Marcel Carrier
Jociste, reconnu martyr en haine de la foi, il sera béatifié le 13 décembre 2025 à Notre-Dame de Paris.
Nous l’appelions “saint Paul”.

- Né à Paris (Diocèse de Paris) le 29/04/1922.
- Marié en août 1940.
- Motif d’arrestation : « pour action catholique ».
- Mort à Neustadt-sur-Tachau le 6/05/1945 lors de la « marche de la mort ».
- Béatification le 13 décembre 2025 à Notre-Dame de Paris.
Biographie
Marcel, né le 29 avril 1922, à Paris, fut baptisé à l’âge de 4 ans à Notre-Dame de Clignancourt. Ayant découvert la J.O.C. au patronage de Championnet, il devient rapidement fédéral. Marié très jeune, à 18 ans et trois mois, il passa à la Ligue ouvrière chrétienne (L.O.C.), prolongement de la J.O.C. pour les adultes. Le jeune foyer eut trois filles, mais la seconde mourut avant la naissance de la troisième. Requis pour le S.T.O., il n’ose se dérober, par crainte de représailles contre sa famille et, début août 1943, il est affecté à Weimar où il travaille à la Gusselwercke.
Devenu de suite « responsable de l’Action catholique clandestine de Weimar », il participe, le 15 août, à la réunion des militants de la région qui signent une lettre collective au chanoine Cardijn ; les 4-5 septembre, il est de nouveau à la réunion d’Erfurt où l’on tente d’organiser l’action catholique. Il était d’un dynamisme extraordinaire et, bien que ses lettres soient codées (on y parle d’équipe sportive au lieu d’action catholique), il faut tout de même l’inviter de temps à autre à la prudence. Voici quelques échantillons de ses missives à Émile Picaud, du camp de Kleinfurra :
« Pourrais-tu être libre le 28 nov. pour venir voir Camille ? Nous avons l’intention de voir les camarades s’occupant de fédération sportive. » (8 novembre 1943)« Pourrais-tu me mettre au courant de ce que vous faites ; surtout les villes où se trouvent des camarades et le nombre de C.E. qui fonctionnent ? Ceci en paraboles si tu veux... Je pense que tu comprends l’importance de ceci. Car il y aura un gros coup de collier au retour pour propager le sport dans toute la France » (19 novembre)« Du 5 à la Noël, va avoir lieu une chaîne ininterrompue de prière. Si vous voulez y participer, c’est pour toute la Thuringe. À partir du 19 pour vous ; ce dimanche-là, communion le plus pos- sible ; et ensuite, tous les jours de la semaine, une dizaine de chapelet, pour chacun, à l’intention des familles et de l’A.C. en Allemagne. » (7 décembre)« Très bien pour Noël. Ici, cela s’est fait par chambrée, ainsi qu’ailleurs, tout s’est bien passé, nous étant efforcés d’y apporter, suivant les éléments, une atmosphère chrétienne... Est-ce que dans les environs, tu as trouvé de nouveaux camarades..? Que cette année voit la paix tant désirée. Que nous fassions rayonner tou- jours davantage notre Christ Jésus parmi nos frères. Que nous reprenions des forces dans l’Eucharistie afin que nous restions joyeux et conquérants ». (12 janvier 1944).
Henri Benard, ancien fédéral jociste, prisonnier de guerre, avait reçu la visite de Marcel à Buttelstedt, le 31 octobre, et, dit-il, « il a fait la conquête de mes copains ». Le 27 février 1944, nouvelle visite : Marcel trouve un prêtre qui porte la communion à Henri, dans le wagon où il travaillait, et lui facilite le contact avec d’autres Jocistes. Lors d’une dernière rencontre, le 1er mars 1944, ils discutent apostolat. Henri lui rappelle la proximité de Buchenwald ! Mais on n’arrête pas comme cela un bulldozer...
« Son action en Thuringe fut formidable : c’était le “commis-voyageur” du Bon Dieu en J.O.C. ; nous l’appelions saint Paul », dira de lui le P. Dubois-Matra, s.j.
Il avait demandé à Jean Tinturier d’agir sur toute la région par des « lettres aux dirigeants ». Marcel Callo subit aussi son ascendant, le 14 janvier 1944 :
« J’ai fait connaissance à cette réunion avec un chic dirigeant jociste de Paris, travaillant à Weimar. Il est marié depuis trois ans et n’a que 22 ans : Marcel Carrier...
Nous avons eu à cette réunion un exposé sur la “vie de la grâce” par un des séminaristes de Schmalkalden, une causerie sur le Mariage par le camarade de Weimar et, pour finir, nous avons vu où en était notre travail d’apostolat dans nos différents milieux. Excellente journée qui redonne du courage, mais ne manque pas de difficultés, et où les émotions sont fréquentes, vous me comprenez n’est-ce pas, c’est inutile que je sois plus précis. »
Marcel Carrier était le seul marié des 12 qui furent emprisonnés à Gotha. Son interrogatoire fut le plus long ; il fut plusieurs fois battu ; on essaya le chantage en lui montrant les photos de sa femme et de ses filles : s’il parlait, il les reverrait dans les 24 heures. Mais il garda sa fierté et son assurance. René Le Tonqueze, l’un des rares rescapés, évoque Marcel :
« Il nous a, durant ces mois de prison, expliqué un peu sa vie jociste à Paris. Nous en étions tous pour la plupart, et dans son cas, la L.O.C. avec sa femme et ses deux filles. Nous avons ainsi partagé un peu sa vie familiale. Nous faisions des projets pour le retour, une vie de famille telle que nous l’envisagions à travers la J.O.C. Nous avons partagé à Gotha une vie de foi intense, une vie communautaire, peut-être à l’égal des moines. »
« Marcel est sûrement mort d’épuisement... Son cheminement d’apôtre fut la suite d’une JOC et d’un engagement total pour ses lui frères. Tenant compte de sa famille, cela fut plus dur pour que pour les célibataires que nous étions. »
Décharnés, maltraités, les douze parvenaient à écrire des lettres pleines d’espoir : Émile Picaud, jociste à Sondershausen, en fait part :
« Nous venons de recevoir de bonnes et brèves nouvelles de Marcel et de ses compagnons. Leur vie est toujours très dure, dans une atmosphère 100/100 païenne. C’est le monde avant l’Incarnation, disent-ils, et Paul ajoute : “Soyons des Christ, des vrais, des pur-sang, demandons la Sainteté”. Ils ont pu communier le soir du 24 décembre, vous devinez si leur joie était immense ».
André Yverneau, lui aussi à Sondershausen, écrit le 7 janvier 1945, à propos de Marcel Carrier :
« Il a trouvé un nouvel habit, assez chic, nouvelle mode, bleu rayé blanc ; c’est assez dur... Noël pour eux, dans une atmosphère chrétienne, ils ont eu le pain blanc qu’ils ont partagé à 20. Ils ont pu améliorer l’ordinaire grâce à des colis. À part cela, ils ont un moral excellent qui nous fait honte tellement il est beau. »
Le 13 avril, Marcel était au Revier quand l’évacuation du kommando fut décidée. Il fit les deux premières étapes en camion avec les malades, puis un infirmier français lui dit de marcher avec les autres. De fait, le camion partit un matin, fit plusieurs voyages et l’on ne revit pas les malades : les S.S. les fusillaient dans une carrière. La colonne marcha jusqu’au 23 avril, de plus en plus cernée par les Américains. Les S.S., n’ayant plus eux-mêmes de vivres, décidèrent de lâcher la colonne dans la forêt, tirant au hasard, exterminant surtout les Hongrois Juifs, les Russes et les Polonais : ce fut un vrai carnage. C’est pendant cet exode tragique, a raconté le Père Paul Beschet,
« que j’ai perdu de vue Marcel... pour toujours. Une fatigue extrême et mon dénuement complet ne me permirent point de quitter ma paillasse jusqu’aux derniers jours qui précédèrent mon rapatriement le 17 mai. Je n’ai donc pu aller sur place enquêter pour savoir ce qu’il était advenu de Marcel et mes autres camarades français.
Que vous dire de Marcel ? Il était sans conteste un chef, peut-être un peu trop confiant en sa jeunesse ardente, mais d’une telle générosité et surtout d’une telle avidité de connaître. Il a assuré sa formation humaine et religieuse de façon personnelle ; mais, en prison et au camp, il a découvert la nécessité d’un directeur de conscience. Il fit avec moi une véritable retraite, et combien de neuvaines ou de récollections...
Le Seigneur sut, par sa grâce, sanctifier cette ardeur. Lorsque, tous ensemble, il nous arrivait de lire saint Paul ou l’Évangile, Marcel jubilait. Le Christ l’avait vraiment saisi. »
« Ce sont nos martyrs, dit de son côté le Père Dubois-Matra. Comment, de leurs souffrances et, pour certains, de leur sang, ne pas espérer que se lèvera parmi les jeunes qui voudront les suivre une magnifique moisson ? »
Marcel Carrier sera béatifié le samedi 13 décembre 2025 à Notre-Dame de Paris avec 49 autres Français morts par haine de leur foi sous le régime nazi en 1944 et 1945.
Source
– Armand Duval, Missionnaires et martyrs, 51 témoins du Christ face au nazisme, François-Xavier de Guibert, 2005, pages 92-95.