Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à Saint-Merry

Dimanche 2 novembre 2025 - Saint-Merry (4e)

– Commémoration des défunts

- Is 25, 6-10 ; Ps 26, 1 Th 4,13-18 ; Mt 25,31-46

C’est assez rare que l’on célèbre la commémoration des fidèles défunts un dimanche, mais cela vaut la peine que, régulièrement quand même, du fait de l’avancée des jours dans les années successives, cela arrive de temps en temps. Pour le vivre, et pour vivre bien ce dimanche qui est toujours fête de la Résurrection mais en même temps cette commémoration des fidèles défunts, nous avons entendu à l’instant l’apôtre Paul s’adresser à l’une des premières communautés chrétiennes et lui dire : « Nous ne voulons pas vous laisser dans l’ignorance au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort ; il ne faut pas que vous soyez abattus comme les autres qui n’ont pas d’espérance. » Il est normal que dans les communautés, au début de l’ère chrétienne, les apôtres, les évangélisateurs, les catéchistes de toutes sortes et les responsables d’Églises aient eu besoin d’expliquer au peuple de Dieu, au peuple chrétien, ce que la résurrection de Jésus changeait dans leur propre vie et dans le sens et la signification de la mort.

La mort, depuis que Jésus est ressuscité, n’est plus la fin de tout, nous le croyons. Elle n’est pas non plus une sorte de mise à l’écart et d’hibernation de ceux qui ont vécu sur la terre, mais elle est un passage, elle est une ouverture, elle annonce que ce que nous avons vécu, les relations que nous avons tissées tout au cours de notre vie, les joies et les espoirs qui nous ont habités, autant que les peines, les douleurs, les angoisses de la vie humaine, sont transformés. Ce que nous avons vécu dans la lumière du Christ et dans la lumière de sa résurrection vient éclore dans une nouvelle vie, dans une vie plus exactement transformée. Ce n’est pas la fin de tout mais la transformation de la vie humaine qui s’annonce depuis la résurrection de Jésus et qui nous emmène tout au cours de notre existence et nous prépare à cette rencontre avec le Seigneur, à cette rencontre qui change tout, qui illumine nos existences dès maintenant et les illuminera pour l’éternité.

Je crois bien que, dans les temps que nous vivons, il demeure encore nécessaire de redire une chose pareille. Les temps que nous vivons sont marqués par un matérialisme complet de l’existence, c’est-à-dire que l’existence se résume à ce que nous vivons jour après jour et aux constructions que nous sommes capables de faire pour l’améliorer, et nous voyons bien que souvent cela n’améliore pas la vie de tous. Eh bien, dans ce monde-là, il est nécessaire de dire que ce que nous construisons dans l’amour durera pour toujours dans l’amour et la lumière de Dieu, sera transformé et fera que notre vie n’aura pas servi à rien. Notre vie n’aura pas servi qu’à nous, notre vie ouverte aux autres aura servi à tous. Ce que le Christ est venu faire au milieu de nous, c’est en effet nous ouvrir à cette joie qui fait que nous n’avons pas simplement à profiter de l’existence mais que nous avons à construire quelque chose de durable, sous le regard de Dieu.

Bien sûr cette espérance-là a déjà trouvé sa source dans ce que l’on appelle l’Ancien Testament, la Première Alliance, et la prédication des prophètes. Par exemple celle d’Isaïe que nous avons entendue tout à l’heure, qui montre que l’avenir qui nous attend, l’avenir que le Seigneur veut pour nous, il l’imagine comme une sorte de grand banquet, comme un grand banquet final où tout le monde sera heureux d’être ensemble. Alors je passe sur les viandes grasses - qui ne sont pas spécialement appréciées dans notre époque hygiéniste ! - mais je retiens simplement cette invitation à croire que ce qui fait notre bonheur c’est la relation avec tous, c’est la relation avec ceux qui souffrent, c’est la relation avec ceux qui ont du mal à vivre et qui, par notre amitié, peuvent continuer à le faire avec espérance, avec joie et dans la paix du cœur : ceux qui souffrent ne sont pas tout seuls, mais nous nous préparons, en vivant avec eux, à vivre cette avenir éternel.

Et puis l’évangile qui nous est bien connu, l’évangile du jugement dernier qui a été tellement représenté sur les tympans de nombreuses églises au cours des siècles et dans bien d’autres formes de représentations, cet évangile nous le dit : ce qui nous jugera à la fin de notre existence, c’est la qualité de notre amour, non pas simplement l’amour de ceux qui spontanément nous aiment et que spontanément nous aimons, mais l’amour partagé le plus largement possible, l’amour pour tous ceux à qui les sociétés normalement ne font pas tellement attention, les mettant au contraire à l’écart.

Voilà ce que nous avons à dire, à enseigner et à faire comprendre par toute notre vie dans le monde où nous vivons, dans la société qui est la nôtre. De siècle en siècle, de culture en culture, d’époque en époque, il est nécessaire de redire ce langage de la foi chrétienne, non pas pour que tout le monde y croie automatiquement, mais pour dire ce que nous portons, pour dire que la vie qui nous a été donnée ne nous sera pas retirée mais que dans cette vie nous pouvons vivre une espérance formidable d’être un jour réconciliés les uns avec les autres, d’être un jour rapprochés définitivement et que, dans la vie que nous menons, nous pouvons déjà le faire, l’essayer et le vivre. Avec parfois des hésitations, des craintes, des peurs, mais nous pouvons le vivre et c’est cela qui comptera au terme de notre vie.

Dans cette paroisse Saint-Merry, vous l’avez rappelé à l’entrée de cette célébration, dans cette église et dans ce quartier, l’Église a cherché depuis longtemps, de bien des façons et les plus adaptées à chaque époque, à être un signe, un vecteur de cette amitié, de cette fraternité partagée avec le plus grand nombre, avec les plus pauvres, avec ceux qui sont dans la rue, avec les migrants : nous rappellerons tout à l’heure, dans la prière commune, ceux qui, parmi-eux, sont décédés au cours de cette année, et que vous n’oubliez pas parce que vous les connaissez et les connaissiez, parce que vous avez tissé des liens avec eux. Parce que vous avez cherché à vivre ce que l’évangile et les lectures d’aujourd’hui nous rappellent et nous disent avec force et conviction. Il est nécessaire que nous nous disions que ceux qui sont les plus pauvres, ceux qui sont dans la rue, ceux qui ont le sentiment d’être isolés ne sont pas seuls, qu’ils ne sont pas oubliés, que leur vie, leur façon d’être, leur relation avec les autres, est capable de susciter l’amitié et de donner de l’amitié. Il n’y a pas d’un côté les plus pauvres que l’on vient aider et ceux qui sont moins dans le besoin qui ont le devoir d’aider, mais il y a une fraternité à construire les uns avec les autres qui fait que chacun se sent davantage aimé en se mettant en relation avec les autres. Chacun se sent davantage aidé. Vous qui êtes ici et ceux qui ne franchissent pas toujours la porte de l’église spontanément mais qui peuvent s’y sentir accueillis, nous sommes un seul peuple, nous sommes ceux que Dieu aime et nous sommes ceux qui s’aiment à cause de l’amour de Dieu, à cause de cet amour qui commence ici, qui nous est révélé et qui s’accomplira définitivement dans son royaume, dans sa paix et dans sa lumière.

Voilà ce que vous cherchez à vivre ici, voilà ce que les communautés chrétiennes sont invitées à vivre sans cesse, comme un signe d’une amitié que Dieu a pour tout homme. Alors j’ai envie simplement de conclure comme l’a fait saint Paul dans sa Lettre aux Thessaloniciens : « Réconfortez-vous les uns les autres avec ce que je viens de dire. » C’est saint Paul qui le dit mais volontiers je vous le dis aussi.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

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