Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Ordinations de six diacres permanents à Saint-Sulpice

Samedi 28 septembre 2024 - Saint-Sulpice (6e)

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- Ac 8,26-40 ; Ps 1 ; Mt 20,17-28

Le mot « diacre » signifie serviteur et, bien sûr, c’est la raison pour laquelle vous avez choisi cet évangile de saint Matthieu, bien connu : « Le Fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir. » Il s’agit toujours du Christ qui se fait comme le premier des serviteurs, comme le plus humble qui est descendu d’auprès du Père pour être au milieu de nous, non pas comme un roi triomphant mais comme un serviteur humble. Nous comprenons bien sûr cette parole et nous savons que c’est par imitation de Jésus-Christ que nous tous, comme baptisés, nous tous comme disciples du Christ, nous voulons devenir aussi des serviteurs des autres. Et ceux qui sont aujourd’hui choisis le sont pour que nous n’oubliions jamais que, dans notre baptême, est inscrite cette transformation de nous-même. Nous ne sommes jamais au service de nous-même mais au service des autres à l’imitation du Sauveur qui est et qui s’est fait lui-même serviteur : « Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur », dit encore Jésus avant de parler de lui-même.

Il nous invite ainsi à vivre cela et il invite les diacres à être des témoins de ce service devant tous, pour que ceux qui sont baptisés, qui désirent être disciples du Sauveur, se mettent au service les uns des autres, se mettent au service des plus humbles, des plus pauvres, des plus oubliés.

Je crois que nous avons compris, depuis la restauration du diaconat dans l’Église latine, au moment du Concile de Vatican II, que cette dimension de la vie chrétienne était de plus en plus soulignée. Non pas qu’elle ait été oubliée à quelqu’époque de l’histoire, mais aujourd’hui le rappel nous en est fait par l’existence des diacres qui incarnent cette vertu profonde que le Seigneur nous demande de vivre et de suivre avec son aide et la force de son Esprit.

Alors il y faut un peu de méthode, il y faut un peu d’exercice, la vie chrétienne est toujours exercice des vertus, et voilà que l’autre texte que vous avez choisi, ce récit de la conversion du serviteur de la reine d’Éthiopie, qui vous a beaucoup marqués je le sais, ce texte-là donne quelques aspects que je voudrais souligner de cet exercice qui nous est sans cesse demandé pour apprendre. Parce que ce n’est pas facile, ce n’est pas spontané : comment être serviteur des autres dans la Parole, dans les sacrements et dans la vie quotidienne de serviteur ?

Vous avez d’abord entendu cette invitation de l’Esprit de Dieu qui s’adresse à Philippe, celui que l’on met parmi les sept diacres de l’Église. Même si la formule doit être un peu modulée. Et voilà que ce Philippe, qui a été choisi pour servir, doit se mettre en marche. C’est la première chose. Vous vous êtes mis en marche quand on vous a appelés, chers frères et amis. Se mettre en marche en direction du sud, pour prendre la route qui va de Jérusalem à Gaza, évidemment ces deux noms de villes nous sont familiers et aujourd’hui à cause de la souffrance que vivent tant de personnes dans ce pays, dans cette Terre Sainte que nous aimons. C’est une façon simplement d’ouvrir notre cœur à l’instant, à la souffrance de ceux qui sont là-bas. Mais de cette route il est dit, curieusement, qu’elle est déserte. J’ai souvent médité sur cet aspect de l’invitation qui est faite à Philippe d’aller sur une route déserte, pour y rencontrer quelqu’un probablement, mais la route est déserte. C’est une impression que nous pouvons avoir très souvent, dans le monde d’aujourd’hui, que nous ne trouvons pas nos interlocuteurs, nous allons dans des endroits où la terre qui pourrait porter la semence de l’Évangile est un peu un désert. Nous avons peut-être le sentiment que dans la société d’aujourd’hui il n’y a pas grand-chose à faire pour ouvrir nos frères et nos sœurs à la grâce de Dieu. Nous pouvons avoir le sentiment d’un certain vide spirituel qui laisse notre époque dans le vide, dans le désert. Et c’est pourtant là qu’il faut aller, c’est pourtant là qu’on va trouver un interlocuteur, c’est là que l’on va trouver quelqu’un à faire grandir dans sa propre expérience. Et c’est ce qui se passe, dans ce désert nous sommes invités à voir ce que Dieu voit, c’est-à-dire un peuple pour lui. C’est aussi ce que saint Paul découvre quand le Seigneur l’envoie et lui demande d’accomplir sa mission au milieu d’une ville qui est difficile à convertir, il lui dit : « J’ai un peuple nombreux dans cette ville. » Eh bien il y a un peuple nombreux pour l’annonce de l’Évangile, quoique nous pensions, quoique nous analysions les situations dans lesquelles nous sommes. N’oublions pas, jamais, que le service du Seigneur nous envoie parfois dans des lieux surprenants, dans des lieux où nous nous demandons pourquoi nous allons. Mais c’est pourtant là qu’il se trouve, et c’est là qu’il se trouve dans le cœur de ceux que nous rencontrons. D’ailleurs, celui qu’il rencontre était venu à Jérusalem pour adorer. Peut-être n’y avait-il rien d’extérieur qui permettait de le reconnaître comme un adorateur du Seigneur ? Ce texte est pris par nos frères éthiopiens comme l’origine de leur propre Église, l’origine apostolique du Christianisme en Éthiopie, et ce n’est pas rien. En Éthiopie, les chrétiens sont fiers d’avoir cette origine dans la période apostolique.

Un peu plus loin, nous voyons que Philippe est invité non seulement à aller sur la route mais à courir pour attraper le char. Parfois les hommes et les femmes vers lesquels nous sommes envoyés nous paraissent loin, il faut aller les rattraper, il faut courir, il faut changer de culture, il faut ouvrir ses oreilles et être capable de discerner la demande que le Seigneur met dans le cœur d’un homme, d’une femme, d’un groupe humain auquel nous nous adressons. Il faut se changer soi-même, il faut soi-même se rendre disponible, être de plus en plus proche. Et puis, la surprise c’est que l’homme duquel Philippe va se rapprocher est en train de lire les Écritures, les mêmes que lui-même connaît. Avec cette question toute simple : « Comprends-tu ce que tu lis ? » Et il faut que le serviteur de la reine lui dise : « Non, j’ai besoin que quelqu’un m’explique. » C’est un des mystères auxquels nous sommes confrontés sans cesse. Il s’agit de servir, je ne l’oublie pas, vous ne l’oubliez pas, il s’agit donc d’agir pour faire du bien. Aimer c’est faire quelque chose en faisant du bien, et ceci a besoin d’être rapporté au Christ, ceci n’est pas de la pure philanthropie, du simple service pour tirer d’affaire ceux qui sont en difficulté. Il s’agit de le faire au nom du Christ. Il s’agit de révéler que ce n’est pas nous qui faisons du bien mais que c’est le Christ toujours qui agit dans le cœur, dans la vie des hommes et des femmes qu’il aime. Il s’agit de montrer que le chemin sur lequel nous marchons nous achemine avec le Christ vers Dieu notre Père.

C’est ainsi que nous avançons et que les diacres, et tous les ministres de l’Église, et tous les témoins baptisés peuvent faire un chemin avec les autres, non pas en leur nom propre mais toujours en se rapportant au Christ.

Alors, ensuite, il y a la scène du baptême. On peut dire, eu égard aux exigences actuelles du catéchuménat, qu’elles sont plus fortes, et cela parce que la vie dans laquelle nous sommes aujourd’hui est complexe. Et puis parce que la découverte du Christ est assez lente et longue, même s’il y a comme une espèce d’éclair et j’allais dire de coup de foudre pour lui. Une fois qu’on a entendu parler de lui, on a besoin d’apprendre de lui. Et donc il y a ce baptême vécu immédiatement après l’annonce. Les diacres sont faits pour baptiser, et cela n’est pas extérieur à leur ordination, à leur fonction, ils sont bel et bien faits pour conduire jusqu’au baptême et ils le font volontiers, je le sais. C’est une part de leur ministère qui donne sens à l’ordination qu’ils reçoivent aujourd’hui. Il s’agit en effet de permettre à ceux que l’on a aidés un moment sur le chemin, de recevoir la plénitude de la grâce du Christ. Puisque ce n’est pas le diacre qui se met en valeur dans ce chemin mais toujours le Christ qui est servi.

D’ailleurs, juste après, l’Esprit s’empresse d’emporter Philippe loin de la vue du serviteur qu’il vient de baptiser. Jamais nous ne gardons pour nous-mêmes la joie de ce qui est arrivé à quelqu’un sur le chemin de la rencontre du Christ. C’est celui qui l’a rencontré qui devient à son tour serviteur de la Parole, qui devient à son tour témoin de ce qui lui est arrivé, et cela le remplit de joie comme cela remplit de joie le diacre, le serviteur, l’annonciateur, le traducteur d’une certaine façon.

Que le Seigneur ne nous fasse jamais oublier, à chacun d’entre nous, la leçon de ce récit qui est un récit de conversion mais aussi un récit de mission.

Que le Seigneur, chers amis, vous en donne toujours la force.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

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