Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe de rentrée des aumôneries et soignants à Saint-Joseph des Carmes
Vendredi 18 octobre 2024 - Saint-Joseph des Carmes (6e)
– Fête de Saint-Luc, évangéliste
- 2 Tm 4,10-17b ; Ps 144 (145), 10-11, 12-13ab, 17-18 ; Lc 10,1-9
Je suis frappé, en lisant cet évangile, par ces deux notations successives : « la moisson est abondante et les ouvriers peu nombreux ». On en a tiré une habitude de prier pour les vocations : « priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à la moisson. Mais on oublie en général de comprendre que Jésus a bien dit qu’il n’y en aurait jamais assez : nous manquerons toujours de ministres et de serviteurs de l’Évangile pour annoncer la Bonne Nouvelle. Nous ne pouvons pas imaginer que servir l’Évangile soit une position confortable dans laquelle nous aurions tout ce qu’il nous faut pour cela. Ne l’oublions jamais. D’autant qu’il est dit dans la phrase suivante : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. » Ce que je vous fais faire, ce que je vous invite à faire, ce que je vous demande de faire, est difficile, n’en soyez pas surpris. Et voilà pourquoi il recommande à la fois de tenir bon dans les difficultés, et en même temps d’être prudents. « Ne saluez personne en chemin » et ne passez pas de maison en maison : ne vous mettez pas dans des risques que vous ne sauriez pas accueillir, vous êtes chargés d’annoncer le plus et le mieux possible mais pas dans une agitation fébrile, pas dans une démonstration d’aller absolument partout. Il est simplement nécessaire que vous allumiez le feu là où vous pouvez, là où vous êtes, et que vous soyez capables de nourrir ce feu là où vous êtes, d’entretenir donc ceux à qui l’Évangile est annoncé, de les entretenir dans cet amour de l’Évangile. Que vous soyez capables d’aller, dans le sens de ce qui est dit à la fin de la première lecture : « Il m’a rempli de force pour que la proclamation de l’Évangile s’accomplisse jusqu’au bout et toutes les nations l’entendent. » Ou bien dans l’Évangile, à la dernière phrase : « Dites-leur : le règne de Dieu s’est approché de vous. »
Ceci nous indique quelque chose de très fort. Les difficultés font pour ainsi dire partie du métier. Les oppositions, les trahisons, les gens qui nous quittent, vous l’avez entendu dans la première lecture : « Démas m’a abandonné par amour de ce monde. » Cela signifie : il y en a qui, sur le chemin, nous quittent ; et puis on en envoie ailleurs, ils ne sont plus avec nous, ils sont partis pour la mission ; et donc cela fait un peu moins de monde avec moi-même ; Luc est seul avec moi ; et puis amène-moi Marc, ce sera bien pour remplacer le précédent, Crescent, qui est parti pour la Galatie ; et puis j’ai envoyé Tychique ; et cette note amusante : j’ai oublié mon manteau ; « Apporte-moi aussi mes livres » ; et puis enfin : « Alexandre, le forgeron, m’a fait beaucoup de mal. » Voilà les difficultés. Elles nous font penser que chaque jour nous sommes affrontés à des choses que nous n’avions pas prévues, qui sont du quotidien le plus quotidien, qui manifestent que l’Évangile suscite de l’opposition, qui font comprendre que si l’on veut agir il y a forcément des difficultés qui s’adjoignent et des obstacles qui se mettent sur le chemin, sur la route, et que c’est, d’une certaine façon, normal. Mais l’Évangile de toute façon est annoncé puisque, par le seul fait que nous sommes envoyés par le Seigneur, l’Évangile est annoncé ; par le seul fait que nous nous mettons en route à la rencontre de ceux à qui il est destiné, l’Évangile est annoncé. Parce que nous avons répondu à un appel, et, bien sûr, pour vous c’est très clair : j’ai reconnu parmi vous quelques-uns à qui j’ai donné mission la semaine dernière. C’est très clair que vous avez été envoyés, que c’est le Seigneur qui vous a envoyés et qui vous envoie jour après jour. Il ne vous promet pas que cela est facile mais il vous dit que, parce que vous avez répondu, l’Évangile du Royaume, l’Évangile du règne de Dieu, est adressé.
Et ensuite c’est l’affaire du Seigneur de transformer cette parole, cet engagement que vous avez, que nous avons, de la transformer en foi active dans le cœur de qui la recevra, en charité inventive et en espérance forte, persévérante.
Voilà ce que Luc nous permet de comprendre. Il n’oublie jamais de nous dire, comme je l’ai dit au début, la bonté, la beauté de l’Évangile qui le fait désirer par le cœur de l’homme. Mais Luc est un homme concret, un homme qui sait ce que veut dire se donner du mal pour l’Évangile, un homme qui sait que les circonstances ne sont jamais très favorables à l’annonce de l’Évangile mais que la joie de le porter ne peut pas s’arrêter et qu’elle nous encourage. Parce que, jour après jour, vous en faites, j’en suis bien sûr, l’expérience, jour après jour cette joie demeure tout simplement. Parce que vous allez à la rencontre de ceux que le Seigneur aime, parce que vous éprouvez du bonheur à dire l’Évangile, parce que vous savez vraiment que pour ceux que vous approchez et qui sont dans la souffrance, dans la difficulté, dans l’inquiétude, parfois dans l’angoisse, le règne de Dieu est proche d’eux… pouvoir le dire, pouvoir le voir dans les yeux de ceux que vous rencontrez, c’est là votre récompense, c’est là ce que le Seigneur vous offre pour continuer le chemin.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris