Interview du cardinal André Vingt-Trois par l’Osservatore Romano
Propos recueillis par Nicola Gori et parus le 22 novembre 2012.
Extrait.
Le problème sur les signes religieux extérieur est-il accentué par le flux migratoire constant en France ?
Sur la question des immigrés, il est tout d’abord nécessaire d’apporter certaines précisions. En premier lieu, il y a des immigrés chrétiens et des immigrés appartenant à d’autres religions. Malheureusement, les chrétiens qui fuient leur pays à cause des persécutions sont nombreux. Je pense, en particulier, aux chaldéens qui sont présents dans la région parisienne. Les catholiques français accueillent et aident ces frères de manière différente, selon les lieux et les situations. Il n’y a pas de difficultés particulières dans ce sens. S’il y en a, les difficultés sont précisément dues aux différences culturelles. Par exemple, la France possède une tradition d’accueil à l’égard des Maghrébins, en particulier des Algériens. Des personnes qui se sont parfaitement intégrées dans la société française, sans trop de difficultés. Cela est clairement dû au lien qui existe entre la France et l’Algérie, même si les choses ont un peu changé, parce que les nouvelles générations algériennes n’ont pas vécu l’époque des relations étroites avec notre pays. Elles arrivent donc sans avoir une connaissance approfondie de la France, ni de ses coutumes, ni de sa culture. Autrefois, en revanche, les jeunes Algériens pouvaient apprendre notre réalité et ses valeurs dans les écoles françaises présentes en Algérie. A tout cela vient s’ajouter une forte immigration de l’Afrique du nord et sub-saharienne, caractérisée par de grandes différences culturelles et par une difficulté d’intégration sociale importante, qui est un problème différent de celui de l’intégration religieuse. La société n’est pas préparée, elle n’a pas les moyens ou ne les trouve pas pour intégrer véritablement ces jeunes étrangers, marginalisés du point de vue économique. C’est là qu’apparaissent les tensions, l’agressivité, qui s’expliquent précisément par les problèmes économiques et par les difficultés d’intégration culturelle.
Y a-t-il des conséquences en ce qui concerne la garantie des droits humains essentiels ?
Il existe diverses associations, chrétiennes et non-chrétiennes, engagées dans l’intégration des immigrés dans notre société. Le problème présente plusieurs aspects. Il y a les immigrés en situation régulière et ceux en situation irrégulière. Nous avons toujours affirmé la valeur universelle de la dignité humaine et nous essayons depuis longtemps de faire comprendre que, quelle que soit la situation juridique d’un immigré, il s’agit toujours d’une personne humaine qui possède des droits. Le fait de ne pas jouir de tous les droits ne signifie pas qu’elle n’en ait aucun. C’est pourquoi, à travers les associations, nous sommes très attentifs à la façon dont sont menées certaines procédures, comme les contrôles d’identité, la détention et le rapatriement dans les pays d’origine.
Quels problèmes ce grand mouvement migratoire entraîne-t-il pour le dialogue entre les diverses religions qui, par la force des choses, sont confrontées les unes aux autres en France ?
L’Église s’efforce d’être présente dans les quartiers des villes pour mener un authentique dialogue religieux, car la difficulté avec les autres religions, et en particulier avec les musulmans, n’est pas tant religieuse, mais surtout d’intégration sociale. Étant donné qu’ils n’ont pas les moyens d’exprimer cette difficulté, celle-ci se traduit en termes d’opposition religieuse. Un certain nombre de jeunes qui se déclarent musulmans le font pour souligner leur différence, pour marquer leur distinction par rapport aux autres. Notre engagement consiste à les rencontrer et à accepter la confrontation avec eux, non pas sur les grandes idées religieuses, mais sur le terrain de la vie quotidienne.