Jean Mestre

Jociste, reconnu martyr en haine de la foi, il sera béatifié le 13 décembre 2025 à Notre-Dame de Paris.

« Je sens qu’Il m’appelle à être son témoin »

Jean Mestre
© D. R.

Biographie

Il était né le 14 juillet 1924 à Paris, dans une famille bien éprouvée, puisque les six enfants qui l’avaient précédé étaient morts en bas âge. Sa mère veuve, concierge chez les Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, n’avait donc que lui. Après son certificat d’études primaires, il apprit le métier de tourneur-fraiseur et travailla à La Licorne, une usine de la banlieue Ouest de Paris. En même temps, il militait à la section jociste de la Goutte d’Or.

« Jean sort très peu, disent de lui Soeur Marguerite et Sœur Jeanne, et s’adonne au Jocisme. Requis pour le S.T.O., il part heureux vers 1942 pour partager dans la foi la rude épreuve qu’ils subissent en Allemagne. Mais, faible de santé, il ne résistera pas. »

« Un garçon pas comme les autres, un garçon très gentil, très calme, très serviable, qui aimait beaucoup sa maman, une maman assez sévère vis-à-vis de ce fils unique qu’elle devait élever seule, papa étant mort avant la naissance de Jean. [...] Il admirait beau- coup les héros, avec une préférence marquée pour Mermoz », se rappelait Mademoiselle Dufey, membre du foyer de jeunes filles La bonne garde, tenu par les Sœurs.

À l’usine, où la moralité était déplorable, il avait parfois dû lutter avec des ouvriers plus âgés pour se garder propre morale- ment : ceux-ci en avaient pris acte. Il était d’une telle droiture, d’une telle piété, d’un tel dévouement à rendre service qu’il disait, à la fois ravi et étonné : « Maintenant, les copains [ceux qui avaient voulu, sans succès, le brimer] m’appellent Jésus Christ », le même surnom sublime qu’on décernera au bienheureux Marcel Callo.

L’abbé André Berteaux, alors séminariste, l’avait entendu dire à sa mère, lorsqu’il avait été requis, bien que soutien de famille :

« Tu vois, maman, tu es mon seul amour sur terre, car je ne suis fiancé. Je t’aime de tout mon cœur ; mais ne sois pas jalouse, j’aime Jésus Christ encore plus que toi : et je sens qu’il m’appelle être son témoin auprès de mes camarades qui vont vivre des moments difficiles. Pardonne-moi si je te fais de la peine. »

Et cet abbé attribuait au rayonnement de Jean sa propre fidélité à sa vocation :

« Je puis dire que, pour moi, la collaboration apostolique et amicale avec l’abbé Canitrot, avec le père Godin, avec les jocistes et particulièrement avec Jean Mestre, ont été décisifs dans mon orientation vers le sacerdoce, après une crise personnelle où je remettais en cause ma vocation... »

Jean Mestre, arrivé en mars 1943 à Brunswick, fut employé comme fraiseur à l’entreprise Büssing-Nag. Il rencontre des jeunes catholiques à la messe, le 18 avril, à Saint-Joseph, et parmi eux des jocistes, portant l’insigne. Marcel Daguts, de Saint-Lô, garde un souvenir admiratif :

« C’était un garçon d’une foi sincère, profonde, audacieux, enthousiaste et d’une grande humilité [...] Son rayonnement est tel que l’ambiance de la “chambrée” se différencie des autres cham- bres du baraquement. Une solidarité s’instaure entre tous [...], des discussions sont suscitées sur les sujets les plus divers... Jean veut faire plus. Il veut aller vers les autres [...] Il voudrait amener ceux qui font du marché noir à cesser ces pratiques au profit de la soli- darité[...] Je ne me sens pas le courage de me lancer dans cette entreprise, à laquelle je préfère la sécurité de notre chambrée... » Jean ayant obtenu un local pour installer une bibliothèque, compte y tenir des réunions restreintes et discrètes... « Je n’aurais pas été en mesure d’assumer les risques d’un tel apostolat. Jean Mestre faisait partie de ces hommes hors du commun. J’ai conservé de lui le souvenir vivace et lui voue une grande admiration. »

Chez Bussing-Nag, Jean était responsable de la section d’action catholique qu’il avait lancée dès le 18 juillet 1943 ; il fréquenta le curé allemand de Saint-Joseph, – qui parlait parfaitement le français –, tant que cela ne constitua pas un trop grand danger pour ce dernier. D’un dévouement admirable, ce garçon avait le don de rayonner sa foi, sans écraser, sans diviser, et il amena ceux qui avaient un comportement douteux, même les adeptes du marché noir, à changer, à partager. Quand la section J.O.C. fut dissoute, il travailla avec ses compagnons à installer deux services « Loisirs et Sports », et prépara une fête d’amitié à Noël.
Il organisa aussi, le 21 novembre, une réunion régionale qui regroupa, dans le camp VI de Watenstedt, une vingtaine de militants :

« Cette responsabilité et cette attitude sont à attribuer à la fidélité à son idéal jociste, à sa foi en Jésus Christ qui lui faisaient retrouver la source de Vie, en particulier dans les messes dominicales et la communion fréquente »,

dit Pierre Costentin, fédéral jociste qui travaillait à Watenstedt et avait rencontré Jean à Saint-Joseph de Brunswick, le 18 avril. Mais son influence « alerta nos patrons », dit son ami Marcel Daguts, or, début mars 1944,

« mis en demeure par les Allemands de mettre un terme à ses activités, Jean n’en tient aucun compte. Cet affrontement devait fatalement tourner à son désavantage. Et c’est ainsi qu’une con- damnation à un internement de vingt-et-un jours dans le camp 21 vient sanctionner ses activités au service des autres. »

Le camp disciplinaire 21 de Watentsted-Hallendorf, un arbeitserziehungslager (A.E.L.), était une annexe du camp de concentration de Neuengamme. Jean, arrêté pour « rencontres clandestines », y fut envoyé « pour activité religieuse ». Il en sortit un mois après, affaibli, avec un début de pleurésie. Hospitalisé le 21 avril, évacué en catastrophe lors d’un bombardement, il mourut épuisé, le 4 ou 5 mai 1944 : « bronchite et pleurésie purulente », dit sa fiche ; « victime de son zèle jociste » faut-il lire.

« Je l’ai toujours considéré comme un “confesseur de la foi”, dit l’abbé Jean Canitrot, et... martyr, puisque mort parce que témoin de Jésus Christ là où il avait voulu aller pour être Jésus Christ au milieu de ses frères ».

Jean Mestre sera béatifié le samedi 13 décembre 2025 à Notre-Dame de Paris avec 49 autres Français morts par haine de leur foi sous le régime nazi en 1944 et 1945.

Source
 Armand Duval, Missionnaires et martyrs, 51 témoins du Christ face au nazisme, François-Xavier de Guibert, 2005, pages 58-60.

Béatification de Raymond Cayré, Gérard-Martin Cendrier, Roger Vallée, Jean Mestre et de leurs 46 compagnons