Intervention du père Antoine-Louis de Laigue - Rencontre diocésaine des équipes de préparation au mariage (prêtres, diacres, fidèles)
Samedi 30 septembre 2017 à Notre-Dame de Grâce de Passy.
Permanences et changements dans la PAM
Résumé du texte de l’archevêque proposé : Les futurs mariés sont les acteurs de leur préparation ; il s’agit donc pour la communauté locale de susciter et d’accompagner un dynamisme conjugal à partir ce qu’ils sont.
Trente années de pratique comme prêtre, cela donne matière à réflexion. Je perçois des réalités permanentes et des changements. D’un point de vue personnel, ma manière d’accompagner a évolué. Voici quelques points, loin d’être exhaustifs.
Il me semble d’abord que les couples qui se présentent aujourd’hui sont davantage conscients de faire un choix de vie qui les distingue de leurs contemporains – collègues, amis, famille aussi parfois ; ce choix ne va pas de soi. Le temps de la préparation leur permet donc d’approfondir et d’éprouver les motifs qui les conduisent cependant à vouloir se marier, et se marier à l’Eglise.
Sans doute constatons-nous une grande variété de profils, humains et chrétiens – pour autant que nous recevions « ceux qui se présentent ». Mais j’ai constaté très vite, et cela demeure un trait caractéristique, un manque de vocabulaire pour parler humainement et chrétiennement de ce qu’ils vivent ou voudraient vivre. Le manque de vocabulaire traduit souvent une expérience chrétienne ancienne, limitée ou défaillante, mais il indique aussi une compréhension parcellaire de ce que sont les relations humaines.
Au vu de mon expérience, la proportion de futurs mariés qui vivent déjà ensemble est toujours largement majoritaire – même si la part de ceux qui ne vivent pas ensemble est plus importante qu’il y a trente ans. Première observation : le temps de préparation met en évidence le fait que les futurs mariés ne se sont jamais véritablement parlés, ils ne se connaissent pas profondément. A la fin du parcours, ils expriment souvent leur reconnaissance d’avoir été aidés à traiter ensemble des sujets qu’ils n’avaient jamais abordés ou qu’ils avaient seulement effleurés. Seconde observation : il est nécessaire que les futurs mariés, vivant ensemble, prennent conscience que leur mariage va changer quelque chose dans leur manière d’être en relation l’un avec l’autre. La vie conjugale et familiale envisagée n’est pas seulement un « prolongement naturel » de leur vie commune, même si le projet s’enracine aussi dans cette vie commune.
Enfin, s’ils viennent, c’est qu’ils ont une certaine connaissance de l’Eglise ; mais leur expérience ecclésiale est ancienne ou lointaine – provinciale pour beaucoup ; elle n’a pas été actualisée parce qu’ils n’ont pas trouvé l’église, parce que la vie professionnelle et urbaine les emporte dans son rythme ininterrompu, parce que plein de choses. De l’Eglise ils disent, ou pensent implicitement, ce qu’en disent les médias.
Au début, je me suis lancé, un peu en franc-tireur. Il me vient à l’esprit que j’étais inconscient, avec l’assurance paradoxale des débutants. J’ai accompagné seul, avec le recours au CPM pour que les futurs mariés aient l’occasion de rencontrer d’autres futurs mariés et des couples mariés. Mais le point décisif porte sur la mise en œuvre d’un travail commun en paroisse : comment donner de quoi avancer pour que la décision des futurs soit éclairée ; nous avons ainsi partagé nos manières d’accueillir et d’accompagner, nous avons élaboré une formule paroissiale de session ; et nous continuons à Notre-Dame de Grâce ce que j’avais commencé à Saint-Christophe de Javel. Ce travail commun auquel nous avons associé des couples mariés est certainement heureux et essentiel pour porter cette mission – comme pour d’autres dimensions de la vie pastorale et apostolique.
L’extrait soumis à notre lecture souligne deux aspects, qui confirment le travail accompli et le stimule.
Rejoindre, s’adapter pour faire cheminer. Cette préoccupation traverse Amoris lætitia. C’est une disposition qui a toujours été présente à mon esprit, en raison de ma formation et de mon premier ministère à la Maison Saint-Augustin, même si je ne suis pas toujours habile à la mettre en œuvre – mais cette restriction tombe sous le sens. Cette préoccupation désigne une double disposition pastorale de fond : la capacité à écouter, à percevoir, à renvoyer des questions, à maîtriser le désir légitime de donner des réponses – même parfaitement calibrée pour nos interlocuteurs ; la conscience que la liberté humaine incarnée grandit, qu’elle n’est pas donnée parfaite en ses commencements, ni en ses développement d’ailleurs, que sa grandeur est de pouvoir ainsi aller à son terme – éclairée, soutenue, guidée.
Mais cette préoccupation inclut précisément la conscience claire d’un terme, d’un but identifiable – au moins pour nous -, d’un but qui ne stérilise pas le progrès possible ou ne barre toute possibilité d’évolution. Le chemin vaut en raison du but, sinon, il y aurait errance, errance commune, mais errance et jamais plénitude, même entrevue et désirée. Sur le terme, je vais revenir, mais pour accompagner ainsi, il est nécessaire d’avoir conscience et d’entretenir la conscience que le Christ est bien celui qui chemine avec nous – comme sur la route vers Emmaüs.
Notre équipe pastorale dans son travail sur l’exhortation apostolique a perçu que cette dimension de la vie pastorale était exigeante et impossible à assumer seulement par le clergé. Le prêtre, aussi saint et doué soit-il, ne peut pas, ne serait-ce que matériellement, tout assumer d’un accompagnement sur le chemin de la vie conjugale et familiale. Nous est apparue avec force l’importance d’appeler davantage de couples pour travailler ainsi à cette œuvre, non pas parce que nous ne serions pas assez nombreux pour cela, mais parce que c’est l’Eglise qui accompagne – avant, pendant, après.
Donner ce qui peut être utile pour… Je disais en commençant que les futurs mariés manquaient de vocabulaire ; on pourrait penser que donner les mots pourrait résoudre la question, que l’enseignement en comblant des lacunes rendrait la vie plus lumineuse et le chemin de foi plus délibéré – exempt aussi, peut-être, des combats dans lesquels il engage. En réalité, et ceci est vrai aussi pour les homélies, les mots ne suffisent pas ; cela ne veut pas dire que le mutisme serait la solution ; cela veut juste souligner que trop de mots peuvent recouvrir la source, que celui qui accompagne doit chercher à identifier ce que tel couple peut recevoir pour progresser – vous imaginez la maîtrise nécessaire pour retenir l’élan du pur-sang, pour retenir les mots qui viennent à la bouche, pour laisser à l’autre la joie de découvrir lui-même et durablement ce qui donne sens ! Surtout qu’il se peut que vous ne soyez pas témoin de cette illumination ou de ce courage. Les mots peuvent ne pas être compris, car nous, nous sommes baignés dans ce qu’ils disent de beau, de bon, de désirable, mais ils peuvent être inaccessibles aux auditeurs – pourtant subjugués peut-être. Ou s’ils sont compris, ils peuvent l’être sans que cette compréhension ait une quelconque prise sur le réel, sur l’existence de tel ou telle : lettre morte.
C’est pourquoi, à ma manière, je dirais que la préparation vise d’abord à mettre en musique concrètement le dialogue conjugal. Sa mise en œuvre est garante de croissance ; il peut en certaines circonstances être onéreux ou douloureux, mais si l’on peut en avoir donné le goût, on a rendu un service durable – humainement et chrétiennement. Ensuite nous pouvons aider à mettre en présence du Christ, de sa parole et de son Église. Aider à cette rencontre, dont nous ne sommes que les serviteurs, est primordial ; c’est pourquoi l’expérience ecclésiale paroissiale est riche de promesse.
Trois petites notes pour achever ce partage.
La première ? Sans doute la plus importante. Dans la préparation au mariage, nous voudrions tellement assurer la réussite conjugale et familiale de ceux que nous accompagnons, qu’ils puissent dans ce monde si désarticulé ne pas connaître les conflits, les replis, qu’ils puissent accueillir le Christ et sa grâce, élever leurs enfants à l’abri des blessures et des douleurs. Oui, nous voudrions … et nous savons que la vie ne se déroule pas ainsi. En fait, comme en toute chose, nous aimerions maîtriser – le parcours et ses résultats. Si nous pouvons être attentifs aux moyens choisis, à leur ajustement, en réalité nous ne maîtrisons pas grand-chose. Et pour dire le fond de ma pensée, nous ne maîtrisons rien du tout. Autrement dit, l’Esprit-Saint demeure le maître intérieur, celui de l’Église qui l’attire vers son Seigneur.
La deuxième ? Ceci, que parfois ou souvent il est bon de nous remémorer la manière dont nous avons grandi, les étapes, les détours, les échecs, les péchés, la fidélité, la nôtre, celle de l’Église et du Seigneur … les imperfections qui sont la marque de notre humanité et de notre vocation. Bref, ne pas oublier que nous sommes des êtres humains. Ces considérations qui n’ont rien de sentimental nous éduquent à la patience.
La troisième ? Juste que tout ne se joue pas un an avant le mariage, comme s’il fallait bourrer le crâne. Concevoir les manières de mettre en œuvre un SAV, qui rejoint les manières d’aider les uns et les autres à vivre leur vie chrétienne. Et nous savons d’expérience aussi que ce n’est pas très commode, du fait notamment des conditions de vie urbaine et professionnelle. Mais cela renvoie à la vitalité communautaire de nos paroisses …
Antoine Louis de Laigue +
Curé de Notre-Dame de Grâce de Passy
Doyen de Passy