Intervention du cardinal André Vingt-Trois lors de l’hommage de Paris à Elie Wiesel
Hôtel de Ville de Paris – Lundi 11 juillet 2016
Elie Wiesel était un des rares survivants de la Shoah qui a affronté avec force le défi de parler et de témoigner sur l’expérience qu’il avait vécue, expérience impensable et qui touchait à l’indicible. Plongé dans la folie de la mort absolue, il en est ressorti avec la conviction que ce qui avait été conçu comme le moyen d’exterminer les juifs était devenu paradoxalement porteur d’un message pour les juifs, mais aussi pour l’humanité entière. Cette confrontation à la mort ne l’a pas entraîné dans le désespoir personnel ni dans la désespérance sur l’avenir de l’humanité. Elle s’est transmuée en mission. Il a voulu continuer le dialogue avec Dieu. Comme il lui arrivait de dire : « Malgré l’horreur, je n’ai jamais renié Dieu. », ou « ce n’est pas à moi de divorcer d’avec Dieu ».
Sa méditation sur la tradition juive a rejoint la mission universelle du Peuple élu : devenir une « lumière des nations » pour reprendre la citation du prophète Isaïe (49,3). Il nous donnait ainsi une clé d’interprétation de l’enjeu universel de l’antisémitisme : en cherchant à détruire le Peuple élu, Hitler frappait l’humanité toute entière dans la promesse de l’Alliance dont Israël est porteur. L’enjeu n’est pas seulement l’agression d’une communauté particulière. Il est une menace pour tout homme. L’antisémitisme n’est pas une simple éruption de racisme ou de xénophobie. C’est un attentat contre l’humanité et donc c’est un déni de Dieu.
De même que l’antisémitisme blesse l’humanité entière, pour Elie Wiesel, chaque blessure de la dignité humaine blesse le peuple juif dans son identité. C’est pourquoi son engagement au cours des soixante-dix années écoulées assume la dimension universelle de l’antisémitisme en luttant contre toutes les atteintes aux droits de l’homme. Il en a fait une sentinelle des violations de la liberté et de la dignité humaine dans tous les peuples du monde.
Avec sa Fondation pour l’humanité, il menait un combat contre un seul véritable ennemi : la haine. Il combattait pour la paix, mais la paix pour tous : Juifs et Palestiniens, Arméniens, Tustsi, Roms, Indiens du Nicaragua, et tant d’autres que l’on pourrait citer. De sa confrontation à l’enfer il a rapporté un devoir perpétuel de vigilance et de combat. Il avait intégré une horreur de la neutralité, et même de l’indifférence. Je voudrais rapporter cette phrase dans son discours au moment où il a reçu le Prix Nobel de la paix, phrase qui devrait éclairer bien des comportements ambigus : « Nous devons toujours prendre parti. La neutralité aide l’oppresseur, jamais la victime. Le silence encourage le persécuteur, jamais le persécuté. »
Je vous remercie.
Cardinal André VINGT-TROIS
Archevêque de Paris
Le 11 juillet 2016.