Interview de Mgr André Vingt-Trois par Le Parisien
Le Parisien – 12 février 2005
Nommé hier par Jean-Paul II à la tête de l’archevêché de Paris, où il succède à Mgr Jean-Marie Lustiger, Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Tours depuis 1999, célébrera son installation samedi 5 mars à la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Quelques heures à peine après sa nomination, Mgr Vingt-Trois a choisi d’accorder sa première interview à notre journal. Bras droit de Mgr Lustiger pendant huit ans, il s’en inspirera pour conduire son ministère.
« Je n’ai pas été nommé pour casser la baraque »
Comment avez-vous réagi en apprenant que vous succédiez à Mgr Lustiger à l’archevêché de Paris ?
Mgr André Vingt-Trois. Il y a quinze jours, le nonce Fortunato Baldelli m’a invité à Paris. Il m’a dit : « Le pape vous nomme archevêque de Paris. » Bien sûr, je suis surpris. D’autant que le nonce comme le cardinal ont insisté pour me dire que c’est vraiment Jean-Paul II qui m’a choisi. Je suis impressionné d’être nommé à un poste aussi difficile. C’est une lourde succession dans la mesure où je succède au cardinal Lustiger, personnalité exceptionnelle.
Quelles seront vos priorités à la tête de l’archidiocèse de Paris ?
Ma priorité dans les mois à venir sera de rencontrer le plus de gens possible car je souffre d’un handicap réel : ça fait six ans que j’ai quitté Paris. Je veux, au fil des célébrations dans les paroisses, rencontrer prêtres, diacres, séminaristes, fidèles... Je n’ai pas été nommé pour casser la baraque ! Je n’aurai pas la prétention de dire que je vais faire quelque chose que ne faisait pas Mgr Lustiger. Le cardinal a pris un certain nombre d’initiatives que j’ai souvent mises en œuvre en tant que vicaire général, puis évêque auxiliaire. J’entends donc développer ces initiatives, qu’il s’agisse de la formation des prêtres ou des laïcs, de la communication... Dans notre société, il faut faire l’événement à travers des signes symboliques comme Toussaint 2004. Mais ce message, aussi médiatisé soit-il, ne peut atteindre les cœurs que s’il y a un détonateur personnel, à savoir le témoignage des chrétiens dans leur vie de tous les jours.
Les jeunes constituent-ils une priorité à vos yeux dans une ville où seulement un tiers des enfants vont au catéchisme ?
Nous avons besoin de relancer une approche nouvelle des jeunes car nous ne pouvons pas nous adresser à eux comme on le faisait il y a trente ou quarante ans, lorsque les familles séparées n’étaient que 10 ou 15 %. Prenez l’exemple d’un enfant à qui vous dites le mercredi au catéchisme d’aller à la messe le dimanche. Mais comment fera-t-il, sachant qu’entre-temps il change de famille, voire de ville ? En outre, nous nous retrouvons aujourd’hui face à des parents qui n’ont eux-mêmes suivi aucun catéchisme. Or la foi n’est pas un fluide qui se transmet à distance.
Jean-Paul II a fait savoir hier qu’il voulait continuer à diriger l’Église alors qu’il ne peut pratiquement plus parler ? Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas très grave. Souvenez-vous de Mgr Jules Saliège, archevêque de Toulouse, qui, en août 1942, a ordonné la lecture publique d’une lettre où il écrivait : « Les juifs sont nos frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier. » Or il était hémiplégique, personne ne comprenait ce qu’il disait. Il avait un secrétaire spécialisé dans la traduction de ses borborygmes. Et ça ne l’a pas empêché d’accomplir cet acte de courage. Quant au débat sur la renonciation, c’est à Jean-Paul II d’en décider en conscience, sauf s’il était inconscient et qu’on doive décider à sa place, éventualité prévue par le droit canon.