Intervention du Cardinal André Vingt-Trois pour le lancement du livre “Notre-Dame de Paris, la grâce d’une cathédrale”
Cathédrale Notre-Dame de Paris – Samedi 6 octobre 2012
Mesdames et Messieurs,
Comme archevêque de Paris, je voudrais exprimer ma reconnaissance très chaleureuse, à Mgr Joseph Doré, qui a eu la simplicité de recevoir cette mission de faire connaître un certain nombre de cathédrales de France, aux Éditions de La Nuée Bleue. C’est un chantier considérable, et évidemment ma reconnaissance toute particulière va à chacune et à chacun de ceux qui ont collaboré comme auteur à la réalisation du livre que nous vous présentons aujourd’hui sur Notre-Dame de Paris.
Le premier mérite de ce livre, c’est de nous rappeler que la cathédrale Notre-Dame de Paris est un patrimoine, c’est-à-dire un bien reçu des générations qui nous ont précédés depuis huit siècles et demi.
C’est un patrimoine ecclésial, parce que c’est un monument de la foi construit pour la foi et par la foi, et en vue de célébrer la foi au Christ. C’est donc un patrimoine d’Église très cher à notre cœur puisqu’à partir de l’église-mère du diocèse, comme dans chaque diocèse, c’est un symbole de la communion ecclésiale qui est dressé et il se trouve qu’à Paris la cathédrale est dressée à l’endroit le plus symbolique, sur l’Ile de la Cité, c’est-à-dire au cœur même de la ville.
C’est aussi un patrimoine urbain car la cathédrale Notre-Dame de Paris a été un élément structurant non seulement de l’aménagement urbain alentour mais aussi d’un certain nombre de repères qui servent à s’orienter d’abord dans la ville de Paris et ensuite dans le monde.
C’est un patrimoine national puisqu’au cours des siècles, la cathédrale Notre-Dame de Paris a été le lieu où se sont déroulés des événements marquants de l’histoire de notre pays, traduisant l’expression de la foi, l’action de grâce, ou encore la supplication du peuple français, jusque dans sa réalité de République laïque.
Un patrimoine, il faut le recevoir ! Et nous savons qu’aujourd’hui la réception du patrimoine chrétien de notre pays n’est pas une chose évidente… Un certain nombre de nos contemporains refusent d’admettre que la foi chrétienne a joué un rôle déterminant, non seulement dans la construction du pays, mais dans l’élaboration de sa culture, et ils pensent qu’en s’affranchissant de ce qu’ils ont appelé quelques fois ses racines chrétiennes, ils peuvent se libérer de leur dette à l’égard de la foi chrétienne. Il faut donc déjà reconnaître ce patrimoine, et la cathédrale Notre-Dame de Paris -comme beaucoup d’autres à travers notre pays- est un témoignage irrécusable de l’enracinement chrétien de notre pays et de sa culture. Il faut donc le recevoir, mais encore essayer de le connaître et de le comprendre. Nous avons hérité d’un écrin dans lequel quantité de messages ont été disposés au cours des âges, et en particulier dans la période de la construction. Très naturellement, beaucoup de nos contemporains ignorent totalement ces messages et leur signification. L’investissement humain et spirituel qui a présidé à la construction de la cathédrale, la science et le savoir-faire qui se sont alliés pour réaliser cet édifice, ne paraissent pas au premier coup d’œil. Il n’est pas utile de connaître les recettes pour déguster une bonne cuisine ! On est très heureux d’admirer un monument magnifique, mais sa réalisation nous échappe souvent. La partie historique du livre que nous vous présentons nous permet d’entrer dans cette lente élaboration et dans la conception, non seulement architecturale, mais dans la traduction architecturale de la conception spirituelle des auteurs qui ont contribué à la construction de cette cathédrale.
Mais un patrimoine n’est pas fait pour être simplement conservé et oublié dans le rayon des souvenirs, il est fait pour être « investi », il est fait pour être engagé dans une action d’avenir. Ce patrimoine reçu, nous essayons de le comprendre, nous essayons aussi de le vivre comme une chance offerte à nous, chrétiens du XXIe siècle, comme une promesse à l’égard de nos successeurs.
La cathédrale Notre-Dame de Paris rassemble dans un même courant et une même mobilité, un flux ininterrompu de visiteurs français et étrangers, touristes, curieux, croyants, pèlerins, toute une cohorte d’hommes et de femmes du monde entier qui viennent ici, et qui sont, je l’espère, saisis par le fait qu’ils ne visitent pas un mausolée mais une maison habitée. Pour nous croyants, il va de soi que cette maison est habitée par Dieu, éminemment et sacramentellement présent, mais aussi une maison habitée par les chrétiens qui la font vivre. Nous ne pourrions rien comprendre à Notre-Dame de Paris si nous faisions abstraction de cette vitalité intense dont elle est le lieu et l’actrice. Ce matin-même, j’ai célébré ici l’ordination de diacres permanents pour le diocèse de Paris devant une cathédrale pleine et cela manifestait très exactement que cette maison était la maison du diocèse, la maison de l’Église qui est à Paris, le signe de la communion des chrétiens du diocèse de Paris.
C’est donc avec beaucoup de reconnaissance que j’accueille cette présentation du patrimoine historique qu’est la cathédrale de Paris, mais aussi avec le sentiment que ce patrimoine constitue pour nous une mission et une exigence. Cette mission c’est de garder vivante la cathédrale Notre-Dame de Paris et la seule manière de la garder vivante, c’est de la faire vivre pour sa finalité propre : être le lieu de la célébration de la foi. C’est aussi une exigence pour l’archevêque que je suis, comme pour tous les chrétiens du diocèse de Paris, de reconnaître dans cette maison leur lieu d’identité. Pour nous, évêques, prêtres et diacres du diocèse, nous qui avons été ordonnés dans cette cathédrale, nous y avons reçu notre consécration au service de l’Église, et chaque année ici même, l’archevêque consacre les huiles qui vont servir à la célébration des sacrements dans la multitude des paroisses parisiennes, si bien que la vie sacramentelle vécue dans chaque paroisse est mystérieusement en communion avec la vie de la cathédrale. C’est également à la cathédrale que nous accueillons les nouveaux chrétiens pour l’appel décisif au cours duquel ils sont reçus dans l’Église.
Il y aurait beaucoup d’autres manifestations à évoquer. Je voudrais simplement pour terminer, vous rappeler la fondation au XIXe siècle des conférences de Carême sous l’impulsion du Père Lacordaire et leur influence pour des générations non seulement de chrétiens mais aussi de non-croyants. Ces conférences de Carême étaient l’occasion d’accéder à divers aspects de la pensée de l’Église. Ces conférences relayées par la radio nous ont donné et nous donnent encore la possibilité d’exprimer au cœur d’une société médiatisée quelque chose de la mission centrale de la cathédrale dans le pays et dans la culture, et je ne compte pas – parce que je ne le sais pas – le nombre d’hommes et de femmes pour qui ces conférences ont été l’occasion d’une prise de conscience et parfois d’une conversion.
Je voudrais évoquer, évidemment, le souvenir de la conversion de Paul Claudel qui était, pardonnez-moi l’expression, une banalité pour les personnes de ma génération, mais qui devient une curiosité historique pour un certain nombre de nos contemporains. Ils ont à peine entendu le nom de Paul Claudel et qui ne savent pas qu’il a pu se convertir un jour au pied d’un pilier de Notre-Dame !
Je désirerais évoquer aussi, avec reconnaissance, la mémoire du cardinal Jean-Marie Lustiger, qui repose ici dans le caveau des archevêques. Les raisons d’évoquer la mémoire du cardinal Lustiger sont nombreuses – il a une personnalité assez riche pour nourrir plusieurs apologies – mais en l’occurrence, maintenant, je souhaite évoquer sa mémoire en raison de la vigueur, de la conviction, de la persévérance avec lesquelles il s’est investi pour le développement du rayonnement de la cathédrale, participant lui-même personnellement à beaucoup d’événements ici même et soutenant avec la vigueur que nous lui connaissions toutes les occasions de mettre en valeur sa cathédrale, non pas comme un trophée personnel, mais comme un instrument de sa mission, et nous savons que les vingt-quatre ans de son service épiscopal à Paris ont marqué une évolution profonde dans le développement de l’activité et de la vitalité de notre cathédrale.
Enfin, je voudrais rappeler avec reconnaissance les visites plus ou moins récentes, du Pape Jean-Paul II dans cette cathédrale en 1980 et plus récemment au moment des Journées Mondiales de la Jeunesse en 1997, ainsi que la visite du Pape Benoît XVI en 2008. Chaque fois leur présence et leurs interventions ont été des moments très forts non seulement pour les participants qui ont eu le privilège d’en être les témoins, mais encore pour tous ceux qui les ont vus ou entendus à travers les médias.
Je vous remercie, je suis très touché de penser que, grâce à ce livre, le rayonnement de Notre-Dame de Paris ne se réduira pas aux photographies prises au hasard, mais sera désormais mieux documenté à travers le monde. Et surtout je me réjouis que les chrétiens, soucieux de faire des cadeaux édifiants à leurs proches, puissent profiter de cette occasion pour resserrer des liens d’amitié avec ceux qu’ils connaissent, qu’ils aiment, ou qu’ils ont oublié, et peut être avec les générations de leurs enfants, ou de leurs petits-enfants qui ont besoin de grandir sans ignorer que Notre-Dame de Paris est au cœur de la France.
Merci.
+ André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris.