Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Veillée pour la vie en la cathédrale Notre-Dame
Mercredi 21 mai 2025 - Notre-Dame (4e)
– Revoir la veillée et voir l’album-photos.
– Mt 7,24-29
– Et trois témoignages
Commenter ce soir cette allégorie de Jésus qui décrit la solidité de la maison sur le roc, c’est d’abord se laisser interpeler par les témoignages que nous avons entendus.
François, le charpentier, le restaurateur de monuments historiques, sait qu’il a rebâti, avec les compagnons de son entreprise et les 2000 intervenants à Notre-Dame, avec fraternité, humilité et goût de pratiquer et transmettre les règles de l’art : le voici fondé sur la force d’une histoire, d’une tradition, d’une joie de construire, d’une communauté de vie, d’une foi et d’une espérance.
Le jeune catéchumène, Melvin, avec son accompagnatrice, s’appuie sur la Parole de Dieu, reçue, aimée, partagée ; et plus simplement encore sur Dieu qui ne cesse de lui donner ce qui le fait vivre, qui se donne lui-même et l’éclaire. C’est une expérience qui se partage entre les catéchumènes si nombreux qui se pressent désormais aux portes de l’Église. Tant et tant nous disent que dans le vide spirituel de notre époque ils ont ressenti réellement une présence qui les a sortis d’une solitude, d’une errance désordonnée et vaine dans l’existence.
Et Anne, la maman de Donatien et Camille qui accompagne Louis-Marie son deuxième garçon jusqu’au seuil de la mort assumée, acceptée au terme d’une évolution dégénérative, enveloppée de l’amitié de l’entourage, mais aussi de sa paix et de sa joie à lui, l’enfant malade. Le roc c’est le Seigneur qui se montre et se révèle au long du chemin. Oh ! le Seigneur n’était pas aperçu du premier coup d’œil au cœur de cette maladie invalidante et terriblement invasive ; mais comme au long des veilles de la nuit où Il attendait ses disciples partis à la pêche, sans se faire remarquer d’eux, Il était là, prêt à se révéler vivant, actif, aimant.
Aussi, au décours de la vie de notre société, nous comprenons qu’il y a de vrais appels, des découragements et un vrai désespoir devant les douleurs des maladies, des catastrophes naturelles ou non, et de l’approche de la mort. Mais nous ne pouvons pas, sans réagir, laisser dire que l’espérance, pour notre société réside dans ce que l’on veut appeler un progrès, celui prétendu d’une mort douce et choisie. Le pape François, c’était à Marseille, avait parlé de l’illusion d’une mort douce, mais en réalité plus amère que l’eau de la mer où ont péri tant de marins, tant de migrants.
C’est en tordant le sens des mots qu’on veut faire accepter cette perspective : appeler mort naturelle, celle qui résultera du geste volontaire qui l’aura provoquée. Appeler aide fraternelle le geste qui tue ou la parole qui y conduit. Invoquer un droit à mourir alors que la mort est un fait inéluctable. Désigner une période comme fin de vie sur des critères impossibles à définir. Ajouter un délit d’entrave à ce droit à mourir ; alors que pendant des décennies et encore aujourd’hui on multiplie les règles de la conduite des véhicules pour éviter les accidents mortels sur la route, ou encore pour protéger nos frères et nos sœurs des gestes désespérés et suicidaires.
Commencer par dire que cette possibilité de demander la mort ne s’appliquerait que dans quelques rares cas de maladies incurables et provoquant des souffrances et des angoisses, pour avouer finalement que c’est un droit qui sera en réalité peu encadré.
Le grand rabbin de France a eu bien raison d’écrire récemment et de citer le philosophe : « On ne peut pas défendre le suicide assisté comme moindre mal, car Paul Ricœur a déjà tranché la question éthique qui se pose : “Jamais la sagesse pratique ne saurait consentir à transformer en règle l’exception à la règle. Encore moins devrait-on légiférer dans un domaine où la responsabilité de choix déchirant ne saurait être allégée par la loi.” » (Le Monde, 14 mai 2025).
Nous ne sommes certes pas les seuls, nous croyants, nous catholiques, à nous interroger de cette façon, à nous demander quel est l’avenir qui est dessiné pour nous ! Nous entendons la voix des médecins et des soignants qui disent que le serment qu’ils prêtent ne les incline pas à accepter de telles pratiques. La mort donnée n’est pas, ne peut pas être un soin. Des juristes aussi pensent que l’équilibre législatif des lois précédentes insuffisamment connues et appliquées sera bien rompu. Et puis ceux qui sont proches des plus pauvres, des plus fragiles de notre société imaginent déjà que ceux-ci seront les premiers à s’estimer de trop, les premiers à se laisser persuader que leur vie ne vaut pas qu’on les laisse vivre dès qu’ils seront âgés, malades.
Comment notre société va-t-elle gérer toutes ces contradictions, ces contre-vérités, ces faux-semblants d’humanisme ?
Sinon en n’appelant plus les choses par leur nom. Ne serait-ce pas le goût de vivre qui aurait disparu ? Ne serait-ce pas l’espérance que l’on voudrait cacher ?
Au contraire nous prétendons que l’espérance n’est pas morte, nous croyons que l’amitié qui tend la main pour vivre jusqu’à la consommation de la vie entretient la paix et même la joie de celui qui meurt comme de celui qui l’accompagne.
Oui, notre société est bien inquiète, mais nous ne pouvons nous résoudre à penser qu’elle puisse calmer son inquiétude en s’offrant cette fausse perspective.
Puisque nous sommes ce soir dans un moment de prière partagée, d’intercession devant le Seigneur qui est notre roc, Celui sur qui nous bâtissons, à son initiative et avec Lui, notre vie pour partager son amour et son don pour toujours, n’hésitons pas à Lui présenter ce qui habite nos cœurs !
Pour ceux qui sont dans les angoisses de l’approche de la mort, et de sa solitude.
Pour ceux qui dans la paix se préparent à la rencontre avec le Seigneur.
Pour ceux qui jour après jour accompagnent fraternellement les grands malades et les mourants.
Pour ceux qui ont la responsabilité de légiférer, et ceux qui éclairent les consciences.
Seigneur, Toi qui es la lumière dans les ténèbres, Toi qui es le roc solide dans les incertitudes, toi qui es le guide dans les aléas de l’existence, fais que nous restions, au milieu des contradictions que nous rencontrons sur le chemin, lucides et libres pour vivre et agir selon ton dessein bienveillant.
+Laurent Ulrich,
archevêque de Paris