous : et donc de l’amour absolu de chacun d’entre nous pour Dieu et du respect total des autres, du respect de la Création dans laquelle nous vivons et du respect des hommes et des femmes qui nous entourent, des hommes et des femmes qui viennent à nous, des hommes et des femmes – aujourd’hui nous pouvons le dire – qui viennent d’ailleurs parce qu’ils ne pouvaient plus vivre chez eux.

Entendre ensuite la lettre de saint Jacques qui dit : « Malheur à vous les riches, votre or et vos richesses sont pourris. Vous mettez votre confiance dans quelque chose qui ne dure pas. Vous vous trompez dans votre façon d’être à l’égard des autres, que vous oubliez, que vous ne regardez pas, que vous méprisez. » Cette lettre de saint Jacques, que nous avons lue pendant quelques dimanches, elle est rude d’un bout à l’autre et elle provoque les croyants à un sursaut d’attention, de charité, de justice à l’égard de tous, à un sursaut d’attention et de fraternité universelle sans condition. Peut-être pouvons-nous être émus devant tant de jugements rudes.

Et le jugement de Jésus dans l’Évangile n’est pas moins difficile. Il nous invite à nous défaire de nous-même, à nous déshabituer d’être dans un certain confort de pensée, dans un certain confort d’action, sans jugement sur nous-même, sans regarder ce que nous faisons et sur le scandale que cela peut causer autour de nous. Il nous invite à nous défaire de ce que nous possédons, de ce que nous sommes, pour être tout à Lui, tout à Dieu son Père. Nous savons bien que c’est difficile d’entrer dans cette démarche de dépossession de nous-même pour être totalement disponible aux autres et à Dieu notre Père.

Comment pouvons-nous entendre ces phrases et ces jugements qui nous paraissent s’adresser à nous et nous juger nous-mêmes avec une certaine raideur et dureté ?

Aujourd’hui c’est, comme je le disais en commençant, la Journée mondiale de prière pour le migrant et le réfugié. Et c’est une occasion de s’interroger. Cette journée n’est pas une invention récente de l’Église, elle a été créée en 1914 par le Pape Benoît XV qui avait déjà remarqué que la guerre qui commençait était une terrible occasion de migration et qu’il fallait accueillir ceux que la guerre déplaçait par nécessité. Et il y eut ensuite beaucoup d’autres occasions de comprendre que le monde dans lequel nous sommes, et dans lequel nous entrions dans cette époque contemporaine, allait être davantage encore que les précédents marqué par la migration. Ce n’est pas un phénomène nouveau. C’est un phénomène très ancien que celui-ci d’aller chercher ailleurs que là où on est né la possibilité de vivre. Mais cela s’est accentué dans la période moderne. Et, dès 1914, le pape avait estimé qu’il fallait créer une intention particulière de prière pour les réfugiés et les migrants à accueillir, qui ne cesseraient d’être plus nombreux au fur et à mesure du siècle et jusqu’à aujourd’hui. Pendant la guerre de 1914-1918, il y a eu ce génocide des Arméniens et des Assyro-chaldéens, qui a provoqué des migrations qui sont arrivées jusqu’à nous et bien d’autres ensuite.

Le thème que le pape a donné pour cette Journée c’est : « Dieu marche avec son peuple. » Nous croyons effectivement que Dieu marche avec nous qui sommes réunis dans l’Église, mais le pape dit, bien plus, que Dieu marche avec son peuple qui est tout le monde, et par conséquent à la fois le migrant, le réfugié, le pauvre, le déshérité, l’oublié. C’est une invitation forte à découvrir, dans celui qui cherche à vivre et qui cherche des conditions de vie meilleures, quelqu’un qui est là avec le Seigneur : dans sa rencontre il y a la présence du Seigneur. Voilà ce que nous comprenons : « Dieu marche avec son peuple. »

Alors ce n’est pas forcément si simple, mais grâce aux différentes associations qui portent ce souci et, particulièrement aujourd’hui, le Service jésuite des réfugiés qui veille à accueillir, accompagner, protéger et intégrer, nous pouvons peut-être nous demander comment nous allons pouvoir changer de regard. Il faut certainement d’abord nous dire qu’on peut extraire de nos bouches et de nos pensées les jugements tout faits sur les personnes migrantes et réfugiées, qu’elles ne peuvent être les boucs-émissaires de l’augmentation des criminalités, chacun le sait, même si c’est un langage devenu courant. Changer de regard, changer de parole, changer de pensée pour tous ceux qui ont le malheur de devoir quitter leur terre, parler d’eux autrement, c’est déjà une conversion très importante que nous pouvons réaliser.

La deuxième chose que nous pourrions faire, c’est de participer d’une façon ou d’une autre – chacun choisit sa façon de participer – à cette œuvre entreprise par un certain nombre d’associations qui accueillent, qui accompagnent, qui veillent à protéger, et qui visent à intégrer dans une nouvelle société des personnes que le voyage a rendues plus vulnérables. Ici à Paris, vous savez, la Maison Bakhita, inaugurée il y a trois ans, a déjà beaucoup accueilli et permis à des hommes et à des femmes réfugiés de grandir au milieu de nous et de trouver peu à peu une place. Elle est faite pour les accueillir surtout dans les premiers temps, pour les aider à trouver une place, les aider à parler mieux français, les aider à s’insérer, à faire toutes les démarches qui les conduiront peut-être, et nous l’espérons, et ils l’espèrent fortement, à être mieux intégrés.

Et puis la troisième façon d’être, c’est de mieux connaître une personne ou l’autre qui est dans cette situation, découvrir l’histoire qu’elle a vécue, comprendre que Dieu a marché avec elle comme avec nous.

Voilà tant de possibilités qui nous sont offertes de manifester notre conversion sur ce point et d’entendre les paroles du Christ avec joie et non pas avec crainte de comprendre qu’il nous porte à laisser transformer notre regard, notre conscience, notre pensée, notre action quotidienne.

Que le Seigneur nous en donne chaque jour et à chaque fois qu’il est nécessaire, la force et l’intelligence.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

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